Intervention de André Gattolin

Réunion du 21 octobre 2014 à 14h30
Débat sur le bilan du crédit d'impôt compétitivité emploi

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’annonce de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la position des écologistes – peut-être vous en souvenez-vous ? – avait été clairement critique.

Sur la forme, tout d’abord, nous avions regretté qu’un tel dispositif soit voté sous forme d’amendements à une loi de finances rectificative, alors que son importance appelait à davantage de débat et de réflexion, ainsi qu’à la production d’une véritable étude d’impact.

Sur le fond, ensuite, ses finalités nous paraissaient beaucoup trop floues et son financement, reposant à la fois sur une baisse des dépenses publiques, une hausse de la TVA et les revenus de ce que l’on annonçait alors comme une nouvelle fiscalité écologique, nous semblait bien mal calibré.

Deux ans plus tard, et alors que nous disposons désormais d’un certain recul, force est de constater que nos réticences n’étaient pas tout à fait infondées !

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de condamner en bloc la notion même de crédit d’impôt ni de profiter de ce débat pour revenir à un antagonisme désormais classique, celui qui oppose les partisans d’une politique de l’offre à ceux d’une politique de la demande.

Il s’agit, dans le contexte de tensions budgétaires et de crise globale que nous connaissons, de déterminer les formes d’actions les plus efficaces et les plus efficientes qui s’offrent à nous et, lorsque c’est nécessaire, de détecter et de corriger les éventuelles erreurs d’appréciation que nous avons pu commettre.

Avec l’expérience du CICE qui est la nôtre aujourd’hui, je crois que deux erreurs de conception peuvent désormais être confirmées.

La première, c’est d’avoir mal estimé les effets éventuellement contreproductifs de certaines mesures prises au cours des deux dernières années et de la complexité de la mise en place du CICE lui-même.

Le rapport du comité de suivi indique ainsi clairement que ce dispositif, dont on sait qu’il est encore en phase de montée en charge, est nettement moins utilisé cette année par les entreprises que ce que prévoyait le Gouvernement : 13 milliards d’euros de versements étaient initialement attendus en 2014 au titre du CICE de l’année 2013 ; la prévision révisée retenue pour le projet de loi de finances n’est finalement que de 10, 8 milliards d’euros.

Même si l’on peut y trouver quelques motifs de satisfaction – après tout, cela représente moins de dépenses pour l’État ! –, il est difficile de ne pas s’interroger sur ce constat. Ne serait-ce pas là, au moins partiellement, le résultat du mode de financement du CICE lui-même, comme d’autres mesures prises depuis lors, dont l’effet récessif a déjà été largement évoqué ? Je pense, par exemple, à la hausse de la TVA intervenue dans des secteurs tels que les transports en commun, la rénovation des bâtiments et la culture.

Ne faudrait-il pas remettre enfin tout cela à plat et évaluer clairement les effets croisés de toutes ces politiques ? En effet, il est, en l’état, bien difficile d’en percevoir les effets positifs, alors que les effets les plus négatifs sont beaucoup plus visibles.

Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’absence de répercussion de la hausse de la TVA de 19, 6 % à 20 % sur les prix finaux pratiqués par certains secteurs masque un effet pervers – la très faible inflation que nous observons depuis le début de l’année en témoigne –, qui contribue, lui aussi, à diminuer les effets promis du CICE pour les entreprises. Cela peut notamment se traduire par une rétractation des marges, non pas tellement celles des distributeurs eux-mêmes, mais celles de leurs fournisseurs, les producteurs, parmi lesquels on compte de nombreuses PME qui auraient pourtant bien besoin d’un surplus d’oxygène pour investir et embaucher !

La seconde erreur, qui découle en partie de la première, c’est justement le flou qui entoure le CICE quant à sa finalité en matière de création d’emplois. J’en veux pour preuve l’évolution du discours du Gouvernement lui-même sur la question.

Au moment de son lancement, le CICE devait, nous disait-on, permettre de créer 300 000 emplois à terme. On a ensuite évoqué un ordre de grandeur plus proche des 150 000 emplois. Récemment, le ministre des finances est allé jusqu’à laisser clairement entendre qu’il n’y avait pas de lien direct entre CICE et emploi…

En outre, parce que le bénéfice du CICE est limité aux salaires ne dépassant pas l’équivalent de 2, 5 fois le SMIC par an, il ne facilite en rien les embauches dans les secteurs les plus qualifiés, alors que ceux-ci auraient bien besoin d’être dynamisés pour renforcer la France sur la scène internationale et relancer son économie. Ainsi, au final, le rapport annuel du comité de suivi reste très prudent quant aux résultats du dispositif sur les créations d’emploi.

Ce document indique bien, en reprenant l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE parue au mois de juillet dernier, que 48 % des entreprises de services et 34 % des entreprises de l’industrie affirment que ce dispositif aura un impact sur leurs embauches. Cependant, il s’agit de données déclaratives et, de fait, des plus imprécises. De manière plus générale, force est de constater que nous manquons de visibilité quant à l’utilisation réelle qui est faite du CICE par les entreprises qui y ont recours.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe écologiste est favorable non pas à des mesures qui viendraient soutenir l’ensemble des acteurs économiques, quels que soient leur poids, leur modèle, leur santé réelle, mais à des mesures de soutien sectoriel, qui donneraient à l’État un véritable rôle de stratège et permettraient de soutenir nos entreprises les plus concernées par la concurrence internationale, nos entreprises véritablement innovantes et, surtout, les acteurs d’une transition écologique et d’une mutation technologique que nous appelons tous de nos vœux.

Michel Sapin indiquait récemment que le CICE était là pour permettre aux entreprises de retrouver leurs marges, donc d’investir, d’embaucher ou de former, en tout cas de préparer l’avenir.

Il est vrai qu’un crédit d’impôt peut effectivement être fort utile dans cette perspective et qu’il est des entreprises et des industries qui ne demandent qu’à se développer et à embaucher. Cependant, nous ne pourrons pas les aider avec des outils aussi généraux, imparfaitement et précipitamment conçus. De tels outils dépensent trop d’argent public sans permettre de financer assez de telles entreprises !

Et que l’on ne vienne pas nous opposer l’Europe qui, aux dires de certains, avec ses directives et ses règlements, nous empêcherait de mettre en place pareille démarche. C’est tout simplement faux : elle laisse en réalité de véritables marges de manœuvre en la matière, sans compter que c’est aussi à nous de nous emparer des politiques européennes pour mieux les orienter avec nos partenaires, alors que les institutions européennes terminent justement leur renouvellement.

Les difficultés du CICE, comme, plus généralement, celles de notre économie et de l’Europe tout entière, nous démontrent que c’est d’une utilisation précise, articulée et stratégique des moyens publics que nous avons besoin aujourd’hui. À nous de bien en tirer les conséquences. §

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