Intervention de Michel Le Scouarnec

Réunion du 4 novembre 2014 à 14h30
Simplification de la vie des entreprises — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel Le ScouarnecMichel Le Scouarnec :

Tout d’abord, monsieur Labbé, je suis d’accord avec vous concernant la ferme des mille vaches : je trouve le projet scandaleux et je partage votre combat.

Pour revenir au texte en discussion, l’usage sémantique du mot « simple » qui y est fait n’est pas du tout effectué à bon escient. Paul Valéry aurait pu s’inspirer de ce projet de loi lorsqu’il a écrit : « un sujet d’une étendue immense et qui, loin de se simplifier et de s’éclaircir, ne fait que devenir plus complexe et plus trouble à mesure que le regard s’y appuie. »

Les sénateurs du groupe CRC ne sont pas opposés à une simplification de la vie des entreprises, et encore moins à une simplification de la vie des Français. Bien au contraire, nous appelons de nos vœux un certain nombre de mesures, par exemple, l’instauration d’un tiers payant généralisé chez le médecin, disposition utile pour nos concitoyens les plus modestes et qui figurait dans le programme de campagne du candidat François Hollande. Preuve qu’il y avait du bon dans ce programme !

Pourtant, à la lecture de ce projet de loi, on a le sentiment que lorsqu’il s’agit de simplifier la vie quotidienne des Français, le Gouvernement donne du temps au temps, alors que, pour les entreprises, il accélère le changement !

La simplification est une démarche louable, mais, dans le cas présent, elle s’avère trompeuse en raison d’un certain nombre de dispositions.

Avant tout, je voudrais dire un mot sur la procédure employée, qui nous paraît critiquable.

Le présent projet de loi prévoit de modifier huit codes différents, pour l’essentiel par la voie d’habilitations à prendre des ordonnances. Ce recours massif à des habilitations au contenu étendu et incertain n’augure pas d’un travail serein sur le contenu du texte.

Le Gouvernement ne peut pas poursuivre cette stratégie de la coquille vide où les représentants du peuple sont exclus des décisions à mettre en œuvre pour le pays. Les arguments relevant de la complexité et de l’obligation d’aller vite ne peuvent être acceptés en permanence.

Cette critique est accentuée par le fait que de nombreux articles du texte que nous examinons sont issus des propositions du Conseil de la simplification pour les entreprises. Or cette instance n’est composée que d’élus, de hauts fonctionnaires et de chefs d’entreprise. Cela fait déjà beaucoup de monde, mais aucun représentant de syndicat de salariés n’y siège, par conséquent n’a eu son mot à dire. Alors que l’heure est plus que jamais au développement de la démocratie, les salariés auraient certainement été une force de propositions pour la rédaction de ce texte.

Aussi, pour les membres du groupe CRC, la simplicité ne rime pas avec la facilité, tant ce projet de loi procède à un certain nombre de modifications d’importance. Certaines ont déjà été supprimées par la commission des lois, mais d’autres demeurent, notamment celles qui sont relatives au code du travail.

Ainsi, nous ne pouvons pas adhérer à un texte qui considère comme une mesure de simplification la mise en œuvre du CDD à objet défini. Cette disposition ne trouve pas sa place dans un projet de loi ayant pour objet la simplification et sur lequel est engagée la procédure accélérée. Nous estimons qu’un réel débat démocratique doit être mené sur cette question en concertation avec les représentants des salariés et avec les parlementaires.

Il nous est également proposé d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toutes les mesures relevant de la loi pour harmoniser la définition et l’utilisation des notions de « jour », et ce afin d’adapter la quotité des jours dans la législation du travail et de la sécurité sociale. Actuellement, cinq notions de « jour » sont utilisées : jour calendaire, jour ouvrable, jour ouvré, jour franc et jour de travail. Là aussi, selon la notion retenue, l’harmonisation aura des conséquences pour le monde du travail.

Un autre article habilite le Gouvernement à déterminer les conditions essentielles de l’exercice du portage salarial, dont nous connaissons tous les méfaits sur les conditions de travail des salariés pour qui la précarité deviendra alors une norme. Là encore, nous ne pouvons pas nous priver d’un véritable débat démocratique sur un sujet d’une réelle importance pour nos concitoyens.

Comme vous le constatez, mes chers collègues, la simplification est fort compliquée !

Il en va de même des autres thèmes abordés dans ce pêle-mêle de dispositions qui nous est proposé. J’en veux pour preuve les mesures dans le domaine de l’environnement, par exemple la réforme des certificats d’énergie. Pourquoi en débattre à l’occasion de l’examen de ce texte, alors que la plupart d’entre elles auraient dû trouver leur place dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ? Où se situent la logique et la simplification ?

Quant aux mesures qui relèvent des commissions des affaires économiques et du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, notons la volonté, une nouvelle fois affirmée et amplifiée d’ailleurs en commission, de déréglementer le droit des sols, ouvrant ainsi la voie à de multiples dérogations au plan local d’urbanisme, qui relève de la compétence des maires – à cet égard, je me demande si le but visé n’est pas d’écorner le pouvoir de ces derniers. Il faut faire confiance aux maires !

Nous ne pouvons pas non plus souscrire à la volonté de remplacer dans un certain nombre de cas l’enquête publique par une simple mise à disposition du public.

Que dire, aussi, des mesures remettant en cause les dispositions de la loi ALUR, notamment l’article 7 ter, qui revient sur la mention de la surface habitable ? Sur le fond, nous considérons que le présent projet de loi n’est pas de nature à résoudre le problème de la construction qui est moins lié aux normes et à leur complexité qu’à l’asséchement des crédits affectés au logement dans le projet de loi de finances pour 2015.

De plus, nous avons étudié attentivement l’article 27 qui a trait aux marchés publics. Nous avons regretté, dans un premier temps, que l’objet de cet article soit, une nouvelle fois, de démanteler la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite « loi MOP ». Pour cette raison, nous souscrivons à la réécriture de la commission ainsi qu’aux amendements adoptés qui tendent à limiter et à clarifier le recours aux contrats de partenariat, même si, pour notre part, nous souhaitons aller encore beaucoup plus loin dans la limitation de ceux-ci.

Le dernier volet de ce projet de loi porte sur les mesures fiscales et comptables en faveur des entreprises qui se résument essentiellement à l’extension des procédures de télédéclaration et de télépaiement des impositions dues par celles-ci, qu’il s’agisse des grandes sociétés comme des entreprises à caractère artisanal. Ces procédures leur sont de plus en plus imposées. En réalité, elles sont les effets de la politique constante de réduction des effectifs de la direction générale des finances publiques.

Évidemment, dans ce contexte, se pose aussi la question de la fiabilité du contrôle et du suivi du dossier des entreprises. À l’heure où tant de recettes font défaut aux caisses de l’État, peut-on prendre le risque de diminuer les contrôles ?

Vous le constatez, mes chers collègues, le présent projet de loi, qui semble se limiter à faciliter l’obtention de certaines autorisations, à ouvrir la possibilité de dématérialiser certains documents et à harmoniser différents codes, sert en réalité de véhicule pour faire passer des réformes qui touchent au fond du droit, notamment au droit du travail.

Un certain nombre de choix qui sont opérés devraient faire l’objet de véritables débats politiques et non pas figurer dans un projet de loi dit « de simplification », générateur de déréglementation et débattu quelque peu à la hâte. Cela n’est pas une garantie pour l’avenir.

Monsieur le secrétaire d’État, tout à l’heure, dans votre propos liminaire, vous avez parlé de « choc de simplification » et de « rattrapage », et vous avez dit qu’il fallait « mettre les bouchées doubles ». En fait, c’est une route chaotique et peu sûre que vous nous proposez d’emprunter. Pourvu que ce ne soit pas une impasse sans espoir pour notre peuple !

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