Les résultats de l'évaluation des bilans des grandes banques françaises ont été publiés avant-hier - 130 banques de la zone euro ont été passées en revue. J'y reviendrai ainsi que sur les actions décidées par la BCE pour répondre aux difficultés du contexte économique actuel - faible croissance, faible inflation et chômage élevé - même si la politique monétaire ne peut pas se substituer aux politiques économiques des États, qui restent cruciales.
L'évaluation des bilans des grandes banques françaises constituait l'étape ultime avant le transfert de la responsabilité du contrôle prudentiel des banques les plus importantes de la zone euro au Mécanisme de supervision unique (MSU), placé sous l'égide de la BCE, le 4 novembre prochain. Il s'agissait de faire démarrer la supervision unique sur des bases transparentes et robustes de façon à restaurer la confiance des investisseurs et des marchés dans le système bancaire européen. Le champ couvert par cet exercice était large : 130 banques de la zone euro, représentant un bilan de 22,1 trillions d'euros, soit 82 % des actifs bancaires. La France représente un peu plus de 30 % de ce total avec treize groupes bancaires examinés, soit plus de 96 % des actifs du système bancaire français. Notre système bancaire étant plus concentré que les autres, un plus grand nombre d'établissements français sont concernés. La première partie de l'exercice consistait en une revue approfondie des actifs à fin 2013 (Asset Quality Review) : la qualité des dossiers de crédit a été examinée, nous avons vérifié que les actifs à risque étaient bien identifiés comme tels et nous avons demandé éventuellement des provisions supplémentaires. Dans un second temps, nous nous sommes livrés à une projection de cette situation, avec des corrections éventuelles sur les trois prochaines années, selon un scénario de référence dit baseline et un scénario adverse, comprenant récession, événements économiques brutaux - comme une baisse des prix immobiliers de 30 %, par exemple, s'agissant de la France. À l'issue de cet exercice, les établissements bancaires devaient justifier d'un ratio de solvabilité sur fonds propres d'au moins 8 % en période normale et de 5,5 % en période de stress. En France, tous les établissements ont réussi ces tests, sauf la Caisse de refinancement de l'habitat (CRH), organisme interbancaire de refinancement sécurisé de crédits immobiliers résidentiels, auquel il manquait 124 millions d'euros mais qui avait, par anticipation, augmenté son capital au premier semestre 2014 de 250 millions d'euros. En réalité, son besoin en capital résultait des nouveaux modes de calculs réglementaires introduits au 1er janvier dernier par la directive relative aux règles de capital.
L'évaluation des actifs à fin 2013 a conduit à un ajustement limité dans le cas des banques françaises, de 18 points de base sur le ratio de fonds propres. C'est peu. Les banques françaises représentent 30 % des actifs des banques européennes soumises à l'exercice et seulement 12 % de l'impact total constaté à son issue. Notre supervision a pu sembler intrusive, sévère et désagréable : mais elle a permis une valorisation des actifs proche des résultats de l'exercice coordonné par la BCE. Quant au test de résistance, il a confirmé la capacité de nos banques à résister à des chocs sévères, puisque l'impact moyen s'élève à 231 points de base à l'horizon de fin 2016, alors que l'impact moyen au sein de la zone euro est de 300 points de base. Les banques françaises affichent un ratio de 9 % dans un scénario de stress sévère, bien au-dessus du seuil exigé de 5,5 %. Dans le cadre du scénario de référence, leur ratio global s'établit à 11,8 % contre 8 % demandés. C'est un bon résultat, d'autant que la France a peu utilisé les « options nationales », c'est-à-dire la possibilité de prévoir une période transitoire pour effacer des particularités nationales. Par exemple, les banques françaises déduisent automatiquement de leur capital les non-valeurs provenant des goodwills sur des acquisitions, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays de la zone euro. Grâce à cette règlementation rigoureuse, l'impact des mesures transitoires est quasi-nul en France - 0,20 point - alors qu'il s'établit en moyenne à un peu plus d'un point dans la zone euro. Cette avance n'apparaît pas dans les chiffres mais elle est réelle.
À ma connaissance, l'exercice n'a pas permis d'identifier de risque méritant une vigilance particulière dans l'activité des banques françaises. Depuis la crise, nos banques ont veillé à réduire les risques afférents aux opérations de marché, et se sont recentrées sur les opérations de clientèle ; elles ne prennent plus de positions directionnelles à risque sur les marchés. Leurs opérations de crédit restent également saines, sans investissement discutable ou risqué reconnu par l'exercice, comme c'est le cas par exemple pour certains établissements allemands spécialisés dans le financement de cargaisons de navires.
La BCE assurera le pilotage central du nouveau système dont elle fera fonctionner les instances. Le Conseil de supervision fera part de ses analyses au Conseil des Gouverneurs. Des progrès restent à faire pour harmoniser les méthodes de surveillance et renforcer la solidité des bilans des banques. Si aucune banque française n'est proche de la limite de fonds propres et n'est contrainte de renforcer ceux-ci très rapidement, des améliorations restent possibles : renforcement de la base de fonds propres, encadrement des zones de risque, construction d'un bilan dynamique. Néanmoins, aucun élément ne justifie la prudence quant à la distribution du crédit ou à la réalisation des opérations de marché nécessaires à l'économie française. Enfin, le nouveau système de supervision comportera une évaluation permanente des mesures de surveillance mises en place - au travers de comparaisons horizontales, d'études méthodologiques, et du contrôle de l'activité des superviseurs nationaux sur les petites banques. Loin d'être centralisé, il tendra à devenir fédéral et fonctionnera grâce à des équipes mêlant experts issus de la BCE, c'est-à-dire un noyau dur de cinq et huit personnes par grande banque, des superviseurs nationaux, avec des équipes trois à quatre fois plus nombreuses pour chaque établissement, et des superviseurs des pays de la zone euro dans lesquels l'établissement supervisé comprend de grosses filiales. Les experts nationaux continueront donc d'effectuer l'essentiel de la mission d'inspection, ce qui nous incite à conserver notre corps d'inspecteurs et nos équipes de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dont la productivité s'est jusque-là révélée excellente.
Quant au Mécanisme de résolution unique (MRU), j'ai bien pris connaissance des conclusions et amendements récemment adoptés par votre commission lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Je précise toutefois que la mise en place du MRU ne relève pas de l'Eurosystème, mais de la Commission européenne et des gouvernements nationaux. Enfin, la situation économique actuelle a appelé différentes mesures de politique monétaire de la part de l'Eurosystème. Au cours des deux derniers trimestres, le risque d'une période prolongée d'inflation faible s'est accru, fondé sur une activité faible. Les prévisions de septembre dernier suggèrent une inflation en zone euro autour de 0,6 % pour la fin de l'année 2014, plus basse que prévu. De nouvelles prévisions seront présentées en décembre, qui intégreront la baisse des prix du pétrole et le léger recul de l'euro face au dollar. Nous n'envisageons qu'une remontée progressive de l'inflation sur les deux prochaines années, devant nous conduire vers des niveaux proches de 1,5 % ; nous aurons besoin de temps pour atteindre les 2 % qui sont notre objectif. La faible croissance dans la zone euro (0,8 % en 2014 et 1,1 % en 2015, selon les récentes prévisions de l'Organisation de coopération et de développement économique [OCDE]) pèse négativement sur l'inflation. La France contribue à ces perspectives décevantes, avec une croissance du PIB français revue à la baisse par le Fonds monétaire international (FMI), à 0,4 % pour 2014 et 1 % pour 2015, prévisions compatibles avec les nôtres.
Nous n'acceptons pas de subir une inflation plus faible que notre objectif. L'Eurosystème a donc mobilisé toute la palette des instruments possibles. Le Conseil des Gouverneurs a abaissé ses taux directeurs à un niveau sans précédent : le taux principal des opérations de refinancement, le taux de facilité marginale de prêt et le taux de facilité de dépôt sont passés à 0,05 %, 0,3 % et - 0,20 % respectivement. Bref, les taux d'intérêt à court terme sont quasiment à 0 %. La BCE est la seule grande banque centrale à avoir mis en place des taux négatifs, qui pénalisent les liquidités non utilisées que les banques déposent auprès de l'Eurosystème : nous voulons que les établissements soient aussi actifs que possible dans la distribution de crédit. Ces baisses sont venues renforcer notre forward guidance ou orientation future sur les taux, indications que nous donnons sur nos intentions de politique monétaire, qui visent à influencer également les taux à long terme. Nous voulons que ceux-ci demeurent faibles plus longtemps qu'observé dans les pays où l'économie a déjà redémarré. La forward guidance y contribue : sur les titres d'Etats comme la France ou l'Allemagne, du jour le jour jusqu'à trente ans, la courbe des taux est plus basse et plus comprimée aujourd'hui qu'aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni à l'époque où les taux ont touché leur point bas.
Afin de réduire les tensions financières et pousser les taux à la baisse, le Conseil des Gouverneurs a également mis en oeuvre un programme d'opérations de refinancement à long terme ciblées et à taux fixe (TLTRO), pour inciter les banques à accroître leur offre de prêts aux entreprises et aux ménages. Une opération initiale a eu lieu en septembre, un autre interviendra début décembre. Chaque trimestre, jusqu'en juin 2016, les banques pourront emprunter à nouveau auprès de l'Eurosystème, en fonction de l'augmentation de leur volume de crédit les trimestres précédents. Celles qui, d'ici à 2016, n'auront pas accru leur offre de crédit au-delà d'un niveau de référence devront rembourser les montants empruntés. Les prêts sont normalement consentis pour quatre ans à un taux de 0,15 %, ce qui contribue aussi à aplatir la courbe.
Enfin, l'Eurosystème a lancé un programme d'assouplissement quantitatif sous la forme d'un double achat de titres privés : les asset backed securities, crédits aux entreprises titrisés, c'est-à-dire des titres adossés à des actifs de l'économie réelle, et les covered bonds, qui sont des obligations sécurisées (obligations foncières, adossées sur des logements,...) libellées en euros et émises par des banques de la zone euro. Le coût de refinancement des banques, même à long terme, a ainsi été réduit. On observe en conséquence un vrai découplage entre les taux de la zone euro et ceux des États-Unis, orientés à la hausse. Dans la mesure où notre cycle économique n'est pas aligné sur celui des États-Unis, plus dynamique, il convient en effet de prévenir toute hausse prématurée des taux obligataires en zone euro, de ne pas nous laisser happer par le phénomène de remontée.
La politique monétaire cependant ne peut pas tout et les politiques économiques ont un rôle clé, notamment les réformes structurelles, pour accroître le potentiel de croissance, abîmé pendant les années de crise. Les gouvernants doivent s'employer à rétablir la confiance des agents économiques, en soutenant l'innovation et l'investissement, en veillant à la stabilité de la réglementation, et en ayant une stratégie crédible de consolidation budgétaire et de réduction de la dette, stratégie qui a certes un effet keynésien négatif sur l'activité, mais rassure les agents sur le retour aux équilibres, facteur important pour chasser les inquiétudes concernant les impôts et taxes à venir.