Le Parlement examine un projet de loi de programmation des finances publiques pour la quatrième fois depuis 2008.
A chaque fois, notre commission s'est saisie pour avis en raison de la part que prennent les finances sociales au sein des finances publiques : en 2013, les dépenses des administrations de sécurité sociale représentent 27 % du PIB, 46,5 % des dépenses publiques, 53,6 % des prélèvements obligatoires et un solde de - 10,1 milliards d'euros.
Selon la Constitution, les lois de programmation définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques. Elles n'ont toutefois pas de portée juridique supérieure aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Elles concernent l'ensemble des administrations publiques : Etat, sécurité sociale, collectivités locales et, pour l'ensemble de ces administrations publiques, elles définissent une trajectoire financière fixe sur une période donnée.
Elles sont aussi désormais l'outil de vérification, pour le Parlement, de la trajectoire sur laquelle notre pays s'est engagé en ratifiant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, signé à Bruxelles, le 2 mars 2012 et qui est entré en vigueur le 1er janvier 2013.
Comme les lois précédentes, le projet de loi comprend une partie « programmatique », qui définit les objectifs jusqu'à l'année 2019 et une partie « législative », relative aux règles de pilotage et de gouvernance des finances publiques.
J'aborderai tout d'abord la partie programmatique.
J'ai parlé de trajectoire fixe et d'une première loi de programmation en 2008 : en 6 ans, nous examinons ainsi la quatrième loi de programmation des finances publiques couvrant une période de 5 ans.
La loi organique de décembre 2012 prévoit que, lorsque des écarts importants sont constatés en loi de règlement, le Gouvernement doit proposer des mesures de correction pour retourner à la trajectoire de solde structurel définie en loi de programmation.
Aujourd'hui, de tels écarts ayant été constatés, voici la mesure de correction qui nous est proposée : une nouvelle programmation. Faute de corriger les écarts, nous rectifions la trajectoire.
Par rapport à la loi de programmation actuellement en vigueur qui prévoit une limitation du déficit public à 3 % du PIB en 2013 et un solde structurel ramené à 0,5 % du PIB dès 2015, et même au programme de stabilité adopté au printemps dernier et aux textes financiers de l'été, le texte qui nous est soumis marque une révision très forte des hypothèses macroéconomiques et des objectifs de soldes publics, reportés de deux ans.
Pour ce qui concerne la trajectoire financière, l'objectif est d'atteindre un solde effectif de - 2,8 % du PIB en 2017 et un solde structurel de - 0,4 % du PIB en 2017.
Le projet de loi de programmation repose sur la formulation d'hypothèses macro-économiques. Les prévisions pour l'année 2015 sont par construction les mêmes que celles du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Au-delà, il s'agit d'hypothèses d'évolution. J'ai examiné les variables qui intéressent particulièrement les finances sociales que sont, comme vous le savez, la croissance du PIB et l'évolution de la masse salariale du secteur privé. L'hypothèse de travail du projet de loi de programmation est celle d'une croissance de 1,9 % en moyenne à compter de 2016, avec une progression annuelle de 4 % de la masse salariale privée. Ce sont effectivement les niveaux de croissance de la masse salariale observés avant la crise, sur la période 1998-2007. J'observe simplement que, pour une hypothèse de croissance plus élevée, le gouvernement avait retenu le même taux d'évolution de la masse salariale au cours de la précédente programmation. Saisi de ces hypothèses macroéconomiques, le Haut Conseil des finances publiques a qualifié de réalistes les prévisions pour l'année 2015 et d'optimistes les hypothèses pour la période qui suit, soulignant tous les aléas qui entouraient leur réalisation. Je crois que nous pouvons partager ce constat.
Quel est notre point d'entrée en programmation ? Le déficit des administrations de sécurité sociale a atteint, en 2013, 0,5 point de PIB, soit 10,1 milliards d'euros. Je rappelle à la commission que ce solde comprend des administrations de sécurité sociale qui, par nature, sont en excédent. Soit parce qu'elles ont vocation à couvrir des engagements futurs, comme le fonds de réserve des retraites, soit parce qu'elles sont chargées d'amortir la dette, comme la Cades. Hors Cades et FRR, le solde est de - 20,6 milliards d'euros, soit 1 point de PIB et 3,65 % des dépenses.
Le déficit social n'est bien sûr pas comparable ni en volume, ni en part de la richesse nationale avec celui de l'Etat, mais la nature des dépenses n'est pas non plus la même. J'ajoute aussi que l'équilibre de la sécurité sociale n'est pas hors de portée : l'exercice 2008 a ainsi révélé un excédent de 0,7 point de PIB.
Par rapport à ce point d'entrée, le projet de loi vise un redressement du solde des administrations de sécurité sociale très significatif sur la période de la programmation. L'équilibre des comptes sociaux serait retrouvé en 2016, avec un excédent de 0,3 point de PIB en 2017.
Là où l'effort était réparti sur toute la période de programmation dans la loi précédente, il est désormais plutôt concentré et accéléré en fin de période. Après une forte augmentation des recettes, en 2012, 2013 et 2014, le Gouvernement table sur une stabilisation et même une décrue sur la période en valeur relative par rapport à la richesse nationale. Un croisement des courbes de recettes et de dépenses interviendrait ainsi en 2016 à la faveur d'une trajectoire assez spectaculaire de réduction des dépenses en point de PIB (- 0,5 point en 3 ans). Sur la période de programmation, les dépenses sociales n'évolueraient que de 1,75 % par an en moyenne. Je rappelle que depuis 2008, les dépenses des administrations de sécurité sociale ont progressé de 86,7 milliards d'euros, soit une augmentation de 3,3 % par an en moyenne - même si l'on observe un ralentissement à 2,33 % entre 2012 et 2013.
Les dépenses continueraient à croître mais selon un rythme plus lent : 0,8 % en 2015, 2,1 % en 2016 ; 2,3 % en 2017.
Le principal instrument de pilotage est l'Ondam (30 % des dépenses), dont le niveau est fixé à 182,3 milliards d'euros en 2015 et à 189,5 milliards d'euros en 2017, soit une progression de 2 % en moyenne et une augmentation de 3,8 milliards d'euros chaque année en moyenne.
Si l'on regarde la trajectoire financière dans le détail, nous passerions d'un déficit social de 10,1 milliards d'euros en 2013 à un excédent à horizon 2017 de 6,5 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations de sécurité sociale.
Il existe, comme vous le savez, trois ensembles au sein des administrations de sécurité sociale, avec une situation financière très différente.
Le fonds de réserve des retraites et la Cades sont en excédent structurel. L'excédent du fonds de réserve des retraites et de la Cades représenterait 10,9 milliards d'euros en 2014, et s'établirait en fin de période de programmation, en 2017, à 12,6 milliards d'euros. Il réduit de moitié le déficit des administrations de sécurité sociale en 2014 et serait largement responsable de leur excédent en 2017. Cet excédent est d'abord celui de la Cades, qui permet de financer l'amortissement de la dette sociale.
Deuxièmement, les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, qui nous occuperont dans le cadre de l'examen prochain du projet de loi de financement de la sécurité sociale, présentent des objectifs de réduction des déficits, sans retour à l'équilibre à échéance 2017, sauf pour la branche « accidents du travail », d'ores et déjà en excédent. Le déficit des régimes obligatoires de base et du FSV passerait de 15,6 milliards d'euros en 2014 à 6,1 milliards d'euros en 2017.
Trois des quatre risques resteraient en déficit alors que la branche AT-MP pourrait financer ses déficits passés. Le FSV verrait son déficit se réduire de plus de 50 %.
Seule la branche vieillesse connaîtrait une dégradation de son solde en fin de période pour des raisons démographiques.
Pour ce qui concerne le régime général de la sécurité sociale, les évolutions sont comparables.
On observe une réduction très forte du déficit de la branche maladie en fin de période, une amélioration significative du déficit de la branche famille et une consolidation des excédents de la branche AT-MP. Le solde de la branche vieillesse ne se dégrade pas aussi significativement en fin de période.
Enfin, nouveauté de la loi de programmation, des projections sont présentées pour les régimes d'assurance-chômage et de retraites complémentaires.
Le solde des régimes complémentaires de retraite se redresse de 2,5 milliards d'euros entre 2014 et 2017 tandis que celui de l'assurance-chômage s'améliore de 2,2 milliards. Les régimes de retraite complémentaires seraient à l'équilibre tandis que le régime d'assurance chômage aurait un besoin de financement de 1,8 milliard d'euros. L'amélioration du solde de l'assurance chômage est cohérente avec les prévisions de croissance, l'Unédic représentant la principale contribution à l'évolution du solde conjoncturel.
L'évolution des autres administrations de sécurité sociale hors champ du PLFSS n'est pas détaillée (elle comprend des organismes aussi divers que l'Ircantec, ou la Caisse de retraite de l'Opéra pour n'en citer que ces exemples) et continue à représenter l'angle mort de la vision du Parlement.
Résultant des déficits cumulés, la dette sociale continue de connaître une dynamique inquiétante.
Le projet de loi de programmation n'apporte pas de précisions sur une éventuelle reprise des déficits sociaux par la Cades autres que ceux déjà prévus au titre des lois de financement de la sécurité sociale pour 2011 et pour 2014.
La dette sociale représentait 10 points de PIB en 2013. Même si elle ne représente qu'un un peu plus de 10 % de la dette de l'Etat, elle continue de s'alourdir sous l'effet des déficits cumulés.
Le projet de loi de programmation prévoit une stabilisation en 2015 puis une réduction de la part dans le PIB à partir de 2016. La dette sociale devrait représenter 9,4 % du PIB en 2017.
Une part importante de cette dette reste à l'Acoss en trésorerie (plus de 40 milliards d'euros de dette courante à la fin de l'année 2015). Si les taux d'intérêt à court terme sont peu élevés aujourd'hui, ce qui réduit l'écart de taux entre l'Acoss et la Cades, une brutale remontée serait catastrophique, obligeant la Cades à reprendre cette dette à court terme dans de mauvaises conditions.
Même si nous considérons que les taux sont « intéressants », parfois même négatifs, gardons à l'esprit que l'amortissement de 96 milliards de dette aura coûté à la Cades plus de 44 milliards d'euros cumulés, soit un ratio de 46 % entre les intérêts payés et la dette amortie.
J'en viens à la deuxième partie du texte, qui porte sur des mesures de pilotage des finances publiques et de bonne gouvernance.
Comme dans les lois de programmation précédentes, on trouve le principe d'un meilleur pilotage des niches fiscales et sociales, l'obligation d'une évaluation régulière de celles-ci et une règle de sécurisation des recettes. En dépenses, on peut souligner le mécanisme, nouveau, des revues de dépenses, que je vous propose, par un amendement, de détailler pour ce qui concerne le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, et la reconduction des procédures mise en réserve des dépenses d'assurance maladie que nous pourrions, également par un amendement, renforcer.
Pour ce qui concerne particulièrement les administrations de sécurité sociale, le Gouvernement propose de renforcer le contrôle des ARS sur les établissements de santé soumis à un plan de redressement. L'approbation de leurs prévisions de recettes et de dépenses devra faire l'objet d'une décision expresse qui ne pourra être positive si l'évolution des effectifs est incompatible avec celle de l'activité.
Le Gouvernement se propose également de remettre un rapport au Parlement sur l'évolution des dépenses de personnel des hôpitaux en détaillant les mesures catégorielles. Je vous propose d'enrichir ce rapport d'éléments sur les autres déterminants de la dépense hospitalière et de détailler leur impact sur l'Ondam.
Dans un second article spécifique, le Gouvernement se propose encore une fois de remettre un rapport au Parlement, dans un texte qui compte de nombreux rapports et bilan. Il s'agit cette fois d'un rapport sur l'assurance-chômage qui interviendrait dans le cadre d'un mécanisme « à double détente ».
Dans un premier temps, l'Unédic transmettrait au Gouvernement et au Parlement ses perspectives financières triennales, avant le 31 mars. Sur cette base, le Gouvernement transmettrait à son tour au Parlement et aux partenaires sociaux gestionnaires de l'Unédic, un rapport sur la situation financière de l'assurance-chômage mais cette fois avant le 31 décembre.
Autant les déterminants de la dépense hospitalière sont mal connus, autant les données sur la situation financière de l'Unédic, qui publie ses chiffres trois fois par an, ne font pas défaut. Au demeurant, rien n'empêche le Gouvernement de faire connaître son analyse de la situation financière de l'assurance-chômage, en l'absence de rapport.
C'est pourquoi je vous propose de supprimer ce rapport au profit de l'apport d'informations sur plusieurs points qui font actuellement défaut au Parlement en général et à notre commission en particulier.
Tout d'abord, nous avons besoin, PLFSS après PLFSS et pas seulement lors de la loi de programmation, d'une décomposition du solde structurel des différentes administrations publiques, y compris, donc, des administrations de sécurité sociale. Il s'agit là d'un élément essentiel du pilotage des finances publiques.
Au sein même des administrations de sécurité sociale, comme je le disais précédemment, subsistent des angles morts pour la vision du Parlement. C'est pourquoi je souhaite que nous puissions bénéficier du détail des dépenses, des recettes, du solde et de la dette de l'ensemble des administrations de sécurité sociale.
Toujours sur cette question de l'information du Parlement et dans la continuité du rapport qui nous a été remis par la Cour des comptes sur les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé, je vous propose un amendement prévoyant que notre commission soit informée des orientations de ces négociations.
Enfin, je vous propose un amendement prévoyant que le bilan de la loi de programmation et la justification des écarts soient détaillés par sous-secteurs des administrations publiques.
Sous le bénéfice de toutes ces observations, il me semble que la programmation pluriannuelle proposée par le Gouvernement repose sur des hypothèses trop optimistes qui en assurent le bouclage et font peser des incertitudes très fortes et des aléas trop importants sur son exécution. Les recettes ne seront vraisemblablement pas au rendez-vous. Malgré ces hypothèses, les objectifs de retour à l'équilibre sont repoussés sans que les mesures fortes qui seraient nécessaires à un véritable redressement soient identifiées. Je considère en revanche que la partie relative au pilotage comporte des avancées intéressantes qui vont dans le sens d'une gestion plus rigoureuse et que nous pourrions enrichir. J'invite donc notre commission à formuler un avis défavorable sur la partie programmatique du projet de loi et favorable sur la partie relative au pilotage des finances publiques, assortie des amendements proposés.