La DGF représente une part importante des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales : 40 milliards d'euros en 2014 sur environ 100 milliards d'euros. La question de sa juste répartition est au coeur de tous les questionnements portant sur les moyens financiers consentis aux collectivités.
Son mode de distribution apparaît à beaucoup décalé voire injuste. Il résulte de sédimentations de l'histoire qui ont conduit à cristalliser des situations acquises dont il est parfois très malaisé d'expliquer les fondements.
Ce sujet avait été débattu au Sénat l'an passé lors de la discussion de la proposition de loi de notre ancien collègue Gérard Le Cam qui visait à modifier les modalités de répartition de la dotation de base aux communes. Le débat avait montré qu'il était opportun de se pencher au plus vite sur les perspectives de réforme de cette dotation dont la complexité n'échappe à personne.
Le gel puis la baisse de l'enveloppe, à partir de 2014, rend encore plus légitime cette réforme. En période de disette budgétaire, les inégalités risquent en effet d'être encore plus douloureusement ressenties... sans compter que le dispositif lui-même révèle des limites arithmétiques surprenantes : ainsi en 2014, une commune et quatre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) se sont vus octroyer une DGF « négative » ; l'État a prélevé une partie de leurs ressources.
Dans le souci d'alimenter le débat de notre commission sur ce sujet sensible, j'avais, en tant que rapporteur général, initié une réflexion sur ce sujet début 2014. Nous avons entendu quinze experts : hauts fonctionnaires, universitaires spécialisés en finances locales, géographes, économistes...
Le Gouvernement a récemment annoncé sa volonté de mettre en chantier en 2015 une réforme de la DGF pour une traduction législative dans le projet de loi de finances pour 2016. La commission des finances du Sénat aura à apporter son utile contribution dans le déroulement de ce chantier, ambitieux mais très difficile.
Je souhaite à ce stade vous présenter un compte-rendu des auditions réalisées depuis début 2014. Il ne s'agit pas de débattre ici du projet de loi de finances pour 2015. Nous aurons tout le loisir de le faire le moment venu !
Le constat est partagé : il est presque impossible de fournir une justification scientifique et objective des critères de répartition de la DGF. Les auditions menées ont tout d'abord été l'occasion de dresser un tableau du « paysage territorial » et d'aborder la question des inégalités entre territoires. Celles-ci n'ont cessé de diminuer au cours des cinquante dernières années, si l'on se place au niveau des aires urbaines, des départements ou des régions. À l'inverse, à un niveau plus fin, elles ont en moyenne plutôt augmenté, par exemple entre deux communes de la même intercommunalité. Les comparaisons entre grandes régions ne doivent pas nous faire oublier la situation de ces collectivités, dont la prise en compte est fondamentale et pose la question du maillage du territoire.
En outre, nos interlocuteurs nous ont fait part de la nécessité de dépasser le clivage entre urbains et ruraux. Il n'y a pas d'opposition entre les deux : leur destin est lié et l'on n'observe jamais une périphérie prospère si le centre ne l'est pas. Sur ce sujet de la ruralité, c'est donc à nouveau la question du maillage du territoire qui est posée.
On manque, en France, de travaux scientifiques sur la décentralisation en général et sur les finances locales en particulier. Ce manque est criant pour la mesure des charges des collectivités territoriales, qui se révèle particulièrement complexe : pour assurer une mesure objective, il faut pouvoir distinguer ce qui relève des charges d'une collectivité et ce qui relève de ses choix en matière de services publics, et donc de neutraliser les « choix politiques ». Or, pour y parvenir, il est nécessaire de manier une quantité très importante d'informations. Ce constat est également vrai quand il s'agit de mesurer les effets de la péréquation, qu'elle soit verticale ou horizontale, ou l'évolution des inégalités territoriales.
Ce « vide universitaire » résulte en grande partie de l'impossibilité pour les chercheurs d'accéder à des données brutes. Si la direction générale des finances publiques (DGFiP) a récemment annoncé qu'elle ouvrirait très largement les données dont elle dispose en matière de fiscalité, la direction générale des collectivités locales (DGCL) montre en revanche une certaine frilosité pour rendre accessibles ses données sur la DGF et sur la péréquation. À ce propos, l'Assemblée nationale a adopté un amendement à la loi de programmation des finances publiques, qui prévoit qu'une annexe jointe à la loi de finances détaillera les attributions individuelles versées aux collectivités territoriales au titre de l'année précédente. Ces données seront également rendues publiques.
De plus, les informations relatives aux dépenses des collectivités territoriales ne sont pas exploitables par les chercheurs. Les travaux de référence sur le sujet, d'Alain Guengant et Guy Gilbert, commencent à dater : ils sont basés sur des données de 1993 à 2004 et ne prennent notamment pas en compte le développement de l'intercommunalité.
En raison de cette quasi-absence de travaux scientifiques, le Parlement ne peut pas toujours mesurer le bien-fondé des décisions qu'il prend. Ainsi le montant de dotation de base par habitant varie dans un rapport de un à deux selon la taille de la commune, au nom de la prise en compte des « charges de centralité ». Ce choix, critiqué par les communes rurales, repose sur une étude qui a maintenant plus de dix ans. Est-il toujours justifié ? Aucun travail objectif récent ne permet de trancher. C'est pourquoi il serait opportun, pour alimenter notre réflexion, que la commission des finances sollicite des chercheurs sur ces sujets.
La répartition de la DGF doit reposer sur une juste évaluation des charges et des richesses des collectivités territoriales. Mais, en l'absence de travaux de recherche incontestables et récents, la mesure des charges des collectivités est très difficile et constitue le point le plus polémique actuellement. Nous connaissons bien les débats qui peuvent surgir sur ce sujet... Chaque collectivité est dans une « situation spécifique » qui nécessiterait la prise en compte de tel ou tel critère particulièrement favorable... Néanmoins, un certain consensus est apparu parmi les personnes entendues pour utiliser le revenu par habitant comme critère de charges, en tant que moyen de mesurer la « vulnérabilité » d'un territoire. Ceci peut sembler contre-intuitif, puisque le revenu par habitant n'est pas, par définition, un critère de charges. Mais l'on observe, statistiquement, qu'un territoire dont le revenu des habitants est faible aura plus de besoins en termes de services publics. Dès lors, ce critère peut être utilisé comme un indicateur de charges, simple à manier et accessible - ce qui rend acceptables les dispositifs qui y feraient référence.
Mais, comme l'a souligné une des personnes entendues, il ne faut pas que ce critère soit utilisé seul, car « ce n'est pas un critère universel ». Par exemple, le niveau de dépenses des communes est corrélé à la démographie - plus la population augmente et plus le coût de production des services augmente - ou à la part des logements sociaux. Les dépenses des départements seraient fortement corrélées au revenu par habitant, notamment pour des territoires au potentiel fiscal élevé mais au revenu faible, comme la Seine-Saint- Denis.
Deux universitaires nous ont néanmoins indiqué qu'ils n'étaient pas favorables à la prise en compte du revenu par habitant comme critère de charges, car cela revient à introduire le point de vue des ménages dans une réflexion relative aux collectivités locales.
Deux idées méritent d'être mentionnées, bien qu'elles restent à expertiser. D'une part, le niveau de dépenses d'une collectivité pourrait être apprécié par rapport au niveau moyen de sa strate, afin d'essayer d'identifier de façon simple celles qui auraient fait le « choix » d'un niveau de dépenses « supérieur au nécessaire ». D'autre part, pour chaque type de collectivité, pourrait être créé un « référentiel des services minimums » ; à chaque service serait associé un coût sur la base duquel seraient ensuite répartis les concours financiers de l'État.
La mesure de la richesse d'un territoire est en principe plus aisée : le potentiel fiscal a été considéré par nos différents interlocuteurs comme un bon outil conceptuel. Mais ils ne se sont pas privés d'en critiquer l'évolution récente.
Plusieurs des personnes entendues ont considéré que le potentiel fiscal était biaisé, depuis qu'y ont été intégrés des produits et non plus seulement des potentiels : la compensation de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle en 2004, puis le fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) et la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP). Ainsi, les taux se sont retrouvés en quelque sorte intégrés au potentiel fiscal, alors que cet outil devrait être totalement neutre vis-à-vis des choix en matière de taux. En effet, il s'agit de mesurer la richesse d'un territoire et non sa politique fiscale. Dès lors, le potentiel fiscal a perdu son caractère de « potentiel », au détriment des collectivités qui avaient des bases faibles mais un taux élevé.
En ce qui concerne le bloc communal, se pose également le problème de « l'imbrication luciférienne des entités du bloc communal », selon l'expression de Yann Le Meur. L'existence de multiples transferts financiers entre communes et EPCI rend le calcul d'un potentiel communal extrêmement complexe et peu significatif.
Un certain consensus est apparu sur la nécessité de prendre en compte un nombre réduit d'indicateurs. Il s'agit de simplifier le système et d'éviter que les critères ne s'annulent entre eux. Un de nos interlocuteurs nous disait ainsi qu'à force de multiplier les critères contradictoires, on aboutissait à la même répartition de la DGF que si on l'avait répartie en fonction de la population...
Nous avons également abordé la question du « maillage territorial ». Le nombre important de communes rend difficile les comparaisons : appliquer les mêmes critères à une commune de 200 habitants et à une ville de 100 000 habitants pose des problèmes.
Les experts entendus nous ont indiqué que raisonner au niveau des intercommunalités rendrait les comparaisons plus pertinentes, à condition sans doute d'augmenter leur taille minimale. Cela garantirait également une répartition plus juste de la richesse au niveau du territoire, en créant une solidarité communautaire de fait. Les innombrables et complexes fonds de péréquation seraient moins indispensables. La plupart des intervenants ont ainsi plaidé en faveur d'une DGF intercommunale.
Certes, la question de la répartition d'une telle dotation au sein de l'EPCI serait extrêmement sensible. Néanmoins, le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) a préparé cette évolution en créant des outils - notamment le potentiel financier agrégé (PFIA) - et en habituant à raisonner au niveau intercommunal.
Cette perspective de globalisation des dotations a suscité le débat parmi les sénateurs présents à ces auditions : la dimension « politique » du problème apparaît en effet clairement en arrière-plan car la question de la capacité d'action financière de la commune est posée. Nos experts ont reconnu que la mise en oeuvre d'une telle globalisation imposerait de recourir à des mécanismes de garantie, au moins les premières années, mais ils ont souligné qu'il ne faudrait pas qu'ils perdurent, au risque de rendre la réforme inopérante. En outre, le calendrier de la mise en place d'une DGF territoriale devrait s'articuler, le cas échéant, avec celui du déploiement de la nouvelle carte intercommunale, voire de la révision des valeurs locatives.