La commission procède à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.
Nous avons le plaisir de recevoir Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, dans une actualité où cette institution est très présente, ainsi que la Banque centrale européenne dont elle fait partie. Si les difficultés économiques que traverse notre pays ne sont pas de la responsabilité première de la Banque de France, vous aviez formulé quelques recommandations pour y remédier, dans la lettre introductive qui accompagnait, au printemps dernier, la remise du rapport annuel de la Banque de France. Face à une situation de stagnation économique persistante dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) met en oeuvre une politique monétaire de plus en plus accommodante, notamment de refinancement aux banques et de rachats d'actifs. Quant à la supervision des banques, dont la BCE prendra la responsabilité la semaine prochaine, l'actualité est marquée par les résultats de la revue de la qualité des actifs bancaires et des tests de résistance des banques, sur lesquels vous nous livrerez votre analyse. Quelles suites leur donner ? Quel avenir pour les banques qui ont échoué, si elles ne sont pas en mesure de se recapitaliser ? De manière plus générale, l'opération a-t-elle permis d'identifier des risques spécifiques qui devront faire l'objet d'une vigilance accrue à l'avenir ?
Les résultats de l'évaluation des bilans des grandes banques françaises ont été publiés avant-hier - 130 banques de la zone euro ont été passées en revue. J'y reviendrai ainsi que sur les actions décidées par la BCE pour répondre aux difficultés du contexte économique actuel - faible croissance, faible inflation et chômage élevé - même si la politique monétaire ne peut pas se substituer aux politiques économiques des États, qui restent cruciales.
L'évaluation des bilans des grandes banques françaises constituait l'étape ultime avant le transfert de la responsabilité du contrôle prudentiel des banques les plus importantes de la zone euro au Mécanisme de supervision unique (MSU), placé sous l'égide de la BCE, le 4 novembre prochain. Il s'agissait de faire démarrer la supervision unique sur des bases transparentes et robustes de façon à restaurer la confiance des investisseurs et des marchés dans le système bancaire européen. Le champ couvert par cet exercice était large : 130 banques de la zone euro, représentant un bilan de 22,1 trillions d'euros, soit 82 % des actifs bancaires. La France représente un peu plus de 30 % de ce total avec treize groupes bancaires examinés, soit plus de 96 % des actifs du système bancaire français. Notre système bancaire étant plus concentré que les autres, un plus grand nombre d'établissements français sont concernés. La première partie de l'exercice consistait en une revue approfondie des actifs à fin 2013 (Asset Quality Review) : la qualité des dossiers de crédit a été examinée, nous avons vérifié que les actifs à risque étaient bien identifiés comme tels et nous avons demandé éventuellement des provisions supplémentaires. Dans un second temps, nous nous sommes livrés à une projection de cette situation, avec des corrections éventuelles sur les trois prochaines années, selon un scénario de référence dit baseline et un scénario adverse, comprenant récession, événements économiques brutaux - comme une baisse des prix immobiliers de 30 %, par exemple, s'agissant de la France. À l'issue de cet exercice, les établissements bancaires devaient justifier d'un ratio de solvabilité sur fonds propres d'au moins 8 % en période normale et de 5,5 % en période de stress. En France, tous les établissements ont réussi ces tests, sauf la Caisse de refinancement de l'habitat (CRH), organisme interbancaire de refinancement sécurisé de crédits immobiliers résidentiels, auquel il manquait 124 millions d'euros mais qui avait, par anticipation, augmenté son capital au premier semestre 2014 de 250 millions d'euros. En réalité, son besoin en capital résultait des nouveaux modes de calculs réglementaires introduits au 1er janvier dernier par la directive relative aux règles de capital.
L'évaluation des actifs à fin 2013 a conduit à un ajustement limité dans le cas des banques françaises, de 18 points de base sur le ratio de fonds propres. C'est peu. Les banques françaises représentent 30 % des actifs des banques européennes soumises à l'exercice et seulement 12 % de l'impact total constaté à son issue. Notre supervision a pu sembler intrusive, sévère et désagréable : mais elle a permis une valorisation des actifs proche des résultats de l'exercice coordonné par la BCE. Quant au test de résistance, il a confirmé la capacité de nos banques à résister à des chocs sévères, puisque l'impact moyen s'élève à 231 points de base à l'horizon de fin 2016, alors que l'impact moyen au sein de la zone euro est de 300 points de base. Les banques françaises affichent un ratio de 9 % dans un scénario de stress sévère, bien au-dessus du seuil exigé de 5,5 %. Dans le cadre du scénario de référence, leur ratio global s'établit à 11,8 % contre 8 % demandés. C'est un bon résultat, d'autant que la France a peu utilisé les « options nationales », c'est-à-dire la possibilité de prévoir une période transitoire pour effacer des particularités nationales. Par exemple, les banques françaises déduisent automatiquement de leur capital les non-valeurs provenant des goodwills sur des acquisitions, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays de la zone euro. Grâce à cette règlementation rigoureuse, l'impact des mesures transitoires est quasi-nul en France - 0,20 point - alors qu'il s'établit en moyenne à un peu plus d'un point dans la zone euro. Cette avance n'apparaît pas dans les chiffres mais elle est réelle.
À ma connaissance, l'exercice n'a pas permis d'identifier de risque méritant une vigilance particulière dans l'activité des banques françaises. Depuis la crise, nos banques ont veillé à réduire les risques afférents aux opérations de marché, et se sont recentrées sur les opérations de clientèle ; elles ne prennent plus de positions directionnelles à risque sur les marchés. Leurs opérations de crédit restent également saines, sans investissement discutable ou risqué reconnu par l'exercice, comme c'est le cas par exemple pour certains établissements allemands spécialisés dans le financement de cargaisons de navires.
La BCE assurera le pilotage central du nouveau système dont elle fera fonctionner les instances. Le Conseil de supervision fera part de ses analyses au Conseil des Gouverneurs. Des progrès restent à faire pour harmoniser les méthodes de surveillance et renforcer la solidité des bilans des banques. Si aucune banque française n'est proche de la limite de fonds propres et n'est contrainte de renforcer ceux-ci très rapidement, des améliorations restent possibles : renforcement de la base de fonds propres, encadrement des zones de risque, construction d'un bilan dynamique. Néanmoins, aucun élément ne justifie la prudence quant à la distribution du crédit ou à la réalisation des opérations de marché nécessaires à l'économie française. Enfin, le nouveau système de supervision comportera une évaluation permanente des mesures de surveillance mises en place - au travers de comparaisons horizontales, d'études méthodologiques, et du contrôle de l'activité des superviseurs nationaux sur les petites banques. Loin d'être centralisé, il tendra à devenir fédéral et fonctionnera grâce à des équipes mêlant experts issus de la BCE, c'est-à-dire un noyau dur de cinq et huit personnes par grande banque, des superviseurs nationaux, avec des équipes trois à quatre fois plus nombreuses pour chaque établissement, et des superviseurs des pays de la zone euro dans lesquels l'établissement supervisé comprend de grosses filiales. Les experts nationaux continueront donc d'effectuer l'essentiel de la mission d'inspection, ce qui nous incite à conserver notre corps d'inspecteurs et nos équipes de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dont la productivité s'est jusque-là révélée excellente.
Quant au Mécanisme de résolution unique (MRU), j'ai bien pris connaissance des conclusions et amendements récemment adoptés par votre commission lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Je précise toutefois que la mise en place du MRU ne relève pas de l'Eurosystème, mais de la Commission européenne et des gouvernements nationaux. Enfin, la situation économique actuelle a appelé différentes mesures de politique monétaire de la part de l'Eurosystème. Au cours des deux derniers trimestres, le risque d'une période prolongée d'inflation faible s'est accru, fondé sur une activité faible. Les prévisions de septembre dernier suggèrent une inflation en zone euro autour de 0,6 % pour la fin de l'année 2014, plus basse que prévu. De nouvelles prévisions seront présentées en décembre, qui intégreront la baisse des prix du pétrole et le léger recul de l'euro face au dollar. Nous n'envisageons qu'une remontée progressive de l'inflation sur les deux prochaines années, devant nous conduire vers des niveaux proches de 1,5 % ; nous aurons besoin de temps pour atteindre les 2 % qui sont notre objectif. La faible croissance dans la zone euro (0,8 % en 2014 et 1,1 % en 2015, selon les récentes prévisions de l'Organisation de coopération et de développement économique [OCDE]) pèse négativement sur l'inflation. La France contribue à ces perspectives décevantes, avec une croissance du PIB français revue à la baisse par le Fonds monétaire international (FMI), à 0,4 % pour 2014 et 1 % pour 2015, prévisions compatibles avec les nôtres.
Nous n'acceptons pas de subir une inflation plus faible que notre objectif. L'Eurosystème a donc mobilisé toute la palette des instruments possibles. Le Conseil des Gouverneurs a abaissé ses taux directeurs à un niveau sans précédent : le taux principal des opérations de refinancement, le taux de facilité marginale de prêt et le taux de facilité de dépôt sont passés à 0,05 %, 0,3 % et - 0,20 % respectivement. Bref, les taux d'intérêt à court terme sont quasiment à 0 %. La BCE est la seule grande banque centrale à avoir mis en place des taux négatifs, qui pénalisent les liquidités non utilisées que les banques déposent auprès de l'Eurosystème : nous voulons que les établissements soient aussi actifs que possible dans la distribution de crédit. Ces baisses sont venues renforcer notre forward guidance ou orientation future sur les taux, indications que nous donnons sur nos intentions de politique monétaire, qui visent à influencer également les taux à long terme. Nous voulons que ceux-ci demeurent faibles plus longtemps qu'observé dans les pays où l'économie a déjà redémarré. La forward guidance y contribue : sur les titres d'Etats comme la France ou l'Allemagne, du jour le jour jusqu'à trente ans, la courbe des taux est plus basse et plus comprimée aujourd'hui qu'aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni à l'époque où les taux ont touché leur point bas.
Afin de réduire les tensions financières et pousser les taux à la baisse, le Conseil des Gouverneurs a également mis en oeuvre un programme d'opérations de refinancement à long terme ciblées et à taux fixe (TLTRO), pour inciter les banques à accroître leur offre de prêts aux entreprises et aux ménages. Une opération initiale a eu lieu en septembre, un autre interviendra début décembre. Chaque trimestre, jusqu'en juin 2016, les banques pourront emprunter à nouveau auprès de l'Eurosystème, en fonction de l'augmentation de leur volume de crédit les trimestres précédents. Celles qui, d'ici à 2016, n'auront pas accru leur offre de crédit au-delà d'un niveau de référence devront rembourser les montants empruntés. Les prêts sont normalement consentis pour quatre ans à un taux de 0,15 %, ce qui contribue aussi à aplatir la courbe.
Enfin, l'Eurosystème a lancé un programme d'assouplissement quantitatif sous la forme d'un double achat de titres privés : les asset backed securities, crédits aux entreprises titrisés, c'est-à-dire des titres adossés à des actifs de l'économie réelle, et les covered bonds, qui sont des obligations sécurisées (obligations foncières, adossées sur des logements,...) libellées en euros et émises par des banques de la zone euro. Le coût de refinancement des banques, même à long terme, a ainsi été réduit. On observe en conséquence un vrai découplage entre les taux de la zone euro et ceux des États-Unis, orientés à la hausse. Dans la mesure où notre cycle économique n'est pas aligné sur celui des États-Unis, plus dynamique, il convient en effet de prévenir toute hausse prématurée des taux obligataires en zone euro, de ne pas nous laisser happer par le phénomène de remontée.
La politique monétaire cependant ne peut pas tout et les politiques économiques ont un rôle clé, notamment les réformes structurelles, pour accroître le potentiel de croissance, abîmé pendant les années de crise. Les gouvernants doivent s'employer à rétablir la confiance des agents économiques, en soutenant l'innovation et l'investissement, en veillant à la stabilité de la réglementation, et en ayant une stratégie crédible de consolidation budgétaire et de réduction de la dette, stratégie qui a certes un effet keynésien négatif sur l'activité, mais rassure les agents sur le retour aux équilibres, facteur important pour chasser les inquiétudes concernant les impôts et taxes à venir.
Vous avez parlé d'inflation faible, sans employer le mot « déflation ». Cela signifie-t-il que ce risque est écarté ? Cela pourrait en partie expliquer les bons résultats des banques françaises aux différents scénarios des stress tests...
Hier, le ministre de l'économie a annoncé des économies supplémentaires. Nous n'en avons pas encore le détail, mais des économies sur la charge de la dette ont été mentionnées. Peut-on encore trouver une marge supplémentaire à la baisse des taux d'intérêt ? Sont-ils historiquement bas, ou peuvent-ils encore baisser ? Le montant des économies prévues est tout de même de 400 millions d'euros !
Nous sommes pris en étau sur la question des taux d'intérêt. Nous souhaitons qu'ils restent au plus bas niveau possible à cause de la dette, et en même temps nous espérons qu'ils remontent un peu. La BCE n'a pas introduit le critère de la déflation dans ses tests. Si l'on s'aligne sur le modèle japonais, à 0 % d'inflation pendant 25 ans, que se passera-t-il ? Le président de la BCE, Mario Draghi, avait annoncé une politique ambitieuse, soit de rachat de titres de dettes publiques, soit de produits privés titrisés. Le bilan de la Banque centrale américaine est passé de 800 milliards à 4 000 milliards de dollars en six ans : ne devrions-nous pas nous en inspirer. Lors du débat de la loi dite DDADUE, nous avons évoqué le problème du Fonds de résolution et de la clé de calcul retenue pour l'alimenter. Les banques françaises risquent d'être les plus taxées - on parlait de 30 % - car le calcul prend en compte le total des actifs, avec une faible pondération par les risques. La Commission européenne a publié récemment des projets d'actes délégués sur le sujet. Ils restent difficilement compréhensibles. Pourriez-vous nous éclairer sur ce qu'ils impliquent pour la France ?
Est-ce le Gouverneur de la Banque de France qui a inspiré au Gouvernement le chiffre de 400 millions d'économies supplémentaires sur la charge de la dette ? Un tel montant ne signifie-t-il pas que l'on atteindra un taux moyen de 0 % sur les intérêts de notre dette publique ?
Le financement du fonds de résolution représente un prélèvement de 2 milliards d'euros par an, pendant dix ans, sur les établissements bancaires français. Avec le fonds de garantie mis en place par la loi bancaire, nous obtenons une double régulation... à double coût. Après les accords de Bâle III, qui ont déjà eu pour effet de limiter les possibilités d'investissement dans l'économie réelle, les capacités de notre système bancaire ne vont-elles pas s'en trouver affectées ? Et pourquoi la France serait-elle le premier contributeur au fonds de résolution européen alors que son PIB est inférieur de 30 % à celui de l'Allemagne ?
La BCE emmagasine et garantit un certain nombre de titres de dettes d'État. Où en sommes-nous ? N'est-ce pas une façon détournée de produire des eurobonds ?
Par ailleurs, la régulation bancaire crée un accroissement du réseau libre, celui des hedge funds qui se portent acquéreurs des grandes entreprises - c'est le shadow banking. N'y a-t-il pas là un risque de création d'une future bulle ? Est-il possible de mettre en place des régulations mondiales ?
En construisant l'Union bancaire, n'essaye-t-on pas de briser le lien entre la crise bancaire et la dette souveraine ? La BCE s'est engagée dans une politique d'assouplissement quantitatif qui inclut le rachat de titres privés. La politique de la Federal Reserve américaine est fondée sur le rachat de titres de dette souveraine. La BCE envisage-t-elle de suivre cet exemple ?
Quels risques l'accumulation des opérations de leverage buy-out (LBO) représente-t-elle pour l'économie et le système financier européens ?
Par ailleurs, la faiblesse durable des taux aura forcément des répercussions sur le secteur des assurances. Des scénarios sur le sujet ont-ils pu être étudiés ?
Enfin, en réalisant des économies sur la dette, ne risque-t-on pas de favoriser le retour à une maturité courte de notre dette publique, ce qui nous rendrait plus sensibles à une évolution future des taux ?
N'est-il pas urgent de mettre en place une politique de relance concertée au niveau européen pour stimuler la demande ?
Par ailleurs, Dexia est une banque belge, mais dont l'État détient 44 % du capital. Elle n'a pas passé les tests. Pourriez-vous nous éclairer sur sa situation ?
Vous avez évoqué les différentes mesures prises pour dynamiser le financement de l'économie. Une nouvelle opération est prévue en décembre pour les TLTRO, sans que la première ait été couronnée du succès escompté. Quelles appétences ont été constatées pour ces outils ?
Des stress tests avaient été menés, il y a quatre ou cinq ans, juste après le début de la crise. On nous avait alors annoncé qu'il en faudrait d'autres dans l'avenir, que leurs résultats, plutôt bons, n'étaient pas fiables sur la durée. Quelle sera dès lors la durée de validité de la récente « opération vérité » ?
Enfin, vous avez dit « espérer » atteindre 1,5 % ou 2 % d'inflation. Je me rappelle une certaine période où cherchait à la faire redescendre, et non à l'augmenter, à un tel niveau... Mais surtout, les prévisions d'inflation ne sont-elles pas de plus en plus périlleuses ? Leur crédibilité ne se périme-t-elle pas de plus en plus rapidement ?
Les tests de résistance coûtent cher. À quelle périodicité doivent-ils être renouvelés ? Comment prendre en compte dans ces tests l'effet systémique sur les banques françaises d'une difficulté non européenne, liée aux banques américaines, par exemple ?
On a chiffré le coût du sauvetage des banques à environ 400 milliards d'euros sur la dette française. Les banques vont mieux grâce à l'action collective. Dans quelle mesure participeront-elles à la réduction de la dette française qu'elles ont contribué à créer ? Quant aux hedge funds, ils mettent en difficulté la régulation des banques. Comment le système bancaire peut-il être en sécurité avec un tel volume de shadow banking ?
Quelle analyse faites-vous de l'unité de la zone euro ? La Grèce a affirmé sa volonté de sortir du programme de soutien. Quelle est la menace, quels sont les risques, quelles sont les mesures à mettre en oeuvre pour éviter de nouvelles turbulences ? Des études récentes du FMI ont montré que le taux d'élasticité entre le déficit et la croissance n'était pas de 1 pour 1, comme on le croyait, mais de 1 pour 1,7. Quel serait l'impact des réformes structurelles, baisse du coût du travail, mise en place d'un contrat unique ? Les experts n'ont-ils pas imposé un calendrier de réduction des dépenses un peu trop serré ?
Nous connaissons la position de la Bundesbank et de son Gouverneur, Jens Weidmann, à l'égard du plan de relance de 300 milliards d'euros annoncé par la Commission de Jean-Claude Juncker. Le débat risque en effet d'être animé, entre la Commission européenne, le conseil des gouverneurs de la BCE et les Gouvernements qui seraient favorables à une telle relance de l'investissement.
Des règles ont été posées depuis cinq ans concernant les bonus des banquiers. Elles sont contournées par les Britanniques. La culture du risque qui avait contribué à la crise financière est-elle toujours aussi présente dans les établissements financiers ?
Par ailleurs, la presse a rapporté que vous aviez voté contre la politique de rachat d'actifs, au Conseil des Gouverneurs. Pourquoi un tel vote ? Votre préoccupation concernait-elle le partage des compétences entre BCE et banques centrales nationales, ou les risques impliqués par ces opérations ?
On ne peut jamais dire qu'il n'y a aucun risque de déflation. Cependant, la presse utilise le mot de manière incorrecte. La déflation, c'est la baisse des prix accompagnée du sentiment, chez les agents économiques, que les prix continueront à baisser et qu'il est préférable de différer les décisions d'achat. Si les agents économiques constatent une inflation, même très faible, le scénario est différent. Le niveau actuel tient en grande partie à la faiblesse de l'activité économique dans la zone euro. Cependant, l'inflation est relativement faible partout. Elle reste modérée aux États-Unis, malgré la reprise d'une économie forte. Dans les pays émergents, l'activité économique a ralenti dans plusieurs grandes zones, comme la Chine. Les causes de l'inflation faible en Europe sont à la fois une demande plus faible adressée aux producteurs de la zone euro et la forte chute des prix de l'énergie et des matières premières. La chute brutale des prix du pétrole a un impact direct et fort sur les prévisions. Cependant nous ne prévoyons pas de déflation, car les prix du pétrole ne peuvent continuer indéfiniment à chuter. Un cycle normal de redémarrage de l'inflation devrait reprendre, jusqu'à un taux proche de notre cible. Cependant, plus nous sommes proches de zéro, plus nous sommes vulnérables à un choc inattendu - entrée en récession d'un partenaire, ralentissement global fort, chute des prix des matières premières. C'est pourquoi nous n'avons jamais défini la stabilité des prix comme une inflation zéro. Au contraire, nous voulons conserver une marge de protection pour les agents économiques. Tous les grands pays s'accordent à placer le bon taux d'inflation à 2 %, qu'il s'agisse de la FED aux États-Unis, de la Banque d'Angleterre ou de la Banque du Japon. Dans les pays émergents, le prix des produits alimentaires entre pour une part plus importante que chez nous dans l'indice d'inflation, le portant à la hausse.
Nous ne prévoyons pas en Europe de déflation mais ne pouvons pas totalement en écarter le risque. Mais plus que le taux d'inflation, c'est la récession économique, la variation des taux d'intérêt ou la variation des prix des actifs qui ont des conséquences pour les banques. C'est donc ce que nous avons intégré dans notre scénario adverse. Nos scénarios sont similaires à ceux utilisés par la FED. Les taux d'intérêt acquittés par les États ont baissé drastiquement dans la zone euro, notamment en France, mais aussi dans les pays émergents. Les spreads de taux qui avaient fortement augmenté pendant la crise des dettes souveraines ont chuté. La France en profite. La nouvelle estimation budgétaire du Gouvernement s'appuie sur le consensus des économistes et sur la réactualisation de la charge de la dette à la baisse. Celle-ci est le résultat de la politique de taux très agressive menée par la BCE : le coût d'emprunt a baissé, pour les ménages et les entreprises comme pour les États. L'Allemagne, la France empruntent à un coût moindre que les Etats-Unis alors même que la BCE n'a pas acheté un gros volume de dette publique. Nous avons obtenu des résultats similaires, ou meilleurs, par d'autres moyens.
Il est difficile de faire davantage quand la courbe des taux est plate ! Lorsque les taux sont bas, les États remboursent leur dette émise à des taux élevé en empruntant à des taux très faibles, ce qui diminue d'autant la charge d'intérêts. Celle-ci dépend aussi, bien sûr, du volume de dette émise. Si demain les marchés identifient un risque de crédit en considérant que la soutenabilité de notre dette n'est plus assurée, ils exigeront des taux plus élevés. L'enjeu est de tracer, avec un équilibre subtil, un sentier crédible de réduction de notre endettement, pour rassurer les investisseurs quant à notre capacité à respecter les échéances, tout en veillant à ne pas nuire à notre économie. L'effet confiance est difficile à chiffrer. Le ratio de 1 pour 1,7 proposé par Olivier Blanchard, économiste du FMI, est discutable. En général on considère plutôt que l'impact est légèrement inférieur à 1. La confiance provient d'une conjugaison de facteurs : la stabilité de l'environnement budgétaire et fiscal y contribue.
La FED a acheté beaucoup de titres de dette publique. Le bilan de la BCE a grossi à mesure des opérations de refinancement à long terme des banques et des achats de titres privés. La FED a elle aussi acheté des titres privés, des mortgage backed securities (MBS), garantis par des émetteurs de refinancement. Aux Etats-Unis le financement de l'économie est réalisé à 70 % par le marché, le reste par le crédit bancaire. En Europe, la proportion est inverse. Ainsi est-il surtout nécessaire, chez nous, de fournir des liquidités aux banques pour agir sur l'économie ; nous avons acheté des covered bonds, voire des titres de dette publique au plus fort des tensions sur la dette des pays périphériques, mais nous nous concentrons sur les titres privés. La difficulté est en effet que le marché de la dette souveraine n'est pas unifié en Europe, mais fragmenté en autant de marchés qu'il y a d'États. Pour acheter des titres de dette publique, nous devrions déterminer quel est le bon niveau de spread entre les différents pays, tâche délicate... Le rachat de dette publique est plus simple dans un État fédéral. En outre, en ciblant les titres que nous avons choisis, nous renforçons le canal du crédit. La politique suivie par la Réserve fédérale avait pour objectif d'aplatir la courbe des taux, et de transmettre au plus long terme la baisse des taux à court terme. Or, avec notre méthode, nous avons obtenu le même résultat. Si nos taux remontaient en suivant les taux américains, nous réfléchirions à d'autres modalités d'intervention.
La Commission européenne a proposé une clé de calcul des contributions des banques au Fonds de résolution unique et les projets d'actes délégués devraient encore être soumis au Conseil et au Parlement européen. Je dois dire que je suis moi-même assez surpris des résultats de ces projets. Selon nos calculs, si l'on conservait des fonds de résolution strictement nationaux, la contribution des banques françaises en proportion de leurs dépôts devrait s'élever à 10 milliards d'euros, et non à 17 milliards d'euros. Je comprends que l'idée de la directive, renforcée encore par la Commission dans son projet d'acte délégué, est que les grandes banques soient davantage mises à contribution. Mais, paradoxalement, un réseau de caisses d'épargne qui se sont regroupées pour renforcer leur solidité financière sera donc davantage sollicité que plusieurs petites caisses d'épargne isolées et plus fragiles. Curieuse récompense de la vertu financière ! Loin de moi l'idée d'apparaitre comme un défenseur systématique des établissements bancaires français mais reconnaissons qu'ils doivent s'acquitter d'une contribution au Fonds de résolution, d'une contribution au fonds de garantie des dépôts et de la taxe systémique, pour plus d'un milliard d'euros. Celle-ci, qui avait vocation à dédommager l'État de son rôle de prêteur en dernier ressort en cas de crise, fait double emploi avec le nouveau fonds européen. Certes, en ces temps de disette budgétaire, il est difficile de renoncer à une ressource, mais je crains qu'à force de taxer les banques, on ne finisse par les fragiliser et qu'elles augmentent le coût du crédit. Il y a un équilibre à trouver.
La BCE, ou plus précisément l'Eurosystème (les titres figurent au bilan de chaque banque centrale nationale) a pris un certain nombre de titres de dette publique en garantie. La Banque de France contribue ainsi au bilan de l'Eurosystème à hauteur de 20 %. De même les opérations de refinancement des banques sont réalisées par chaque banque centrale, avant une mise en commun des bilans et des risques. Par exemple, lors de la liquidation de la filiale allemande de Lehman Brothers, nous avons tous dû passer des provisions, que nous avons finalement récupérées car la Bundesbank a pu revendre les actifs qu'elle avait pris en garantie. Il nous semble fondé d'accepter en garantie des titres de dette souveraine dans la mesure où nous les prenons en garantie au prix du marché et non à prix plus favorable pour les États, et appliquons même une marge de protection ou haircut. Nous soutenons ainsi aussi bien le marché des titres de dette publique que celui des titres de dette privée.
À la demande du G20, le Conseil de stabilité financière s'est saisi de la question du shadow banking, qui inclut les Sicav monétaires, bien encadrées en France mais avec des risques dans d'autres pays, et certains compartiments de marché comme les repurchase agreements ou repo. Nous avons défini un programme de travail et espérons soumettre des propositions lors du prochain G20.
Oui l'Union bancaire contribuera à briser les liens entre les dettes souveraines et les dettes bancaires. C'est son objectif principal et nous avons franchi un pas important en mettant en place le fonds de résolution, la supervision unique, les règles de résolution. Nous avons en effet aujourd'hui les outils juridiques nécessaires pour procéder à la liquidation d'un établissement financier de manière ordonnée.
En raison sans doute de la situation économique, nous n'avons pas aujourd'hui de risque lié aux LBO qui soit majeur, mais nous restons très vigilants et surveillons les multiplicateurs, les garanties, l'évolution des valeurs, les risques sur le cash-flow prévisionnel, etc.
La baisse des taux constituerait effectivement un risque pour les compagnies d'assurance si les taux baissaient fortement pour remonter ensuite brutalement. Dans le court terme, le scénario le plus probable actuellement est le maintien de taux très bas, et leur remontée progressive à moyen terme. Ceci étant, il est très important que les assureurs soient capables de faire baisser le taux de rémunération ; j'attends cette année une baisse significative du taux de rémunération des contrats d'assurance-vie. J'y veillerai, car nous ne voulons pas que les établissements se mettent en risque. Dans d'autres pays, le rendement minimum garanti est très élevé par rapport au rendement des taux souverains, ce qui peut mettre les compagnies d'assurance dans une situation difficile. En France, nos réformes ont permis d'adapter plus facilement le taux servi par les contrats d'assurance-vie.
Il n'est pas prévu de procéder régulièrement à une nouvelle revue d'actifs. Or c'est cette étape qui coûte cher. Toutefois, comme le font les Américains, nous surveillerons en continu la qualité des actifs, par des contrôles sur place réguliers. Dexia a un niveau de fonds propres satisfaisant en régime normal. Lors des stress tests, son niveau s'est établi peu en dessous de 5 %. Avec le plan approuvé par la Commission, des mesures de remédiation ont été prises et de nouvelles dispositions ne sont pas nécessaires.
En France, le sauvetage des banques n'a rien coûté en lui-même. En revanche les conséquences indirectes de la crise ont été coûteuses. La responsabilité en incombe à la chute des banques américaines : s'il faut demander réparation, c'est au marché américain des subprimes que nous devrions nous adresser...
Vaste programme ! Je vous remercie pour votre présentation.
La réunion est levée à 16 h 15.