Intervention de Bruno Lasserre

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 22 octobre 2014 : 1ère réunion
Avis de l'autorité relatif au secteur des autoroutes — Audition de M. Bruno Lasserre président de l'autorité de la concurrence

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Notre avis ne porte pas sur la pertinence du choix de privatiser effectué en 2006. L'Autorité de la concurrence n'a pas pour mission de protéger les intérêts patrimoniaux de l'État, comme le fait par exemple la Cour des comptes. Elle ne dispose pas de l'expertise nécessaire pour évaluer le coût d'un rachat anticipé des concessions. Cette décision relève d'un débat politique. Nous n'avons pas non plus pour mission de surveiller la qualité des travaux, de l'entretien des autoroutes et de leurs ouvrages d'art. De même, nous ne nous sommes pas intéressés aux échangeurs. Nous nous sommes concentrés sur la régulation du secteur et sur le projet de plan de relance autoroutier.

Comment l'État a-t-il négocié ? Quel a été le rôle respectif des responsables politiques et des fonctionnaires ? Notre rôle n'est pas de jeter la pierre ou d'établir les responsabilités personnelles. Privatiser les autoroutes a été un choix politique et non administratif. Toutefois, je suis préoccupé de voir l'affaiblissement de l'État dans ses directions techniques. La France perd en compétences et, qu'il s'agisse des infrastructures, de l'énergie, des transports ou de la santé, l'État ne possède plus de l'armature dont il disposait après-guerre. Les personnes les plus compétentes quittent son service après quelques années. Nous voyons bien que nos interlocuteurs sont des fonctionnaires de moins en moins expérimentés.

L'État s'est désengagé de la construction des routes, qui revient aux collectivités territoriales. La direction des routes, qui concentrait l'élite du corps des Ponts, était très puissante. Ses membres savaient ce que représente un kilomètre d'enrobé bitumineux. Il est vrai que cette compétence technique éclipsait quelque peu les considérations économiques. L'attention des ingénieurs des Ponts porte davantage sur la sécurité des ouvrages que sur l'équilibre financier des contrats.

Nous avons la preuve que, dans ce dossier, le pouvoir politique a arbitré, parfois contre l'avis de fonctionnaires qui avaient vu juste. Par exemple, sur le taux de rentabilité interne, l'estimation proposée par les services était beaucoup plus dure que celle qui a été retenue par les cabinets ministériels après concertation avec les sociétés autoroutières. En matière d'énergie, de télécommunications, de transports et d'infrastructures, l'État dépend de plus en plus des arguments fournis par ses interlocuteurs privés.

L'intérêt du travail d'une autorité administrative indépendante (AAI) est qu'elle a du recul et que ses décisions sont prises de manière collégiale, après une contre-expertise impartiale de chaque argument. Ce n'est pas parce qu'une entreprise est puissante que l'argument qu'elle avance nous paraîtra convaincant. Si l'intervention d'une AAI est le prix à payer pour protéger l'État et les citoyens, celui-ci n'est-il pas justifié ?

Faut-il laisser aux SCA la possibilité de déduire intégralement leurs intérêts d'emprunts de leurs résultats ? Pour les autres entreprises, cet avantage a été limité ou supprimé. C'est à vous que revient cette décision. Lors de mon audition à l'Assemblée nationale, un député m'a indiqué qu'une disposition du projet de loi de finances pour 2015 commençait à raboter cet avantage.

Est-il possible d'opérer un prélèvement fiscal sur les bénéfices des SCA ? Là encore, il s'agit d'un choix politique. Sur le plan juridique, les contrats sont très bien rédigés. Celui qui a été signé avec Cofiroute, qui était déjà une société privée avant 2006, stipule que tout changement dans la fiscalité défavorable à l'entreprise doit être intégralement compensé. La rédaction des six autres contrats est moins claire. Ils prévoient une clause de rendez-vous en cas de changement de la fiscalité spécifique aux SCA. Si aucune compensation n'est prévue, l'État devra recevoir ces entreprises, qui ne manqueront pas d'en réclamer une. Nous proposons de consulter, sur ce point, le Conseil d'État.

Pouvons-nous renégocier les contrats ? À froid, l'État peut, fort des constats de l'Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes, modifier unilatéralement le contrat. La jurisprudence administrative est cependant très claire : cette modification doit être compensée : les entreprises chiffreront leur manque à gagner. Là encore, nous recommandons une saisine préventive du Conseil d'État. Tous ces contrats de concession se fondent sur un décret de 1995. C'est dans le cadre des contrats de plan successifs, dont certains viennent actuellement à échéance, que la formule d'évolution des péages a été modifiée en faveur des SCA. Il y a là une marge de manoeuvre pour l'État.

Une autre possibilité, qui me semble plus appropriée, est de profiter de la négociation du plan de relance pour modifier les contrats, puisque les sociétés concessionnaires demandent une prolongation de leur durée. Si nous ne le faisons pas, la prolongation sera extrêmement profitable pour ces sociétés. L'État doit proposer de nouvelles règles tarifaires, selon lesquelles l'évolution du trafic corrigera la prise en compte de l'inflation, et qui comprendront des clauses de réinvestissement partiel, voire de partage des bénéfices en cas de rentabilité excessive. Une telle négociation à chaud, si le plan de relance est accepté à Bruxelles, semble la plus appropriée.

Option plus radicale, le rachat anticipé des concessions, serait coûteux : le calcul du manque à gagner des SCA se ferait selon les règles actuelles, qui leur sont avantageuses. En l'état du droit, un tel rachat doit être compensé selon ces règles.

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