Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 4 novembre 2014 à 14h30
Simplification de la vie des entreprises — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a été saisie de huit articles du présent projet de loi portant sur le droit du travail et sur la sécurité sociale. À cette occasion, unanimement, le constat suivant nous a paru être une évidence : l’accumulation des normes et leur instabilité – j’insiste, comme mes collègues, sur cette instabilité – sont un frein au développement de l’activité et de l’emploi.

Ce constat n’est pas le seul fait de cette commission puisque, la semaine dernière, le Président de la République a consacré une demi-journée à ce thème, démontrant ainsi lui-même que le titre ambitieux de ce projet de loi ne correspondait ni aux attentes des entreprises et des Français ni à la réalité qu’ils vivent.

Il est vrai que, dans le domaine social, le législateur et le pouvoir réglementaire se sont fait une spécialité de cultiver la complexité des normes nouvelles, qu’ils édictent sans pour autant alléger le stock de réglementation dont ils ont la charge.

La volonté politique affichée depuis plus de dix ans dans le domaine de la simplification, des lois Warsmann au texte que nous examinons aujourd’hui, n’a pas réussi à inverser cette tendance. Au contraire, on assiste depuis dix-huit mois à un empilement de normes nouvelles, qui pèsent lourdement sur l’activité des entreprises et dont la logique échappe parfois à l’entendement, et ce d’autant que des dispositions voulues, pour ne pas dire imposées, voilà quelques mois sont remises en cause dès qu’intervient un changement de ministre.

Pour ne parler que de ce qui relève du champ de compétence de la commission des affaires sociales, je pense, en premier lieu, au plancher de 24 heures hebdomadaires pour le travail à temps partiel.

Pourquoi 24 heures, alors que la durée légale du travail demeure fixée à 35 heures, ce qui remet en cause la notion même de mi-temps – lequel peut être choisi ! –, et interdit par là même à un deuxième salarié d’avoir un travail ? Pourquoi une règle uniforme, quel que soit le secteur économique ? Pourquoi un dialogue social de branche apaisé ne peut-il s’établir dans des domaines comme le commerce ou les services, pour lesquels une dérogation est indispensable, mais que certains syndicats semblent se refuser à négocier ? Le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social n’est pas là pour nous répondre...

À ce jour, un dialogue social constructif sur ce sujet a eu lieu dans seulement trente-sept branches, alors qu’il en existe plusieurs centaines. C’est insuffisant, puisque ces accords ne couvrent que 38 % des salariés à temps partiel. Qui plus est, cette réglementation est devenue une source supplémentaire d’insécurité juridique, en particulier concernant les dérogations individuelles qui peuvent être demandées par les salariés.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité constitue, à mon avis, un second signal contradictoire de la part du Gouvernement quant à sa volonté de simplifier la vie des entreprises.

L’objet de mon propos n’est pas de remettre en cause la nécessaire prévention de la pénibilité au travail ou sa prise en compte pour un départ anticipé à la retraite instaurée par la réforme des retraites de 2010. En revanche, la mise en œuvre au 1er janvier prochain – et a fortiori au 1er janvier 2016 ! – du compte tel qu’il résulte de la loi du 20 janvier dernier paraît impossible pour une très grande majorité d’entreprises.

Les firmes du CAC 40 ne rencontreront sans doute aucun problème, ou auront les moyens de se faire conseiller pour surmonter leurs éventuelles difficultés. Peut-on en dire autant des TPE, des PME, particulièrement celles du BTP, déjà durement affectées par l’atonie de la construction et par la concurrence, souvent déloyale, de ceux qui ont abusivement recours à des travailleurs détachés, malgré toutes les dispositions législatives que nous votons ?

Le Conseil de la simplification pour les entreprises, mis en place au mois de janvier dernier par le Gouvernement, a lui-même regretté l’absence d’étude d’impact sérieuse de ce dispositif et sa mise en œuvre uniforme, sans prise en compte des spécificités propres à chacun des métiers exposant à des facteurs de risques professionnels. Si le Gouvernement a pu sembler ouvert au dialogue sur le sujet, au travers de la mission de concertation confiée à Michel de Virville, les attentes suscitées par celle-ci ont été déçues par la publication, le 10 octobre dernier, du décret fixant les seuils d’exposition aux dix facteurs de risques identifiés par la loi, alors que seuls quatre d’entre eux doivent être pris en compte au 1er janvier prochain.

J’aurais aimé trouver dans le présent projet de loi des réponses aux difficultés que pose ce compte. Ce n’est malheureusement pas le cas, ce qui explique pourquoi mes collègues et la commission des affaires sociales ont souhaité introduire des amendements modifiant cette disposition qu’ils viennent d’adopter.

Si le rapporteur pour avis que je suis estime que le compte pénibilité relevait, lui aussi, du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du volet « retraites », j’espère, monsieur le secrétaire d’État – j’ai bien entendu que telle était votre volonté et celle de M. Macron –, que vous saurez imposer à l’administration une réelle simplification, et que vous étudierez, le cas échéant, les amendements de repli adoptés par la commission.

L’actualité sociale a également été marquée par la publication, mercredi dernier, du décret relatif à l’information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise, issu de la loi relative à l’économie sociale et solidaire.

Vous conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, que le fait de publier des décrets avant même que le Sénat ait pu analyser et voter le présent texte de simplification procède d’une certaine maladresse !

Même si cette disposition ne relève pas des articles dont la commission des affaires sociales a été saisie, j’estime qu’elle est aussi source d’insécurité juridique et fragilise les entreprises à un moment clef de leur existence. Je ne suis pas persuadée qu’elle permettra de sauver des emplois, bien au contraire. Je me félicite donc, à titre personnel, que la commission des lois, sur proposition de notre collègue Jean-Jacques Hyest, ait adopté un amendement tendant à la supprimer.

J’en viens aux modifications apportées par la commission des affaires sociales aux dispositions qui lui étaient soumises et qui, pour la plupart d’entre elles, prennent malheureusement la forme d’habilitations pour le Gouvernement à légiférer par ordonnance. J’ai toujours entendu mes collègues, y compris socialistes, regretter ce type de dispositions...

À l’article 1er, qui porte principalement sur l’extension du titre emploi-service entreprise, le TESE, nous avons souhaité préciser que des efforts accrus devaient être réalisés pour que cet outil prenne automatiquement en compte les conventions collectives applicables, dans un souci de sécurisation juridique des entreprises. Si le TESE n’est pas très répandu, c’est sans doute qu’il ne répond pas à toutes ces attentes. Le chèque emploi-service universel, le CESU, est quant à lui un succès, mais il ne couvre qu’une seule convention collective, alors que le TESE concernera un large champ de conventions.

L’article 2, dont l’objet est l’harmonisation de la notion de « jour » dans la législation du travail, a fait la quasi-unanimité. Cela existe ! Il nous a toutefois semblé opportun d’inscrire dans l’habilitation que cette initiative ne devait pas avoir pour conséquence de modifier les délais existants. J’espère à cet égard, monsieur le secrétaire d’État, que vous lèverez cette inquiétude.

À l’article 2 bis, introduit par le Gouvernement à l’Assemblée nationale pour instituer une prime à l’embauche d’un premier apprenti dans les entreprises de moins de cinquante salariés, la commission des affaires sociales a approuvé l’amendement gouvernemental visant à retirer ce dispositif du texte. Les annonces du Président de la République au mois de septembre dernier l’ont en effet rendu obsolète et, au vu de ses incidences financières, il a davantage sa place dans une loi de finances. J’attends désormais des précisions de la part du Gouvernement sur ce dispositif de prime à l’embauche modifié qui a dû être voté, hier soir, par l’Assemblée nationale.

Là encore, je regrette cette politique de stop and go, qui a eu des effets délétères sur l’apprentissage. En ce domaine, le Gouvernement joue les Pénélope !

L’article 2 ter répond à une urgence juridique puisque, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, au mois d’avril dernier, le Conseil constitutionnel a censuré le renvoi fait par le législateur à un accord collectif pour encadrer le portage salarial. Pour que les conditions essentielles d’exercice de cette forme triangulaire d’emploi ne disparaissent pas de notre droit au 1er janvier prochain, il faut agir vite. La commission des affaires sociales a voulu préciser que l’ordonnance prévue créait un cas de recours spécifique au contrat à durée déterminée pour le portage salarial, comme l’ont souhaité les partenaires sociaux, et qu’elle clarifiait les conditions dans lesquelles sont payées les cotisations sociales liées à l’emploi du salarié porté.

L’article 2 quater vise à corriger certaines incertitudes juridiques liées à la réforme du temps partiel, laquelle représente une grande préoccupation pour les entreprises. La loi est en effet silencieuse sur le sort à réserver aux demandes de salariés travaillant moins de 24 heures par semaine et souhaitant obtenir une durée de travail plus longue.

Les entreprises signalent que, si ces salariés bénéficiaient d’un droit automatique de passage à la durée demandée, elles seraient dans l’impossibilité de mettre en place ce dispositif dans un certain nombre de branches. La solution, évoquée lors des auditions, consistant à instituer une priorité de passage à une durée de travail supérieure lorsqu’un poste compatible avec les qualifications du salarié se libère semble convenir aux personnes que nous avons auditionnées.

C’est en ce sens que la commission des affaires sociales a orienté le champ, large, de l’habilitation. Je crois que c’est également la piste suivie par le Gouvernement. J’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous le confirmiez.

Enfin, la commission a, adopté un article additionnel visant à pérenniser dans le code du travail le contrat de travail à durée déterminée à objet défini.

Expérimenté depuis 2008 à la suite de la signature de l’Accord national interprofessionnel, l’ANI, par tous les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT, ce contrat a pour objet la réalisation d’une mission dont la durée peut varier de dix-huit à trente-six mois. Destiné exclusivement aux cadres et aux ingénieurs, il n’est pas renouvelable, et est subordonné à la signature d’un accord de branche ou d’entreprise.

Il s’agit donc, par ce biais, non de déréguler le contrat de travail, mais de permettre la poursuite de l’application d’un dispositif qui a fait ses preuves dans des secteurs comme la recherche, alors que l’expérimentation s’est achevée au mois de juin. Le Gouvernement a déposé un amendement tendant à repréciser ces éléments, sur lequel la commission a émis un avis favorable.

Au final, plusieurs reproches peuvent être faits au présent projet de loi.

Sur la forme, tout d’abord, comme l’ont dit avant moi les orateurs précédents, il n’est jamais très agréable pour le législateur d’être dessaisi de sa fonction principale au profit de l’administration. Mais je prends note, monsieur le secrétaire d’État, de votre engagement à associer les rapporteurs à la réflexion sur les parties des textes qui nous concernent, avant que nous les votions et lors de la rédaction des ordonnances !

Sur le fond, ensuite, les mesures proposées sont hétéroclites et ne parviendront pas, à elles seules, à atteindre l’objectif ambitieux fixé dans le projet de loi.

Néanmoins, et c’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a approuvé les articles qui lui étaient délégués, ce texte, si les ordonnances vont bien dans le sens réclamé, apporte des réponses à des difficultés ponctuelles rencontrées par les entreprises et comporte des mesures qui doivent être adoptées dans les plus brefs délais.

J’espère maintenant que nos débats seront l’occasion pour le Gouvernement de préciser le contenu des ordonnances qu’il compte prendre, en particulier sur le temps partiel. §

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