Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 novembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Audition de M. Jean-Pierre Raffarin ancien premier ministre président de la mission commune d'information « avenir de l'organisation décentralisée de la république »

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, président de la mission commune d'information « Avenir de l'organisation décentralisée de la République » :

Vous connaissez, nous connaissons tous le sujet ; il s'agit maintenant d'arbitrer. C'est le gros avantage du Sénat : nous n'avons pas à chercher les compétences ailleurs.

La décentralisation est une idée politique et non une idée technique : il ne s'agit pas simplement de redessiner une carte mais de faire en sorte que le service aux citoyens soit de meilleure qualité et coûte moins cher. C'est une question de lisibilité : la République a besoin qu'on la comprenne. Bien des Français ne comprennent pas la République, ne savent pas comment fonctionne l'Europe. Or moins on comprend, plus on se rapproche du populisme. Vous pouvez faire tous les plans de simplification que vous voulez, la société devient de plus en plus complexe. Jeune ministre du commerce, je m'étais fait photographier avec une pile de formulaires que j'avais supprimés plus haute que moi ; le temps qu'on les supprime, d'autres avaient été créés. La seule réponse à la complexité, c'est la proximité. C'est la société qui est complexe : plus vous êtes démocratique, plus vous devez être attentif et donc favoriser la proximité.

Je suis quelquefois déçu par les Girondins, trop techniques et qui donnent le sentiment que la décentralisation est une politique parmi d'autres. La décentralisation, c'est la République au plus près du terrain. Elle a apporté beaucoup de résultats ; nous pouvons être fiers de ce que nous avons fait depuis le début des années 1980. Sans décentralisation, il n'y aurait pas d'université à La Rochelle ou à Troyes, pas de Futuroscope. Il suffit pour le voir de se promener dans les lycées et collèges de France. Nous ne devons pas être complexés. Avec Yves Krattinger, nous avions choisi comme stratégie de penser à 2020 : à court terme, les clivages gauche-droite sont forts, mais il est facile à moyen terme de construire une vision commune.

Cette vision, je l'articule démocratiquement autour de la commune ; nous ne pourrons pas faire autrement. Je ne crois pas aux fusions arbitraires et suis révolté quand j'entends parler des intercommunalités à 20 000 habitants : c'est un raisonnement quantitatif. La bonne intercommunalité, c'est celle qui marche, où les gens se respectent, ne cherchent pas à manger l'autre. Il y en a de belles à 40 000 habitants comme à 15 000 ou 12 000. Je reconnais qu'il y a beaucoup trop de toutes petites communes ; c'est pour cela qu'il nous faut une intercommunalité coopérative et collégiale. Le citoyen comprend ce qui se passe dans la commune ; la commune est donc la base de la République, ce qui n'empêche pas de faire le plus d'intercommunalité possible : il y a mutualisation, mais les décisions sont prises autour de la table. Donc pas d'élection du président de la communauté de communes au suffrage universel direct : l'intercommunalité mutualise, mais le maire est le médiateur de la complexité générale.

La compétence générale doit aller au département. Ayant passé 18 ans à la tête d'un exécutif régional, j'ai un passé de régionaliste ; mais face à la complexité de la société d'aujourd'hui, nous devons conjuguer puissance et proximité. Si vous effacez la proximité au nom de la puissance, vous écrasez ; si vous faites de la proximité sans puissance, on vous reprochera votre impuissance. Il faut donc trouver l'équilibre qui gérera la proximité, mais avec des capacités d'investissement. Voilà pourquoi notre pays devait avoir des départements forts, peut-être plus grands qu'aujourd'hui : si dans ma propre région, on avait un grand département de Charente et un grand département du Poitou, cela ne gênerait personne. Nous pourrions avoir 60 ou 70 départements en France. Ils peuvent gérer un million de personnes comme ils en gèrent 350 000 à 400 000 ; ce qui est important, c'est que c'est un espace historique, compris, un espace d'initiative et pas seulement une zone d'action pour le préfet. C'est le fond de l'affaire. Aujourd'hui, nous ne sommes plus gouvernés par des hommes, mais par des procédures, des réglementations ou des directives. Il y a 10 ou 15 ans, vous alliez dans le bureau du préfet demander un arbitrage ; il écoutait, pesait le pour et le contre et décidait, au besoin en interprétant librement la règlementation. Aujourd'hui, il se contente de regarder si la règle est respectée. Nous devons sortir de ce système trop régulé et déshumanisé. La décentralisation remet de l'humain, du bon sens.

Et la région ? J'ai évolué. La région, c'est une question de puissance et de programmation. C'est vrai pour les universités et pour les grandes infrastructures routières ferroviaires, aéroportuaires. Il faut des territoires élargis pour faire de grands investissements. Je vais même plus loin maintenant : je serais presque pour un Sénat régional, c'est-à-dire des élus régionaux élus au second degré. Non pas le retour à l'établissement public régional mais une rénovation. Je ne vois pas comment on peut faire de la démocratie locale entre Loudun et Pau ! Je suis pour une grande région Aquitaine, mais pour des raisons de puissance et parce qu'on a besoin d'une métropole comme Bordeaux. La région ne gérera pas la démocratie locale mais la programmation. La démocratie locale, c'est le département. Oui aux grandes régions, si nous les séparons du département ; comme elles n'ont pas la compétence générale, il n'y a plus de risque de doublons.

Et ne soyons pas honteux : les décisions absurdes sont plus souvent celles de l'État que celles des collectivités. À Poitiers, deux lignes ferroviaires sont en construction, l'une dans la ville et l'autre à l'extérieur, parce que certains TGV s'y arrêteront et d'autres non. Toute la vallée du Clain est blessée par un viaduc de plusieurs kilomètres. Une voie, c'est quand même un petit milliard d'euros... un milliard de trop !

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