Intervention de Yves Krattinger

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 novembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Audition de M. Yves Krattinger ancien sénateur auteur du rapport d'information « des territoires responsables pour une république efficace

Photo de Yves KrattingerYves Krattinger, ancien sénateur, auteur du rapport d'information « Des territoires responsables pour une République efficace » :

Qu'il s'agisse de la constitution ou de la géographie de l'organisation territoriale, sa transformation doit se faire dans le consensus, parce que le contenant doit être le même pour tous, même si le contenu, c'est-à-dire les politiques publiques, peut varier selon les majorités et les hommes... Il est fondamental de trouver un accord sur une base commune que le Parlement puisse valider.

Nous devons fixer une perspective de moyen voire de long terme, tracer une route sans sous-estimer les obstacles juridiques et financiers. La réforme de 1982 a mis trente ans à être pleinement appliquée. La mise en oeuvre de celle de 2004 s'achève à peine avec l'intégration des agents OPA dans la fonction publique territoriale. Vouloir aller trop vite, c'est prendre le risque de bloquer la machine et de perturber l'activité des collectivités territoriales.

Nous vivons dans une France des mobilités. Entre 2004 et 2009, 26 % des moins de 25 ans ont changé de département. Vivre, travailler et voter au même endroit n'est plus le modèle dominant. L'effet de cette mobilité est amplifié par les technologies numériques, grâce auxquelles l'on peut exploiter le moindre temps de déplacement pour échanger des informations. Du coup, le regard de nos concitoyens sur les institutions évolue et celles-ci leur paraissent immobiles, les services publics déphasés. Le besoin de rattachement de l'homo mobilis à un territoire porte sur plusieurs territoires.

La crise n'est pas terminée, surtout pas en Europe. Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons constaté qu'elle avait eu pour effet, partout en Europe, une recentralisation des décisions. Les collectivités territoriales se sont recentrées sur elles-mêmes. À vouloir ainsi sauver les meubles, la grande aventure de l'intercommunalité, lancée il y a vingt ans, s'en trouve remise en cause : les doutes grandissent. Que donnerait un référendum ?

Quelque 20 % de la population vivent au mauvais endroit, dans ces trois quarts de notre territoire où apparaît un sous-prolétariat territorial. Le décalage s'approfondit entre la fierté, la vitalité des métropoles et les doutes qui traversent, à juste titre, les territoires ruraux. Pourtant, 60 % des emplois industriels sont situés dans des communes de moins de 2 000 habitants. En somme, les métropoles concentrent les grands sites sociaux, culturels et sportifs ainsi que les hauts fonctionnaires, quand la ruralité est le lieu de la production, des bas salaires et des services publics au rabais. Bref, la France est fendue en deux parties : une France d'en haut et une France d'en bas. Cette dangereuse coupure entre une sphère politico-administrative centrale, à l'intérieur du périphérique parisien ou dans quelques métropoles, et une France rurale, est lourde de dangers.

Sachons revenir à des choses sur lesquelles nous sommes d'accord. Il est essentiel d'identifier clairement les responsabilités des différents acteurs pour accroître l'efficacité de l'action publique et la rendre plus réactive. Dans notre monde en rapide transformation, il n'est pas acceptable qu'il faille dix ans pour lancer un projet d'infrastructure ! Le millefeuille administratif n'accélère pas les choses, d'autant qu'il se retrouve dans le processus de décision, jusqu'au sein de l'État, dont les services ne cessent de se contredire...

Voilà pourquoi je prêche depuis 2008-2009 pour un guichet unique d'instruction : politique de l'Etat, instruction unique par l'Etat ; politique de la région, instruction unique par la région... Un instructeur, un dossier d'instruction, une décision !

Nous l'avons expérimenté en Haute-Saône pour le renforcement des conduites d'eau : 100 dossiers ont été montés en trois mois. L'agence de l'eau a accepté de déléguer l'instruction au département, alors même qu'elle apportait 30 % du financement. La région a fait de même. Résultat : 22 millions d'euros investis rapidement, dans un département de 240 000 habitants.

Définir les missions avant de décliner les compétences. Au bloc communal les services publics de proximité immédiate et le renforcement du lien social. Avec le département, qui garantit la couverture en services publics, il constitue le pôle de la proximité, l'Etat et la région formant celui de la stratégie. Les régions doivent veiller à l'accessibilité du territoire par les aéroports, les ports, les lignes ferroviaires, les grandes infrastructures, les autoroutes, le haut débit.

Les collectivités territoriales doivent préparer les entreprises à la compétition mondiale du XXIe siècle : mieux vaut prévenir que guérir. Encourageons-les à se moderniser avant les crises, au lieu de réaliser leurs mutations sous la pression. En nous portant en avant, nous ne nous condamnerons plus aux combats d'arrière-garde. Pour cela, nous devons donner enfin aux régions la responsabilité de l'ensemble de la formation. Sans doute faudra-t-il décentraliser l'Education nationale : l'économie industrialo-touristique de l'ensemble Rhône-Alpes-PACA n'ayant pas grand-chose à voir avec l'économie post-industrielle du grand Est de la France, les stratégies de formation doivent s'adapter à ces différences, même si le socle commun reste défini par la République.

Il est indispensable que les actions publiques soient mieux identifiées : les projets de la commune, de l'intercommunalité, du département, de la région, de l'État, de l'Europe doivent être bien distincts et articulés. Bref, il faut que l'unité et la diversité se conjuguent intelligemment. Chacun reconnaît les différences entre les territoires. L'expérimentation, qui est autorisée par la Constitution, doit être renforcée, ce qui suppose que le préfet ne soit pas notre tuteur. La communauté du Val Marnaysien, à cheval sur le Doubs et la Haute-Saône, peut adhérer à un syndicat dans chacun des deux départements pour l'électricité, les eaux, l'assainissement, les réseaux téléphoniques, mais pas pour le très haut débit, parce qu'aucun texte ne le prévoit. Le bon sens doit l'emporter sur la règle qui ne peut avoir prévu tous les cas !

Nous avons inventé un terme avec Jean-Pierre Raffarin : la loi-cadre territoriale. La loi de 2005 sur le handicap, belle loi républicaine, a donné lieu à des décrets d'application nationaux. Comme si la norme d'accessibilité aux transports pouvait être la même en Lozère et à Lyon...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion