Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède d'abord à l'audition de Mme Stéphane Pallez, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de La Française des jeux, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Nous entendons Stéphane Pallez, candidate au poste de présidente-directrice générale de la Française des jeux. À l'issue de cette audition, nous nous prononcerons sur sa nomination. Conformément à l'article 13, alinéa 5 de la Constitution, nous devrons consolider nos votes avec ceux des membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale, devant lesquels Madame Pallez s'est exprimée ce matin.
Je vous laisse le soin de vous présenter. Vous nous direz ce qui, dans votre parcours professionnel vous qualifie pour prendre la tête de la Française des jeux. Je rappelle que vous êtes, jusqu'à présent, présidente-directrice générale de la Caisse centrale de réassurance (CCR) après un début de carrière à la direction générale du Trésor. Je souhaiterais également que vous nous donniez votre vision du développement de cette entreprise. Comment comptez-vous concilier exigence de développement et nécessité d'éviter les effets pervers liés aux jeux - notamment le risque d'addiction de certains joueurs ? Notre ancien collègue François Trucy a beaucoup oeuvré dans ce domaine.
C'est un grand honneur pour moi de me présenter devant vous. La Française des jeux vous est familière, car elle compte pour les finances publiques françaises, et elle a une dimension également sociétale. Comment réguler un jeu pour en faire un divertissement populaire sans qu'il devienne le support de comportements addictifs ou le canal d'actes criminels comme le blanchiment d'argent ? Tel est le défi à relever.
Certains d'entre vous connaissent mon héritage familial - mon père était un grand serviteur de l'État. Mon parcours professionnel a été naturellement placé sous le sceau de l'intérêt général, avec comme majeures la compétence financière et l'entreprise. À ma sortie de l'école nationale d'administration (ENA), en 1984, j'ai choisi le ministère des finances et la direction générale du Trésor, alors dirigée par Michel Camdessus, auquel Daniel Lebègue allait succéder. Bercy et le Trésor sont parfois perçus comme des forteresses technocratiques. J'y ai appris beaucoup. Je m'y suis forgé une capacité d'analyse et j'y ai développé mon goût pour l'action publique. L'administration où je suis restée vingt ans a été un choix, non une obligation. L'image de technocrate de Bercy ne suffit cependant pas à me résumer... À la direction du Trésor, j'ai exercé trois métiers - régulateur dans le secteur financier, actionnaire d'entreprises publiques et négociateur international. Dans le secteur de la banque et des assurances, j'ai négocié de grands textes prudentiels - c'était l'époque de Bâle III pour les banques, des prémices de Solvabilité II pour les assurances.
J'ai oeuvré à plusieurs reprises comme actionnaire d'entreprises publiques. Entre 1998 et 2000, le portefeuille de participations qui m'était confié comptait des entreprises comme Bull, Thomson Multimédia, Gaz de France ou Cogema. J'ai également été en charge de l'ouverture partielle du capital d'Air France, dans le cadre stratégique et politique piloté par Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Gayssot, sous l'égide de Lionel Jospin. Enfin, j'ai représenté la France à la Banque mondiale, participé à l'élaboration des positions françaises au Fonds monétaire international (FMI) et à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), alors très active sur la question du blanchiment de capitaux. Entre 2000 et 2004, dirigeant le service des affaires internationales du Trésor, j'ai participé à de nombreuses réunions internationales - G7, G8, G20 - et préparé comme « sherpa » les sommets des chefs d'État en matière financière, sommet du G8 à Evian par exemple, en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, pour qui j'ai une pensée aujourd'hui. Ces années ont été intenses. J'ai eu la chance de travailler sous l'autorité de plusieurs directeurs du Trésor et plusieurs ministres : j'ai pu apprécier la tradition de loyauté et de neutralité de la fonction publique à la française. Je suis particulièrement fière d'avoir travaillé avec Pierre Bérégovoy qui a forgé en moi une très haute idée de la politique.
La deuxième partie de mon parcours s'est déroulée dans des entreprises où le service public et l'intérêt général tenaient une place importante. Entre 2004 et 2011, j'ai été directrice financière déléguée de France Télécom, durant une période de transformation profonde des conditions concurrentielles. L'entreprise se relevait à peine d'une crise de liquidités, fin 2002, en raison de son fort endettement et de l'évolution de la bulle des télécoms. Mes responsabilités couvraient un champ large - gestion des financements et de la trésorerie, contrôle fiscal, audit et contrôle interne, lutte contre la fraude. Comme responsable des relations avec les agences de notation et les investisseurs financiers, je portais l'image de l'entreprise sur les marchés. Je traitais la partie financière, y compris dans la problématique des réseaux de distribution et le développement de la vente en ligne. En 2011, Christine Lagarde, alors ministre des finances et de l'économie, m'a proposé de prendre la tête de la Caisse centrale de réassurance (CCR), en raison de mon double parcours dans l'administration et dans l'entreprise, et de ma connaissance du secteur des assurances. J'ai encore eu l'occasion, récemment, de la remercier pour sa confiance.
Depuis quatre ans, l'essentiel de ma mission se concentre donc sur la réassurance publique au service de l'intérêt général. Avec l'ensemble des salariés, auxquels je rends hommage, je me suis attachée à tenir les objectifs fixés par l'État actionnaire à 100 %. L'entreprise s'est recentrée sur la gestion du risque de catastrophe naturelle, en la modernisant. Elle a su s'ouvrir à des partenaires extérieurs importants pour améliorer la diffusion de l'information et stimuler la prévention. Au-delà de sa solidité financière et de ses bons résultats, la CCR est un partenaire crédible et légitime qui entretient des relations fortes avec beaucoup de parties prenantes, parlementaires et élus locaux notamment. Beaucoup reste à faire, mais je suis fière du parcours accompli en quatre ans.
La Française des jeux est une société anonyme dont le capital appartient pour 72 % à l'État, pour 20 % aux anciens émetteurs de billets de la loterie nationale, et pour 5 % aux salariés. Elle est le deuxième opérateur de loteries en Europe et le quatrième mondial. Elle développe un modèle de jeu expansif : beaucoup de joueurs misent de petites sommes. Elle touche un public large de 27 millions de joueurs, soit un Français sur deux en âge de jouer. En 2013, plus de 12 milliards d'euros ont été misés, redistribués à 95 %, dont 23 % pour les finances publiques. La Française des jeux, ce sont aussi des hommes et des femmes que je félicite pour le parcours remarquable de leur entreprise. Je voudrais tirer un coup de chapeau à Christophe Blanchard-Dignac qui, en quatorze ans, a considérablement transformé et développé cette entreprise, au bénéfice de tous et dans le respect de valeurs fortes.
Vous connaissez le cadre de la régulation, qui repose essentiellement sur le décret de novembre 1978 ; en 1985, l'entreprise s'est également vu attribuer les paris sportifs dans les points de vente puis en 2010, les offres de paris sportifs en ligne. Ses activités en monopole représentent 99 % des mises qu'elle reçoit. L'entreprise est contrôlée par l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) pour ses activités concurrentielles. Entreprise nationale engagée au service de l'intérêt général, la Française des jeux a développé une politique de responsabilité sociétale. Elle est la loterie la mieux notée en la matière. La fondation de l'entreprise dispose d'un budget équivalent à 4 % du résultat net de l'entreprise, soit 18 millions d'euros sur cinq ans, pour intervenir dans les domaines du sport de haut niveau, du handicap et de la solidarité. Elle est très engagée auprès des fédérations sportives et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), elle finance sa propre équipe cycliste sont défendues des valeurs d'intégrité et de performance collective. Elle mène également une action en matière de handicap, comme employeur, mécène et partenaire. La force de l'entreprise est dans sa capacité à mener à bien son développement économique dans un cadre acceptable d'un point de vue social.
Si votre vote valide ma candidature, je poursuivrai la mission que s'est donnée la Française des jeux, celle d'organiser dans des circonstances sûres et contrôlées la demande de jeu du grand public, en prévenant les excès et les dérives, dans le respect de l'ordre public. Christophe Blanchard-Dignac s'est engagé depuis 2006 dans une politique de jeu responsable. Un très haut niveau d'exigence en ce domaine contribue à faire de l'entreprise un leader des loteries européennes. La société civile participe à ce succès, notamment le réseau des distributeurs en contact avec les clients. À cela s'ajoute une structure financière solide et saine, construite sur la maîtrise de la trajectoire des mises. L'entreprise contribue ainsi aux recettes publiques. Il faudra investir pour rendre cette contribution pérenne. L'entreprise et ses clients changent, les pratiques se renouvellent. Nous devrons donc moderniser le réseau de distribution, rendre plus performants le système informatique et la plate-forme technologique, même si leur efficacité est déjà avérée. Je voudrais revenir sur l'importance du réseau de distribution. Les buralistes et les distributeurs de presse sont dans une situation économique difficile - pour des raisons extérieures à la Française des jeux. L'une de mes priorités sera de les rencontrer, car ils ont un rôle clef pour l'entreprise.
Je m'inscrirai pleinement dans la ligne stratégique définie dans le passé. Je travaillerai également à quelques chantiers d'avenir. Une réforme de la distribution est déjà engagée, pour remédier à l'attrition du réseau. C'est un enjeu économique pour la Française des jeux ; cela participe aussi de l'aménagement du territoire, car les points de vente sont des services de proximité qui contribuent à l'animation des territoires. La digitalisation est un autre défi majeur. Les clients sont multi-équipés en matière technologique. Les habitudes de consommation évoluent très rapidement. Comment combiner l'importance du réseau physique avec le développement de la vente en ligne, pour que l'entreprise continue à se développer avec les clients de demain ? Le développement à l'international ne fait plus débat. La Française des jeux dispose déjà d'atouts significatifs : son modèle de jeu est une référence, son savoir-faire aussi, qu'il s'agisse de l'outil informatique ou du marketing. La digitalisation lui offre une opportunité de se développer à l'international dans un cadre bien étudié, car l'essentiel de son activité est en monopole. Je continuerai à construire une vision partagée de la stratégie d'entreprise, dans un monde qui change très vite. Pour cela, j'appliquerai ma méthode et mon éthique : être au coeur de l'entreprise, dialoguer avec les collaborateurs, aller sur le terrain. Il serait présomptueux d'en dire plus aujourd'hui sur la stratégie que je veux appliquer dans une entreprise que je ne connais pas encore de l'intérieur.
Je terminerai en disant un mot du sujet qui agite la presse actuellement, l'éventualité d'une ouverture du capital. Cette ouverture ne peut être qu'une décision de l'actionnaire. À ce stade, l'État n'a arrêté aucune position. C'est une question complexe et débattue. Je peux seulement dire que si l'État me demandait d'étudier cette possibilité, je le ferais avec le souci de penser une telle opération comme un levier d'accomplissement de la stratégie de l'entreprise.
À titre personnel, pensez-vous qu'il soit possible que l'État devienne l'actionnaire minoritaire d'une entreprise qui détiendrait un monopole sur certains jeux ? Ou bien le monopole implique-t-il que l'État reste majoritaire ? Par ailleurs, pour un développement de la Française des jeux à l'international, quels pays offriraient les meilleurs relais de croissance ?
Au-delà de mon opinion personnelle, je précise que l'État a évoqué une ouverture seulement partielle du capital : il resterait majoritaire. Quoi qu'il en soit, la question est complexe et demande réflexion. En 2009 déjà, une étude avait été menée sous l'égide de Christophe Blanchard-Dignac. Des juristes, des conseillers financiers, avaient été consultés. J'ignore quelles ont été leurs conclusions mais aucune opération n'est intervenue. J'ai été formée à ne parler que de ce que je connais à fond, c'est pourquoi je ne peux pas en dire plus à ce stade.
Quant au développement à l'international, la Française des jeux a déjà une activité à cette échelle. Le jeu Euromillions a été créé en partenariat avec d'autres loteries européennes. Un atout important de l'entreprise française est son offre de services techniques en matière de plateforme technologique. L'opportunité est déjà exploitée mais peut être développée. L'offre d'un back office technologique à d'autres entreprises européennes n'a pas suscité d'interrogations de la part de la Commission européenne. C'est un relais de croissance possible. La priorité reste de nouer des liens forts avec nos partenaires européens.
Je suis heureux que cette audition nous donne l'occasion de nous retrouver. Je connais vos qualités, votre compétence et vos règles d'éthique. Pour ce qui est de l'ouverture de la Française des jeux à l'international, pensez-vous que la plateforme technologique et le partenariat au niveau communautaire sont des relais de croissance solides ? Sont-ils suffisants ? Ne faudrait-il pas aussi développer des produits sous licence ? Serait-il envisageable pour la Française des jeux de prendre le contrôle d'autres opérateurs européens au vu de ses activités monopolitiques en France ?
Sur les arbitrages de performance, vous avez évoqué le fait que les gains sur les jeux contribuaient à l'équilibre d'exploitation des buralistes et distributeurs de presse, et au maintien de leurs points de vente sur le territoire. Peut-on considérer qu'un buraliste est un service public en tout point du territoire, parce qu'il vend du tabac, des timbres fiscaux, etc. ? L'existence d'un réseau de distribution physique se justifie-t-elle encore face à la vente en ligne et aux besoins nouveaux des clients ?
Le portefeuille d'activités de la Française des jeux a beaucoup évolué - paris sportifs, jeux en ligne. Lorsque ces derniers ont été lancés, l'idée était de rapatrier l'activité partie se loger dans les paradis fiscaux, à Malte ou à Gibraltar par exemple. Pourtant, les jeux en ligne n'ont pas eu le succès escompté. Croyez-vous qu'un rééquilibrage est encore possible ?
Certains d'entre nous sont assez réservés sur une éventuelle cession des titres de l'entreprise, car c'est une belle et bonne entreprise. N'y aurait-il pas des alternatives ? Un système de licence comme l'ont fait les Britanniques, par exemple. Il est de bon rapport et permet à l'État de conserver son portefeuille d'activités.
La Française des jeux est affaire de finances mais aussi de valeurs. La situation de monopole implique une responsabilité sociétale. La notation de l'entreprise en ce domaine est de très bonne qualité. Les médias ne cessent pourtant d'évoquer le problème de la protection des mineurs en matière de jeux. Une émission de télévision a montré comment les mineurs passent facilement au travers des mailles du filet et développent des comportements d'addiction. Nous avons largement traité le sujet, au Sénat, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation des jeux en ligne. Quel est votre sentiment ? Enfin, le modèle français est-il original du point de vue des valeurs par rapport aux modèles de jeux d'autres pays ?
La fonction à laquelle vous vous portez candidate demande un engagement fort et de grandes compétences. Je viens d'un petit département, rural. Les buralistes font partie de la vie de nos villages. Comment envisagez-vous le volet économique et financier, en termes d'emplois ? Quel pourrait être votre engagement vis-à-vis des territoires ruraux ? Comment lutter efficacement contre les addictions ? Tout cela n'est pas simple.
Quelle est votre vision des relations que la Française des jeux doit entretenir avec le monde du sport ? Pour l'instant, elle fait du mécénat, elle est présente dans le cyclisme et, même si on ne lui a pas demandé son avis sur ce point, elle participe au financement du Centre national pour le développement du sport (CNDS).
Votre parcours professionnel est très intéressant. Vous avez oeuvré à une échelle internationale et travaillé sur des questions européennes. Ce qui est très utile à une époque où la règlementation européenne devient prégnante.
Comment établir une synergie entre les entreprises du service public en France, quand la ressource se fait rare ? La Française des jeux a passé au début de l'année un accord avec TF1, mettant fin à un long contrat avec France Télévisions - France 2, plus précisément. Les nombreux manquements à ce dernier contrat justifient sans doute le changement de prestataire. Est-ce une priorité pour vous que les entités de service public travaillent de concert ?
Je rebondis sur le sujet des valeurs et de l'éthique. Peut-on continuer à interdire aux mineurs l'accès à vos produits dans le réseau de distribution physique, quand il est si difficile de contrôler l'identité des joueurs en ligne ?
Je ne dirige pas encore la Française des jeux. Je devrai me forger une opinion avant de pouvoir m'exprimer sur plusieurs des sujets que vous avez évoqués.
Les relais de croissance ne se limitent pas à l'international. En matière de digitalisation, l'entreprise avait une ambition supérieure, puisqu'elle espérait 10 % des ventes en ligne, elle n'en a obtenu que 3 %. Le marché des jeux en ligne s'est moins développé que ce qu'on imaginait lors de l'ouverture à la concurrence. La Française des jeux a proposé un poker en ligne, par exemple, qui a eu des résultats décevants. De manière générale, dans ce secteur il y a eu un surinvestissement de la part de nombreux acteurs, puis un réajustement des ambitions et une consolidation. Relais de croissance à l'international ? J'ai besoin de connaître les tenants et les aboutissants de la question avant de pouvoir dire si l'opportunité est réelle ou pas. Le développement des produits sous licence est certainement une piste intéressante. La prise de contrôle d'opérateurs est plus délicate, l'opération envisagée sur un opérateur anglais bien connu a du reste été abandonnée. Si l'on a renoncé, c'est que la question devait être délicate. Je réserve mon jugement. La Française des jeux est majoritairement fondée sur son monopole. Remettre en cause ce monopole, ce serait scier la branche sur laquelle elle est assise. Il convient donc, en tout cas, de ne rien faire en ce sens.
Quant à l'arbitrage de performance, plusieurs d'entre vous y ont fait référence au sujet des buralistes. Le réseau connaît une attrition : c'est un problème pour la Française des jeux, qui tente en vain de la freiner. En 2014, encore 1 000 points de vente ont disparu. Il s'agit donc de trouver des relais complémentaires - 1 200 autres points de vente existent déjà - puisque le réseau physique reste incontestablement le meilleur instrument pour mettre en oeuvre sa politique de sécurité.
Je n'ai pas vu l'émission de télévision que vous mentionnez. Je sais cependant que, dans le cas évoqué, il n'y a pas eu un problème de vente à des mineurs mais de jeu à crédit, ce qui est également interdit : un détaillant a favorisé chez son client un comportement qu'il aurait dû refuser. Après enquête, la Française des jeux a retiré son agrément au détaillant fautif. Lequel a contesté cette décision devant les tribunaux. La justice a plutôt donné raison à la Française des jeux.
Si la vente en ligne est aujourd'hui peu développée, l'activité de l'entreprise n'en a pas souffert. Nous assistons néanmoins à présent à une accélération de la consommation en ligne dans tous les secteurs. Si l'entreprise veut maintenir sa relation avec les clients et ses perspectives de croissance, elle aura à développer une offre de ce type au-delà des 3 % actuels, sans que cela nuise à son réseau physique. Celui-ci sera équipé de terminaux de vente en ligne sur sites, tels qu'Orange, par exemple, les propose. L'utilisation alternée par les clients de ce dispositif et du réseau physique favorisera le suivi de leurs parcours, indispensable à l'application de la règlementation sur les mineurs et sur le blanchiment. Comment savoir qui se connecte en ligne, demandez-vous. La Française des jeux exerce déjà un contrôle très rigoureux, au point que certains usagers sont découragés par un parcours qui n'est pas très agréable pour les clients. Nous nous appuyons sur l'évolution de la technologie pour concilier le contrôle de l'identité des joueurs et l'analyse de leurs comportements (addictions, montants des enjeux...) avec une offre attractive. Ce modèle de jeu responsable est un atout. Christophe Blanchard-Dignac, avec qui j'en ai beaucoup parlé, m'a dit qu'il avait été le héraut européen sur ce sujet. Il partage avec ses homologues la conviction qu'un tel encadrement est bon pour le jeu. La Française des jeux reste l'acteur qui a poussé le plus loin la mise en pratique de cette conviction, afin d'empêcher que le jeu devienne le canal de trafics et de scandales. Souhaitons qu'elle soit imitée à l'étranger.
Vous m'interrogiez, Monsieur Yung, sur les paris sportifs. La Française des jeux les a développés avec succès, en laissant toutefois de côté les paris hippiques, déjà gérés par un autre opérateur.
Sur votre autre question, l'État ne m'a pas sollicitée au sujet de la cession de titres, mais votre interrogation est légitime ; bien d'autres possibilités peuvent être étudiées si l'État veut faire évoluer le modèle économique et financier de la Française des jeux. D'autres modèles, à l'étranger, pourraient être intéressants pour les finances publiques.
La combinatoire entre les objectifs financiers et les valeurs fait la spécificité de l'entreprise : celle-ci ne saurait croître sans demeurer identifiée à des valeurs fortes, qui comptent dans la relation qu'elle entretient avec ses clients. Son action en matière sportive contribue à son image positive. Une équipe cycliste qui se comporte bien dans le Tour de France, comme ce fut le cas de l'équipe de la Française l'été dernier, vaut toutes les campagnes de publicité.
La Française de jeux a développé un grand savoir-faire dans sa lutte contre l'addiction : détection des comportements addictifs, envoi de messages d'alerte, blocage de la capacité de jouer... Le réseau physique est en première ligne dans ce combat. La régulation des jeux y contribue également : le Rapido, jugé très addictif, a été retiré - bien qu'il ait connu un grand succès commercial. Connaissez-vous beaucoup d'entreprises prêtes à renoncer ainsi à du chiffre d'affaires ?
Le financement du CNDS a été voté par le Parlement ; à mes yeux, c'est cependant un point positif pour l'entreprise, même si, vous avez raison Monsieur Vincent, il ne s'agit pas d'un mécénat spontané.
Enfin, Monsieur Gattolin, je vous remercie d'avoir attiré mon attention sur le contrat avec TF1, sur lequel je n'ai pas eu l'occasion de me pencher...
Comment appréciez-vous l'action de l'ARJEL, et comment envisagez-vous vos relations avec elle ?
C'est une autorité indépendante, sur laquelle je me garderai de porter un jugement, d'autant plus que je n'ai jamais été en relation avec elle. J'ai en revanche pris connaissance des débats qui ont entouré son installation. La Française des jeux était déjà régulée, pour la partie monopolistique de son activité, par la direction du budget ; s'y est ajoutée l'ARJEL pour la partie concurrentielle. L'entreprise a su, après une période de rodage, nouer avec cette autorité une relation constructive. L'actuel président de l'ARJEL m'inspire d'ailleurs le plus grand respect professionnel ; j'espère pouvoir l'interroger sur sa perception de nos relations.
La commission procède ensuite au vote sur la proposition de nomination du président-directeur général de La Française des jeux et au dépouillement simultané du scrutin au sein des commissions des finances des deux assemblées.
MM. François Marc et Philippe Dallier, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.
Mes chers collègues, voici le résultat du vote :
- Nombre de votants : 19
- Blancs : 2
- Suffrages exprimés : 17
- Pour : 17
- Contre : 0
Ce vote sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
La commission émet un avis favorable à la nomination de Mme Stéphane Pallez en tant que président-directeur général de La Française des jeux.
La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial, sur la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
Nous avons déjà eu l'occasion, la semaine dernière, d'aborder le budget de la Cour des comptes et d'évoquer le Haut Conseil des finances publiques, dont nous avons entendu le président, Didier Migaud. Ces deux institutions entrent dans le champ de la présente mission, qui se compose de quatre programmes : le Conseil d'État et les autres juridictions administratives, la Cour des comptes et les autres juridictions financières, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, depuis la loi de finances pour 2014, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
Cette mission, qui connaît une progression de 1 % de ses crédits par rapport à 2014, représente 637 millions d'euros de crédits de paiement, dont plus de 60 % reviennent aux juridictions administratives. Les juridictions financières représentent 34 % de la mission. Le CESE et le HCFP ne pèsent, respectivement, que 6 % et 0,1 % du total. En raison de leurs spécificités, ces programmes sont préservés des contraintes habituelles de régulation budgétaire.
Les crédits du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » augmentent de 2,2 %, avec 383,3 millions d'euros en crédits de paiement. En 2015, 35 équivalents temps plein supplémentaires sont prévus, dont 14 postes de magistrats administratifs, dans le cadre de la création des 635 emplois en faveur de la justice. Cet effort portera principalement sur les tribunaux administratifs et le traitement du contentieux de l'asile, afin de poursuivre la réduction des délais de jugements, objectif prioritaire de la stratégie de performance de ces juridictions.
Des délais moyens de dix mois sont ainsi envisagés pour 2015 dans les tribunaux administratifs comme dans les cours administratives d'appel. Cet objectif correspond à une stabilisation pour les premiers, à une diminution d'un mois pour les secondes. Cette ambition est d'autant plus remarquable qu'on observe une progression du nombre des affaires dans toutes les juridictions administratives : hausse de 15,6 % au premier semestre 2014 pour les tribunaux administratifs et de 6,5 % pour les cours administratives d'appel. L'analyse des délais moyens de jugement doit néanmoins être nuancée car des situations tendues persistent, notamment dans les tribunaux administratifs de Nantes ou de Basse-Terre. Les efforts de productivité accomplis ces dernières années dans les juridictions administratives méritent d'être salués.
Les renforts en effectifs accordés depuis 2010 à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) semblent porter leurs fruits. Le délai moyen de jugement y a été réduit de moitié par rapport à 2009, pour atteindre 6 mois et 10 jours en 2014. L'objectif pour 2015 est de descendre à 6 mois, délai quasi-incompressible. La qualité des jugements n'en a pas été affectée : leur taux d'annulation par le Conseil d'État est en constante diminution.
Le budget du CESE pour 2015 s'établit à 38,4 millions d'euros en crédits de paiement, soit une diminution de 0,4 %. Les dépenses de personnel, qui constituent plus de 85 % des crédits du Conseil, diminuent de 0,1 % et ses autres crédits de 1,7 % (dont 1 % pour les crédits de fonctionnement, qui s'établissent à 4,8 millions d'euros).
Les dépenses d'investissement restent stables. Le financement du programme pluriannuel d'investissement immobilier du palais d'Iéna est assuré en partie par les recettes de valorisation du patrimoine immobilier, issues de la location du palais d'Iéna pour diverses manifestations, qui devraient atteindre 1,7 million d'euros en 2015. Un schéma vertueux s'instaure ainsi entre la valorisation du patrimoine du CESE et son programme d'investissement immobilier.
L'année 2015 verra le renouvellement des membres du Conseil, ce qui devrait affecter l'équilibre déjà précaire de sa caisse de retraites. Il a donc décidé de recourir à l'expertise de la Caisse des dépôts et consignations afin d'élaborer des propositions de réforme pour assurer le financement pérenne de son régime.
Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » est doté de 214,5 millions d'euros en crédits de paiement, soit un budget en légère diminution (0,9 %). Cette baisse s'observe principalement sur ses dépenses de personnel (86,7 % des crédits du programme, en diminution de 1,9 million d'euros pour s'établir à 186 millions), dont je précise, pour lever toute ambiguïté, qu'elles sont très largement dépendantes des variations du taux de contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Les dépenses de fonctionnement connaissent, elles aussi, un recul (- 9,6 %).
Le coût de la réforme des juridictions financières, et plus particulièrement du regroupement de sept chambres régionales des comptes (CRC), a été encore revu à la baisse : la Cour des comptes l'estime finalement à 6,8 millions d'euros au total (contre 12 millions d'euros en estimation initiale). Le coût supporté en 2015 est évalué à 270 000 euros, qui correspondent au reliquat des primes versées au personnel concerné par le regroupement. On attend près d'un million d'euros d'économies de fonctionnement, à redéployer au profit des dépenses d'investissement qui connaissent, en 2015, une augmentation importante en raison de la programmation de travaux de réhabilitation et de sécurisation des installations de la Cour des comptes. Celle-ci estime d'ailleurs que les coûts de la réforme, hors dépense de personnel (soit 3,5 millions d'euros), auront été compensés par les économies réalisées d'ici environ quatre ans. Nous ne manquerons pas alors de vérifier si c'est bien le cas.
Le dernier programme, consacré au Haut Conseil des finances publiques, est doté de 0,82 million d'euros, dont 370 000 euros concernent les dépenses de personnel et sont destinés à financer 3 ETPT - les autres postes correspondent à des fonctions non rémunérées. Parmi les dépenses de fonctionnement, 350 000 euros sont inscrits pour les frais d'études et d'expertise.
Je propose donc à la commission d'adopter, sans modification, les crédits proposés pour la mission et chacun de ses programmes.
Une question iconoclaste : que pensez-vous de l'efficacité du CESE et de l'impact de ses rapports ? Et, en particulier, est-il bien utile d'avoir un Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) dans chaque région ? Ils ne figurent pas dans ce programme, mais ils coûtent cher. Voilà vingt ans que je siège au conseil régional d'Ile de France, j'en préside la commission des finances, et sincèrement je n'ai pas été souvent ému par la portée des rapports du Conseil économique et social de la région... Ne pourrait-on pas envisager un regroupement de ces institutions ?
Une question analogue au sujet de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes : leur rôle est sans doute important, mais les comptes des collectivités territoriales sont déjà sous le contrôle du préfet et du Trésor public. La mission d'élu de base, souvent difficile, est compliquée par cet empilement de structures et ce surcroît de procédures extrêmement rigoureuses. Le moindre emprunt nous vaut une mise en garde de la préfecture, si ce n'est une convocation. Et la surveillance de la chambre régionale des comptes vient encore s'y ajouter... N'est-ce pas disproportionné par rapport aux budgets de nos collectivités territoriales ?
Le contrôle par les chambres régionales des comptes a son intérêt, si l'on en juge par la situation d'un certain nombre de collectivités locales. En revanche, les chambres régionales des comptes ont parfois tendance à se livrer à un contrôle de l'opportunité des opérations. Or c'est bien au politique qu'il revient de choisir les projets.
Je partage l'interrogation de Roger Karoutchi sur les CESER. Quant aux juridictions financières, leur plafond d'emplois reste le même - 1840 - et l'on nous dit que les dépenses de personnel vont rester stables. Pourtant nous assistons à une requalification des emplois au profit des catégories A et A+, en supprimant des catégories B et C. J'ai du mal à croire que les dépenses de personnel n'augmentent pas en conséquence.
La présentation des délais de jugement dans les juridictions administratives est tendancieuse. Je partage tout-à-fait ce qu'écrit le rapporteur général dans sa note, car dix mois, c'est en effet une moyenne entre des contentieux très disparates. Certaines ordonnances sont parfois rendues dans la journée ! D'autres contentieux en un mois. En revanche, les affaires ordinaires, et ce sont elles en réalité qui préoccupent les citoyens, comme le contentieux lié aux travaux publics et les permis de construire, sont traitées bien plus lentement que la moyenne affichée. Les projets sont parfois bloqués quatre ou cinq ans ! Il vaudrait la peine d'interroger le Conseil d'Etat sur cette question précise pour qu'il définisse et fasse apparaître un délai maximal de jugement des affaires ordinaires, qui sont celles sur lesquelles les citoyens sont en droit d'attendre une réelle efficacité du service public.
Pour répondre à nos collègues, les chambres régionales des comptes ne contrôlent pas uniquement les collectivités territoriales, mais aussi les sociétés d'économie mixtes et autres organismes. Elles sont en outre appelées, depuis la réforme des juridictions financières, que nous avons votée, à participer à des enquêtes transversales, ce qui est très important pour disposer d'analyses et d'évaluations plus fines. Cela a été le cas par exemple cette année avec l'enquête sur les Maisons départementales des personnes handicapées, qui a permis notamment d'évaluer l'efficacité de la dépense publique en faveur de ces dispositifs, dont on sait qu'ils suscitent des interrogations au sein de nos collectivités. Les CRC ne sont pas des « pères fouettards ». Leur regroupement répond d'ailleurs aux objections de nombreux élus sur le niveau d'expertise des contrôles locaux. Se posera ensuite la question de la certification des comptes des grandes collectivités. Si elle avait été en vigueur lorsque certaines ont contracté des emprunts toxiques, nous aurions sans doute évité beaucoup de déboires...
L'article 37 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, texte qui sera prochainement examiné au Sénat, prévoit que, dans le cadre du transfert de compétences et de moyens, les commissions locales pour l'évaluation des charges et des ressources transférées, seront présidées par des présidents de CRC. Je m'interroge : Y aura-t-il assez de personnel pour cela, notamment dans le cas de fusion de régions et de transferts de compétences en provenance des départements ?
Nombre de ces questions dépassent mes qualités de rapporteur spécial, et même de rapporteur général ! Celle de Roger Karoutchi sur le CESE, par exemple : avons-nous dans cette enceinte une majorité de trois cinquièmes pour réviser le titre XI de la Constitution ? Je partage en revanche, à titre personnel, son avis sur les CESER.
Michel Bouvard a déjà largement répondu à la question de Marc Laménie : les chambres régionales des comptes ne jugent pas seulement les comptes des collectivités. Reste la question de Daniel Raoul : doivent-elles juger en droit ou en opportunité ? Ce débat dépasse évidemment le cadre budgétaire. Je me contenterai de rappeler ce que nous disait le Premier président de la Cour des comptes : au regard de la dépense publique en France, nous consacrons des sommes très modestes au contrôle des comptes de nos collectivités, de l'État et des organismes parapublics, a fortiori si l'on compare notre pays avec ses voisins.
Philippe Dallier remarque avec raison que le plafond d'emplois des juridictions financières reste inchangé, mais il faut considérer avec prudence les effectifs théoriques des juridictions financières par rapport aux effectifs réels, puisqu'un tiers environ des magistrats financiers exercent en dehors du programme. Il faut souligner que globalement, les juridictions financières réalisent des économies de fonctionnement (950 000 euros en année pleine, dont 770 000 sur les loyers) grâce à la fusion des sept chambres régionales des comptes.
Je suis pleinement d'accord avec Claude Raynal : certains contentieux administratifs sont contraints par des délais très brefs, comme les référés ou le contentieux électoral, tandis que d'autres dérivent, alors qu'ils portent sur des questions très sensibles, comme l'urbanisme, ou encore les déclarations d'utilité publiques, qui intéressent tout le monde, sur le tracé des lignes à grandes vitesse par exemple... Ces projets sont systématiquement attaqués et peuvent être compromis par la lenteur des procédures alors même qu'ils représentent un enjeu majeur pour notre pays. Il convient donc de considérer cet indicateur de délai moyen avec beaucoup de recul.
Michel Bouvard a raison de remarquer que si la certification des comptes des collectivités avait existé à l'époque, les intéressées n'auraient peut-être pas souscrit toutes sortes d'emprunts risqués et il n'y aurait peut-être pas eu d'affaire Dexia. L'appui des juridictions financières leur sera plus que jamais nécessaire dans un contexte difficile de réduction de leurs dotations.
Reste la question des moyens dont disposeront les chambres régionales des comptes pour arbitrer les commissions locales pour l'évaluation des charges et des ressources... La discussion du projet de loi de réforme territoriale promet en tout état de cause de longs débats.
Je constate en tout cas que vous semblez d'accord pour accompagner l'effort de réduction des délais de jugement des juridictions administratives et adopter sans modification les crédits de la présente mission.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ».
La réunion est levée à 16 h 55.