Intervention de Christian Noyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 octobre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Christian Noyer gouverneur de la banque de france

Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France :

Il est difficile de faire davantage quand la courbe des taux est plate ! Lorsque les taux sont bas, les États remboursent leur dette émise à des taux élevé en empruntant à des taux très faibles, ce qui diminue d'autant la charge d'intérêts. Celle-ci dépend aussi, bien sûr, du volume de dette émise. Si demain les marchés identifient un risque de crédit en considérant que la soutenabilité de notre dette n'est plus assurée, ils exigeront des taux plus élevés. L'enjeu est de tracer, avec un équilibre subtil, un sentier crédible de réduction de notre endettement, pour rassurer les investisseurs quant à notre capacité à respecter les échéances, tout en veillant à ne pas nuire à notre économie. L'effet confiance est difficile à chiffrer. Le ratio de 1 pour 1,7 proposé par Olivier Blanchard, économiste du FMI, est discutable. En général on considère plutôt que l'impact est légèrement inférieur à 1. La confiance provient d'une conjugaison de facteurs : la stabilité de l'environnement budgétaire et fiscal y contribue.

La FED a acheté beaucoup de titres de dette publique. Le bilan de la BCE a grossi à mesure des opérations de refinancement à long terme des banques et des achats de titres privés. La FED a elle aussi acheté des titres privés, des mortgage backed securities (MBS), garantis par des émetteurs de refinancement. Aux Etats-Unis le financement de l'économie est réalisé à 70 % par le marché, le reste par le crédit bancaire. En Europe, la proportion est inverse. Ainsi est-il surtout nécessaire, chez nous, de fournir des liquidités aux banques pour agir sur l'économie ; nous avons acheté des covered bonds, voire des titres de dette publique au plus fort des tensions sur la dette des pays périphériques, mais nous nous concentrons sur les titres privés. La difficulté est en effet que le marché de la dette souveraine n'est pas unifié en Europe, mais fragmenté en autant de marchés qu'il y a d'États. Pour acheter des titres de dette publique, nous devrions déterminer quel est le bon niveau de spread entre les différents pays, tâche délicate... Le rachat de dette publique est plus simple dans un État fédéral. En outre, en ciblant les titres que nous avons choisis, nous renforçons le canal du crédit. La politique suivie par la Réserve fédérale avait pour objectif d'aplatir la courbe des taux, et de transmettre au plus long terme la baisse des taux à court terme. Or, avec notre méthode, nous avons obtenu le même résultat. Si nos taux remontaient en suivant les taux américains, nous réfléchirions à d'autres modalités d'intervention.

La Commission européenne a proposé une clé de calcul des contributions des banques au Fonds de résolution unique et les projets d'actes délégués devraient encore être soumis au Conseil et au Parlement européen. Je dois dire que je suis moi-même assez surpris des résultats de ces projets. Selon nos calculs, si l'on conservait des fonds de résolution strictement nationaux, la contribution des banques françaises en proportion de leurs dépôts devrait s'élever à 10 milliards d'euros, et non à 17 milliards d'euros. Je comprends que l'idée de la directive, renforcée encore par la Commission dans son projet d'acte délégué, est que les grandes banques soient davantage mises à contribution. Mais, paradoxalement, un réseau de caisses d'épargne qui se sont regroupées pour renforcer leur solidité financière sera donc davantage sollicité que plusieurs petites caisses d'épargne isolées et plus fragiles. Curieuse récompense de la vertu financière ! Loin de moi l'idée d'apparaitre comme un défenseur systématique des établissements bancaires français mais reconnaissons qu'ils doivent s'acquitter d'une contribution au Fonds de résolution, d'une contribution au fonds de garantie des dépôts et de la taxe systémique, pour plus d'un milliard d'euros. Celle-ci, qui avait vocation à dédommager l'État de son rôle de prêteur en dernier ressort en cas de crise, fait double emploi avec le nouveau fonds européen. Certes, en ces temps de disette budgétaire, il est difficile de renoncer à une ressource, mais je crains qu'à force de taxer les banques, on ne finisse par les fragiliser et qu'elles augmentent le coût du crédit. Il y a un équilibre à trouver.

La BCE, ou plus précisément l'Eurosystème (les titres figurent au bilan de chaque banque centrale nationale) a pris un certain nombre de titres de dette publique en garantie. La Banque de France contribue ainsi au bilan de l'Eurosystème à hauteur de 20 %. De même les opérations de refinancement des banques sont réalisées par chaque banque centrale, avant une mise en commun des bilans et des risques. Par exemple, lors de la liquidation de la filiale allemande de Lehman Brothers, nous avons tous dû passer des provisions, que nous avons finalement récupérées car la Bundesbank a pu revendre les actifs qu'elle avait pris en garantie. Il nous semble fondé d'accepter en garantie des titres de dette souveraine dans la mesure où nous les prenons en garantie au prix du marché et non à prix plus favorable pour les États, et appliquons même une marge de protection ou haircut. Nous soutenons ainsi aussi bien le marché des titres de dette publique que celui des titres de dette privée.

À la demande du G20, le Conseil de stabilité financière s'est saisi de la question du shadow banking, qui inclut les Sicav monétaires, bien encadrées en France mais avec des risques dans d'autres pays, et certains compartiments de marché comme les repurchase agreements ou repo. Nous avons défini un programme de travail et espérons soumettre des propositions lors du prochain G20.

Oui l'Union bancaire contribuera à briser les liens entre les dettes souveraines et les dettes bancaires. C'est son objectif principal et nous avons franchi un pas important en mettant en place le fonds de résolution, la supervision unique, les règles de résolution. Nous avons en effet aujourd'hui les outils juridiques nécessaires pour procéder à la liquidation d'un établissement financier de manière ordonnée.

En raison sans doute de la situation économique, nous n'avons pas aujourd'hui de risque lié aux LBO qui soit majeur, mais nous restons très vigilants et surveillons les multiplicateurs, les garanties, l'évolution des valeurs, les risques sur le cash-flow prévisionnel, etc.

La baisse des taux constituerait effectivement un risque pour les compagnies d'assurance si les taux baissaient fortement pour remonter ensuite brutalement. Dans le court terme, le scénario le plus probable actuellement est le maintien de taux très bas, et leur remontée progressive à moyen terme. Ceci étant, il est très important que les assureurs soient capables de faire baisser le taux de rémunération ; j'attends cette année une baisse significative du taux de rémunération des contrats d'assurance-vie. J'y veillerai, car nous ne voulons pas que les établissements se mettent en risque. Dans d'autres pays, le rendement minimum garanti est très élevé par rapport au rendement des taux souverains, ce qui peut mettre les compagnies d'assurance dans une situation difficile. En France, nos réformes ont permis d'adapter plus facilement le taux servi par les contrats d'assurance-vie.

Il n'est pas prévu de procéder régulièrement à une nouvelle revue d'actifs. Or c'est cette étape qui coûte cher. Toutefois, comme le font les Américains, nous surveillerons en continu la qualité des actifs, par des contrôles sur place réguliers. Dexia a un niveau de fonds propres satisfaisant en régime normal. Lors des stress tests, son niveau s'est établi peu en dessous de 5 %. Avec le plan approuvé par la Commission, des mesures de remédiation ont été prises et de nouvelles dispositions ne sont pas nécessaires.

En France, le sauvetage des banques n'a rien coûté en lui-même. En revanche les conséquences indirectes de la crise ont été coûteuses. La responsabilité en incombe à la chute des banques américaines : s'il faut demander réparation, c'est au marché américain des subprimes que nous devrions nous adresser...

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