Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat a produit un rapport d’investigation en 2005 pour comprendre et décrire comment l’État avait été « anesthésié par le lobby de l’amiante ». Les sénateurs Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe.
Ce rapport consensuel et exigeant préconisait déjà de prévenir les futures contaminations, de s’intéresser aux entreprises de désamiantage et aux intervenants de second œuvre sur site amianté. Au passage, il recommandait l’interdiction des fibres vitrocéramiques. Le ministre du travail de l’époque, Gérard Larcher, ne disait-il pas dans son audition à propos de ces fibres qu’elles étaient considérées comme potentiellement cancérigènes et qu’il fallait recenser les produits de substitution moins dangereux ? Je vous renvoie à la page 309 du rapport. Où en sommes-nous, madame la secrétaire d’État ?
Les écologistes remercient Aline Archimbaud et ses collègues de la commission des affaires sociales d’avoir, par leur travail de grande qualité et leur nouveau rapport, actualisé et documenté l’alerte, et permis cet important débat. Car il y a urgence ! Le nombre de chantiers de désamiantage se multiplie, beaucoup apparaissent à l’occasion de la rénovation thermique, d’autres sont en attente car difficiles à entreprendre, comme certains centres hospitaliers universitaires. Mais, d’une part, la réglementation exigeante concernant les travailleurs est mal suivie et, d’autre part, il y a carence pour ce qui concerne les riverains et en particulier le suivi des déchets enlevés.
Beaucoup ayant été dit par les intervenants précédents, je me contenterai d’insister sur cinq points
Premièrement, le diagnostic des locaux vendus ou loués doit être plus précis et s’accompagner impérativement d’un plan des lieux investigués. Il faut un meilleur décret et des exigences accrues pour le DTA. La mémoire du lieu est en permanence un outil qualitatif qui peut sauver des vies. Tel plombier, tel électricien perçant des cloisons peut voir sa santé compromise du simple fait que le relevé soigneux des gaines encore amiantées lui aura été ou non communiqué. Coût d’un nouveau décret ? Zéro euro !
Deuxièmement, à propos des chantiers de réhabilitation, il nous faut tirer les leçons des aléas rencontrés. Afin d’éviter tout arrêt intempestif du chantier ou toute tentation d’occulter le risque en raison de surcoûts, c’est avant les appels d’offres de l’État, des collectivités et des maîtres d’ouvrage qu’il faut diagnostiquer la présence d’amiante. Coût de l’opération ? Zéro euro !
Troisièmement, la protection des salariés doit être mieux garantie par une formation ad hoc des CHSCT concernés, par des pauses compatibles avec le port d’équipements protecteurs oppressants et par des contrôles plus réguliers, en particulier pour l’usage illicite d’intérimaires ou de travailleurs non francophones qui signent à l’aveugle la note de mise en garde, écrite uniquement en français.
Au sujet des travailleurs, si une bonne traçabilité des expositions nous semble indispensable pour leur suivi sanitaire, il est impératif de veiller à ce que ces données ne soient en aucun cas utilisables par de futurs employeurs pour les tenir à l’écart de l’embauche. Coût de cette protection ? Zéro euro !
Quatrièmement, les contaminations environnementales périphériques sont une vraie source d’inquiétude pour les riverains. Les pouvoirs publics doivent garantir leur bonne information et la mise en œuvre de toute mesure protectrice, allant des vérifications de l’intégrité des bâches d’étanchéité du chantier aux arrosages réguliers des lieux susceptibles de véhiculer des fibres. Vous allez me dire que ce dispositif représente un coût. Je vous répondrai qu’en évitant de futurs malades vous réaliserez une économie de plusieurs millions d’euros.
Cinquièmement, une véritable traçabilité des déchets enlevés doit être instaurée, et le choix du lieu de la mise en décharge – déchets dangereux, inertes ou non – doit tenir compte des manipulations brutales qui font que des matériaux d’amiante prétendument « liée » deviennent des sources d’amiante friable après transport et casse.
Enfin, une étude indépendante de valorisation de l’amiante vitrifiée devrait permettre de baisser les coûts en suspendant une TGAP – la taxe générale sur les activités polluantes – liée au manque d’usages possibles. Faute de clarification, de suivi et de coût acceptable du traitement de l’amiante, nous risquons de voir encore de nombreux sacs d’amiante « tomber du camion » pendant les trajets.
Le débat d’aujourd’hui permet de reposer solennellement la question de l’expertise et des conditions de fabrication et de mise sur le marché des nanomatériaux. Ne répétons pas, par manque de règles et de précaution, un scandale sanitaire. Comme l’amiante, certains nanomatériaux sont en fibre à forte pénétration. Comme l’amiante, ils peuvent s’accumuler, être inflammatoires et carcinogènes. Cependant, du fait de leur taille, mille fois plus petite qu’une fibre d’amiante, ils vont beaucoup plus loin dans les tissus, dans les cellules, jusque dans leur noyau. Cette petite taille accroît les effets surface et les contacts toxiques. Dans un gramme de nanoparticule, il y a 100 à 1000 mètres carrés de surface de contact.
Si les articles 37 et 73 du Grenelle 2 ont un peu amélioré les exigences de transparence, le temps est venu, pour l’Europe comme pour la France, de combler ce non-lieu de l’encadrement sanitaire et de la protection des consommateurs comme des salariés.
Madame la secrétaire d’État, que ce soit pour l’éradication de l’amiante, le suivi des désamiantages ou l’encadrement des nanomatériaux, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. Ce message aurait pu s’adresser à Marisol Touraine pour la santé, à François Rebsamen pour le travail, à Sylvia Pinel pour le logement, à Ségolène Royal pour l’environnement, mais je ne doute pas qu’avec toutes vos compétences et votre engagement vous aurez la force de leur faire entendre que personne, demain, ne pourra dire qu’il ne savait pas.