Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 21 octobre 2014 à 21h30
Application de l'article 68 de la constitution — Adoption définitive d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir, s’il est adopté, mettra fin à un vide juridique qui remonte à 2001. À cette date, la Cour de cassation a retenu une interprétation de l’article 68, tel qu’il était alors rédigé, différente de celle formulée par le Conseil constitutionnel deux ans plus tôt. En 1999, ce dernier avait répondu – sans qu’on lui pose la question –, dans une décision relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale, que, en vertu d’un privilège de juridiction, le Président de la République ne pouvait être jugé, même pour des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, que par la Haute Cour de justice, composée à l’époque de douze sénateurs et de douze députés.

Deux ans plus tard, dans l’arrêt Breisacher, relatif à l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la Cour de Cassation adoptait un point de vue diamétralement opposé : elle considérait qu’on ne pouvait pas attribuer à la Haute Cour de justice une compétence autre que celle pour laquelle elle avait été créée, à savoir la haute trahison du chef de l’État. Pour le reste, on devait s’en remettre aux tribunaux ordinaires, sauf que la Cour de cassation a aussi estimé que, du fait de son rang et de sa fonction, le Président de la République devait bénéficier, durant son mandat, d’une immunité, d’une inviolabilité temporaire qui l’empêchait d’être poursuivi ou entendu comme témoin. Il fallait donc attendre la fin de son mandat pour que son éventuelle responsabilité soit examinée par les tribunaux ordinaires compétents.

Deux des trois principales hautes juridictions françaises défendaient ainsi des points de vue opposés sur cette question clé de l’application de l’article 68.

Pour sortir de cette impasse, le Président de la République de l’époque a confié à des experts – c’était la fameuse commission présidée par Pierre Avril – le soin de lui soumettre une nouvelle mouture des articles 67 et 68 de la Constitution. À la suite de leurs conclusions en décembre 2002, un projet de loi constitutionnelle a été adopté en conseil des ministres. Reprenant les recommandations de la commission Avril, qui avait elle-même suivi les analyses de la Cour de cassation, ce texte octroyait au Président de la République une inviolabilité temporaire le temps de son mandat, tout en prévoyant qu’il ne pourrait être jugé que par une juridiction différente de la Haute Cour de justice telle qu’elle existait jusqu’alors. La Haute Cour de justice était en effet une juridiction d’exception, mi-politique, mi-juridictionnelle, composée d’hommes politiques et de magistrats. Or une juridiction de ce type – si elle avait un jour fonctionné – qui aurait été conduite à juger le chef de l’État et à prononcer d’éventuelles peines sur la base, non seulement du code pénal, mais également d’autres dispositions qu’elle aurait pu inventer, n’aurait pas été compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui affirme le droit à un procès équitable. Il fallait donc agir.

Comme vous le savez, la loi constitutionnelle a été votée quelques années plus tard… Il aura fallu attendre quatre ans avant que le projet de loi constitutionnelle ne soit adopté par le Parlement réuni en congrès et plus longtemps encore avant que le projet de loi organique permettant d’appliquer l’article 68 ne soit rédigé. Rappelons en effet que l’article 67, qui accorde au Président de la République une inviolabilité totale pendant la durée de son mandat, était d’application immédiate, alors que la mise en œuvre de l’article 68, qui traite de la responsabilité du chef de l’État, nécessite une loi organique.

Compte tenu de ce déséquilibre fâcheux, une proposition de loi organique visant à combler le vide juridique avait été déposée au Sénat en 2009, puis adoptée en 2011, soit quelques jours avant que la commission des lois de l’Assemblée nationale n’examine le projet de loi organique finalement déposé par le Gouvernement.

Le fait que le Sénat débatte en premier du sujet a eu des conséquences sur les travaux des députés : beaucoup d’amendements adoptés par la commission des lois ont été inspirés par nos travaux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’actuel président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a été l’auteur de nombreux amendements.

En janvier 2012, les députés ont adopté le texte. Depuis lors, nous en sommes là.

Ce projet de loi organique constitue l’aboutissement d’un cheminement. Il opère une synthèse entre toutes les dispositions qui ont pu être rédigées en vue de mettre en œuvre l’article 68 tel qu’il a été voté en 2007. Son objet est cependant très restreint, tout simplement parce que l’article 68 prévoit clairement les conditions dans lesquelles la destitution pourrait être votée par chacune des assemblées, puis prononcée par la Haute Cour. Ainsi, il précise que les décisions doivent être prises à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour ou bien que toute délégation de vote est interdite. La Haute Cour doit donc fonctionner, non pas comme une assemblée qui examine un texte de loi – aucun amendement n’étant possible, il n’est pas prévu de faire de navette –, mais comme une assemblée politique prenant une décision politique, à savoir celle de destituer le chef de l’État si elle estime qu’il n’est plus en état de pouvoir exercer ses fonctions.

Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie en 2011 d’une affaire concernant une procédure d’impeachment engagée à l’encontre du Président de la République de Lituanie, procédure guère éloignée de celle dont nous discutons ce soir. Or la CEDH s’est estimée incompétente, car il ne s’agissait pas d’une procédure judiciaire, mais d’une procédure politique. Tel est le sens du présent projet de loi organique : aller plus avant dans la définition et la mise en œuvre de cette procédure politique par laquelle le Parlement, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, se prononce sur la destitution du chef de l’État.

Le texte du projet de loi organique est très bref : il a surtout pour but d’organiser la procédure, les conditions dans lesquelles la proposition de résolution est déposée puis examinée par la commission des lois.

L’Assemblée nationale, en commission, puis en séance publique, avait rejeté un amendement du Gouvernement de l’époque visant à accorder à la commission des lois un droit de veto sur le texte. Puisque le texte est motivé, il est normal que la commission des lois soit saisie, mais elle ne peut que donner un avis sur celui-ci, en aucun cas bloquer son examen par l’assemblée qui devra se prononcer.

La deuxième série de dispositions contenues dans le projet de loi organique vise à aménager les conditions dans lesquelles on passe d’une assemblée à l’autre, à indiquer les délais, à réaffirmer les règles du contradictoire pour l’audition du Président de la République et à prévoir que la Haute Cour fonctionne véritablement comme une Haute Cour, et non comme une Haute Cour de justice, comme c’était le cas avant la révision de 2007. Le projet de loi organique se contente donc très simplement de préciser un certain nombre d’éléments contenus dans l’article 68. C’est la raison pour laquelle la commission des lois l’a adopté à l’unanimité.

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