Selon la publicité, « le CICE a pour objectif de redonner aux entreprises des marges de manœuvre pour investir, prospecter de nouveaux marchés innover, favoriser la recherche et l’innovation, recruter, restaurer leur fonds de roulement ou accompagner la transition écologique et énergétique grâce à une baisse du coût du travail. » Stimulation de l’investissement et de la compétitivité dans les secteurs porteurs d’avenir, développement de l’emploi : difficile de dire mieux !
Après les intentions – forcément excellentes –, examinons la réalité, à tout le moins les enseignements de la première année complète de mise en œuvre du CICE, soit 2013.
Nous constatons d’abord que le rapport du comité de suivi du CICE, publié au mois de septembre 2014, dont l’importance du contenu informatif est inversement proportionnelle à la longueur – 115 pages avec les annexes –, nous est d’un maigre secours.
Essentiellement rédigé au conditionnel, pauvre en données factuelles précises, il se contente d’une évaluation de l’emploi du CICE – évolution du taux de marge des entreprises, de l’investissement, de l’emploi – à partir des seules « intentions exprimées » par les entreprises. D’ailleurs, ces dernières ne diront pas autre chose que ce que l’on attend d’elles : leur intention ne peut être que d’utiliser le CICE d'abord pour l’investissement, et ensuite pour l’emploi. Le rapport n’en note pas moins que l’on observe rarement un impact du CICE sur les prix, éléments pourtant essentiels de la compétitivité.
À regarder les choses de plus près, la réalité, telle qu’elle ressort de l’examen de l’exercice 2013, est sensiblement différente, s’agissant en tout cas des grandes entreprises du CAC 40 – elles aussi massivement éligibles au CICE, comme on vient de le dire –, lesquelles, en 2013, ont augmenté le versement de leurs dividendes et réduit leurs investissements. Autour de 40 milliards d’euros de dividendes ont ainsi été versés par ces entreprises, soit une augmentation de 5, 5 %, ce qui place la France dans le peloton de tête européen pour cette discipline internationale. Leur taux de distribution médian, c'est-à-dire la part du bénéfice revenant aux dividendes, atteint 48 %, contre 46 % en 2012. En clair, la moitié des bénéfices dégagés revient aux actionnaires.
Dans le même temps, les investissements des entreprises non financières du CAC 40 ont reculé de 5 % en 2013, dégradation qui, d'ailleurs, s’est poursuivie à peu près au même rythme au premier semestre 2014. Le fameux théorème d’Helmut Schmidt, selon lequel « les profits d’aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », est donc loin de se vérifier, au point que François Hollande lui-même, en août 2014, a cru bon de rappeler aux patrons leur devoir d’utiliser « pleinement les moyens du CICE pour investir et embaucher et non distribuer des dividendes ». On ne doute pas que les chefs d’entreprise seront sensibles à un conseil aussi paternellement délivré…
Côté intéressés, on nous explique benoîtement que « les entreprises font de l’investissement lorsqu’elles ont des projets de croissance rentables, pas simplement parce qu’elles ont des cash flows abondants. La décision d’investir dépend avant tout des perspectives futures. Or, elles ne sont pas trop optimistes pour l’heure en Europe ». Cette analyse est celle de Fabrice Théveneau, analyste à la Société générale interrogé par Les Échos, le journal de M. Bernard Arnault – première fortune française selon Forbes –, une référence donc.
Une référence qui dit clairement qu’en l’absence de demande une politique de l’offre est vouée à l’échec. Un entrepreneur n’investit et n’embauche que s’il a l’espoir de vendre, quels que soient les cadeaux fiscaux dont il pourra bénéficier. D’ailleurs, cette conclusion, bien qu’exprimée dans le langage amphigourique de rigueur, ressort aussi du rapport du comité de suivi du CICE – ne prêtez pas garde au niveau de français utilisé par ses auteurs – : « Ces résultats, bien que partiels, confirment ceux des précédentes vagues d’enquête : l’affectation du CICE en 2014 semble fortement dépendante de la situation conjoncturelle de l’entreprise, de ses contraintes et de ses perspectives. L’utilisation du CICE semble venir conforter des décisions qui répondent prioritairement à la dynamique conjoncturelle des entreprises. » En un mot, et en clair, la réussite de la politique de l’offre est suspendue à l’apparition d’une demande. Comment précisément faire apparaître cette demande ? Là est la vraie question !
En changeant l’angle de vision, en considérant ce qui se passe au niveau d’une entreprise particulière, la cohérence de la politique économique du Gouvernement apparaît-elle mieux ?
Parmi les entreprises publiques largement bénéficiaires du CICE, l’exemple de La Poste, qui aura reçu de l’ordre de 300 millions d’euros de CICE en 2013 et 357 millions d’euros en 2014, m’a fait douter. Certes, on peut se réjouir que cet argent ait permis à La Poste de réaliser 627 millions d’euros de bénéfices en 2013, soit une hausse de 31 %, malgré une chute de 30 % de son résultat d’exploitation. Toutefois, si le but du CICE est d’améliorer notre balance extérieure, on devrait pouvoir trouver d’autres entreprises plus exposées à la concurrence !
Le constat est le même s’agissant de la politique de l’emploi, La Poste poursuivant la réduction de ses effectifs, comme cela a été dit tout à l'heure : 4 500 emplois y ont ainsi été supprimés en 2013, après 2 500 en 2012. Le processus est engagé depuis longtemps.
Entendons-nous bien : je ne critique absolument pas l’aide publique à La Poste, qui remplit des missions de service public que personne d’autre n’assume, notamment par sa présence sur l’ensemble du territoire national. J’ai simplement un peu de mal à saisir la cohérence de la politique du Gouvernement à son égard : en 2013, alors que La Poste reçoit 300 millions d’euros d’aide publique par le biais du CICE, elle est, dans le même temps, ponctionnée de 171 millions d’euros de dividendes – 23 millions d’euros de plus qu’en 2012 –, tout en continuant, d'ailleurs, à assumer la charge des réductions tarifaires accordées à la presse, de l’ordre de 500 millions d’euros. Comprenne qui pourra…
En matière de cohérence et de clarification, on devrait pouvoir faire mieux, de même qu’en matière de politique fiscale, autre versant de notre affaire : si l’on en croit Thomas Piketty, le CICE « se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop. »
C’est d'ailleurs à Thomas Piketty que j’emprunterai ma conclusion