Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 novembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Audition de M. Jean-Pierre Raffarin ancien premier ministre président de la mission commune d'information « avenir de l'organisation décentralisée de la république »

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, président de la mission commune d'information « Avenir de l'organisation décentralisée de la République » :

J'ai fait un rêve juridique : pourquoi ne pas donner aux préfets ou aux maires un pouvoir d'interprétation pour les autoriser à déroger à la règle générale lorsque cela est nécessaire ? Les règlements s'empilent et désormais ce sont les systèmes qui gouvernent, non les hommes. Si l'on veut que les hommes gouvernent, il faut laisser un pouvoir d'interprétation pour donner de la place au bon sens ! On voit des choses absurdes. Dans une commune de la Vienne, une entreprise de 150 salariés a dû partir pour s'agrandir, faute d'une dérogation au plan local d'urbanisme que personne ne pouvait lui accorder. Je plaide pour un humanisme territorial.

Il faut alléger l'État et le recentrer sur l'exercice de ses missions régaliennes. L'État doit conserver son rôle de stratège. Avec la crise, des plans de relance ont été lancés et, partout, on a assisté à une recentralisation. En France, nous sommes allés encore plus loin en créant les investissements d'avenir. Il aurait été possible de recourir à des contrats territoriaux en demandant aux territoires de participer. La crise recentralise. C'est une grave erreur : les solutions passeront par la proximité.

Madame Gatel, je ne suis pas hostile à la création d'un parlement d'intercommunalités dès lors que l'intercommunalité correspond à un espace inter-municipal et cantonal avec un élu spécifique. Tout dépend du découpage des cantons. Cela aiderait peut-être le citoyen à mieux comprendre le territoire au niveau infra-départemental. Les cantons existaient depuis longtemps ; on les remplace par quelque chose qui n'a pas de réalité. L'intercommunalité a le mérite d'exister. Je ne suis pas hostile à dessiner les cantons en fonction de la carte des intercommunalités.

J'aime le concept de mutabilité, évoqué par Mme Doineau. Il faut aider nos structures à bouger, mais il faut aussi aider le monde médiatico-national à comprendre ce qui se fait dans les territoires. Actuellement, cela n'intéresse personne. Comme président de région, quand je tenais une conférence de presse pour annoncer la signature d'un contrat de plan, la presse locale s'y rendait, mais vous n'attirez la presse nationale que si vous claquez la porte d'une réunion à Matignon. Nos élites ne s'intéressent pas aux territoires.

Monsieur Guené, je ne suis pas hostile à des communes nouvelles, mais je n'aime pas le systématisme. Laissons les territoires décider ! Quelle économie réalise-t-on si l'on supprime la plus petite commune de la Vienne, qui compte 60 habitants ? Elle est administrée par neuf élus bénévoles, et tout a déjà été mutualisé ... D'accord pour des communes nouvelles quand on peut rassembler, mais l'objectif ne doit pas être de supprimer la proximité avec l'objectif de rationaliser.

Enfin, il faudrait se pencher sur la place du parlementaire dans la décentralisation. Nous votons le budget de l'État, le préfet dépense les crédits et ne nous associe pas toujours. Les aides aux communes sont distribuées sans nous consulter. Le parlementaire ne peut rester en dehors du jeu, a fortiori avec le mandat unique. Attention à l'écart préoccupant entre les territoires et le Parlement.

Votre tâche est immense. Nous traversons une crise très grave. A Paris, les gens n'en ont pas conscience ; ce n'est pas normal. Quand nous sommes dans les territoires, nous voyons la situation des PME, des artisans, des agriculteurs ; nous savons qu'une crise du lait est imminente. Pourtant, plus la douleur des territoires est grande, plus on a l'impression qu'elle n'est pas entendue. Avec la crise, on centralise, mais ceux qui décident donnent le sentiment de ne pas être proches des difficultés. Qui nous parle d'un plan PME ? Elles traversent pourtant une très grave crise de trésorerie. On le sait localement. Des réunions ont lieu dans les conseils généraux, on en discute, mais tout se passe comme si, une fois la réunion terminée, on remontait à Paris et on l'oubliait. À Paris, on parle de la proportionnelle et d'un certain nombre de sujets de société qui sont tous très importants, mais qui sont loin des problèmes de la France d'aujourd'hui...

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