C'est un grand honneur pour moi de me présenter devant vous. La Française des jeux vous est familière, car elle compte pour les finances publiques françaises, et elle a une dimension également sociétale. Comment réguler un jeu pour en faire un divertissement populaire sans qu'il devienne le support de comportements addictifs ou le canal d'actes criminels comme le blanchiment d'argent ? Tel est le défi à relever.
Certains d'entre vous connaissent mon héritage familial - mon père était un grand serviteur de l'État. Mon parcours professionnel a été naturellement placé sous le sceau de l'intérêt général, avec comme majeures la compétence financière et l'entreprise. À ma sortie de l'école nationale d'administration (ENA), en 1984, j'ai choisi le ministère des finances et la direction générale du Trésor, alors dirigée par Michel Camdessus, auquel Daniel Lebègue allait succéder. Bercy et le Trésor sont parfois perçus comme des forteresses technocratiques. J'y ai appris beaucoup. Je m'y suis forgé une capacité d'analyse et j'y ai développé mon goût pour l'action publique. L'administration où je suis restée vingt ans a été un choix, non une obligation. L'image de technocrate de Bercy ne suffit cependant pas à me résumer... À la direction du Trésor, j'ai exercé trois métiers - régulateur dans le secteur financier, actionnaire d'entreprises publiques et négociateur international. Dans le secteur de la banque et des assurances, j'ai négocié de grands textes prudentiels - c'était l'époque de Bâle III pour les banques, des prémices de Solvabilité II pour les assurances.
J'ai oeuvré à plusieurs reprises comme actionnaire d'entreprises publiques. Entre 1998 et 2000, le portefeuille de participations qui m'était confié comptait des entreprises comme Bull, Thomson Multimédia, Gaz de France ou Cogema. J'ai également été en charge de l'ouverture partielle du capital d'Air France, dans le cadre stratégique et politique piloté par Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Gayssot, sous l'égide de Lionel Jospin. Enfin, j'ai représenté la France à la Banque mondiale, participé à l'élaboration des positions françaises au Fonds monétaire international (FMI) et à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), alors très active sur la question du blanchiment de capitaux. Entre 2000 et 2004, dirigeant le service des affaires internationales du Trésor, j'ai participé à de nombreuses réunions internationales - G7, G8, G20 - et préparé comme « sherpa » les sommets des chefs d'État en matière financière, sommet du G8 à Evian par exemple, en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, pour qui j'ai une pensée aujourd'hui. Ces années ont été intenses. J'ai eu la chance de travailler sous l'autorité de plusieurs directeurs du Trésor et plusieurs ministres : j'ai pu apprécier la tradition de loyauté et de neutralité de la fonction publique à la française. Je suis particulièrement fière d'avoir travaillé avec Pierre Bérégovoy qui a forgé en moi une très haute idée de la politique.
La deuxième partie de mon parcours s'est déroulée dans des entreprises où le service public et l'intérêt général tenaient une place importante. Entre 2004 et 2011, j'ai été directrice financière déléguée de France Télécom, durant une période de transformation profonde des conditions concurrentielles. L'entreprise se relevait à peine d'une crise de liquidités, fin 2002, en raison de son fort endettement et de l'évolution de la bulle des télécoms. Mes responsabilités couvraient un champ large - gestion des financements et de la trésorerie, contrôle fiscal, audit et contrôle interne, lutte contre la fraude. Comme responsable des relations avec les agences de notation et les investisseurs financiers, je portais l'image de l'entreprise sur les marchés. Je traitais la partie financière, y compris dans la problématique des réseaux de distribution et le développement de la vente en ligne. En 2011, Christine Lagarde, alors ministre des finances et de l'économie, m'a proposé de prendre la tête de la Caisse centrale de réassurance (CCR), en raison de mon double parcours dans l'administration et dans l'entreprise, et de ma connaissance du secteur des assurances. J'ai encore eu l'occasion, récemment, de la remercier pour sa confiance.
Depuis quatre ans, l'essentiel de ma mission se concentre donc sur la réassurance publique au service de l'intérêt général. Avec l'ensemble des salariés, auxquels je rends hommage, je me suis attachée à tenir les objectifs fixés par l'État actionnaire à 100 %. L'entreprise s'est recentrée sur la gestion du risque de catastrophe naturelle, en la modernisant. Elle a su s'ouvrir à des partenaires extérieurs importants pour améliorer la diffusion de l'information et stimuler la prévention. Au-delà de sa solidité financière et de ses bons résultats, la CCR est un partenaire crédible et légitime qui entretient des relations fortes avec beaucoup de parties prenantes, parlementaires et élus locaux notamment. Beaucoup reste à faire, mais je suis fière du parcours accompli en quatre ans.
La Française des jeux est une société anonyme dont le capital appartient pour 72 % à l'État, pour 20 % aux anciens émetteurs de billets de la loterie nationale, et pour 5 % aux salariés. Elle est le deuxième opérateur de loteries en Europe et le quatrième mondial. Elle développe un modèle de jeu expansif : beaucoup de joueurs misent de petites sommes. Elle touche un public large de 27 millions de joueurs, soit un Français sur deux en âge de jouer. En 2013, plus de 12 milliards d'euros ont été misés, redistribués à 95 %, dont 23 % pour les finances publiques. La Française des jeux, ce sont aussi des hommes et des femmes que je félicite pour le parcours remarquable de leur entreprise. Je voudrais tirer un coup de chapeau à Christophe Blanchard-Dignac qui, en quatorze ans, a considérablement transformé et développé cette entreprise, au bénéfice de tous et dans le respect de valeurs fortes.
Vous connaissez le cadre de la régulation, qui repose essentiellement sur le décret de novembre 1978 ; en 1985, l'entreprise s'est également vu attribuer les paris sportifs dans les points de vente puis en 2010, les offres de paris sportifs en ligne. Ses activités en monopole représentent 99 % des mises qu'elle reçoit. L'entreprise est contrôlée par l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) pour ses activités concurrentielles. Entreprise nationale engagée au service de l'intérêt général, la Française des jeux a développé une politique de responsabilité sociétale. Elle est la loterie la mieux notée en la matière. La fondation de l'entreprise dispose d'un budget équivalent à 4 % du résultat net de l'entreprise, soit 18 millions d'euros sur cinq ans, pour intervenir dans les domaines du sport de haut niveau, du handicap et de la solidarité. Elle est très engagée auprès des fédérations sportives et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), elle finance sa propre équipe cycliste sont défendues des valeurs d'intégrité et de performance collective. Elle mène également une action en matière de handicap, comme employeur, mécène et partenaire. La force de l'entreprise est dans sa capacité à mener à bien son développement économique dans un cadre acceptable d'un point de vue social.
Si votre vote valide ma candidature, je poursuivrai la mission que s'est donnée la Française des jeux, celle d'organiser dans des circonstances sûres et contrôlées la demande de jeu du grand public, en prévenant les excès et les dérives, dans le respect de l'ordre public. Christophe Blanchard-Dignac s'est engagé depuis 2006 dans une politique de jeu responsable. Un très haut niveau d'exigence en ce domaine contribue à faire de l'entreprise un leader des loteries européennes. La société civile participe à ce succès, notamment le réseau des distributeurs en contact avec les clients. À cela s'ajoute une structure financière solide et saine, construite sur la maîtrise de la trajectoire des mises. L'entreprise contribue ainsi aux recettes publiques. Il faudra investir pour rendre cette contribution pérenne. L'entreprise et ses clients changent, les pratiques se renouvellent. Nous devrons donc moderniser le réseau de distribution, rendre plus performants le système informatique et la plate-forme technologique, même si leur efficacité est déjà avérée. Je voudrais revenir sur l'importance du réseau de distribution. Les buralistes et les distributeurs de presse sont dans une situation économique difficile - pour des raisons extérieures à la Française des jeux. L'une de mes priorités sera de les rencontrer, car ils ont un rôle clef pour l'entreprise.
Je m'inscrirai pleinement dans la ligne stratégique définie dans le passé. Je travaillerai également à quelques chantiers d'avenir. Une réforme de la distribution est déjà engagée, pour remédier à l'attrition du réseau. C'est un enjeu économique pour la Française des jeux ; cela participe aussi de l'aménagement du territoire, car les points de vente sont des services de proximité qui contribuent à l'animation des territoires. La digitalisation est un autre défi majeur. Les clients sont multi-équipés en matière technologique. Les habitudes de consommation évoluent très rapidement. Comment combiner l'importance du réseau physique avec le développement de la vente en ligne, pour que l'entreprise continue à se développer avec les clients de demain ? Le développement à l'international ne fait plus débat. La Française des jeux dispose déjà d'atouts significatifs : son modèle de jeu est une référence, son savoir-faire aussi, qu'il s'agisse de l'outil informatique ou du marketing. La digitalisation lui offre une opportunité de se développer à l'international dans un cadre bien étudié, car l'essentiel de son activité est en monopole. Je continuerai à construire une vision partagée de la stratégie d'entreprise, dans un monde qui change très vite. Pour cela, j'appliquerai ma méthode et mon éthique : être au coeur de l'entreprise, dialoguer avec les collaborateurs, aller sur le terrain. Il serait présomptueux d'en dire plus aujourd'hui sur la stratégie que je veux appliquer dans une entreprise que je ne connais pas encore de l'intérieur.
Je terminerai en disant un mot du sujet qui agite la presse actuellement, l'éventualité d'une ouverture du capital. Cette ouverture ne peut être qu'une décision de l'actionnaire. À ce stade, l'État n'a arrêté aucune position. C'est une question complexe et débattue. Je peux seulement dire que si l'État me demandait d'étudier cette possibilité, je le ferais avec le souci de penser une telle opération comme un levier d'accomplissement de la stratégie de l'entreprise.