Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de l’article 1er nous plonge au cœur de la réforme des collectivités territoriales, les conseillers territoriaux étant le corollaire de l’idée centrale de fusion des départements et des régions.
Si l’on peut comprendre la volonté de simplification des institutions locales, en revanche, il est illusoire de nous demander de croire aux bienfaits de la création d’un « super-élu » qui va en remplacer deux.
Comment le conseiller territorial va-il gagner en efficacité puisqu’il sera écartelé entre deux échelons aux fonctions très différentes ? Les régions, qui mettent en œuvre les politiques économiques sur leur territoire, et les départements, qui exercent une mission de solidarité sociale auprès de nos concitoyens, nécessitent deux types d’élus aux rôles bien distincts.
À ce stade de la réforme, puisqu’il n’est pas encore question de clarification des compétences, vous nous demandez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, à l’aveuglette, de charger les épaules des élus locaux et de créer une confusion dans leurs missions.
Pourtant, vous le savez – je n’en doute pas –, tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont choisi de s’investir localement ne ménagent pas leur temps. Demain, s’ils doivent siéger à la fois au conseil régional et au conseil général, ils seront moins disponibles pour se rendre dans les écoles, dans les maisons de retraite, dans les gymnases… N’oublions pas que les élus actuels, en particulier les conseillers généraux, font tout cela aussi en dehors des moments de prise de décisions au sein de leur organe délibérant.
Dès lors, quand j’entends que les élus coûtent cher – c’est un discours récurrent – et que, à ce titre, il en faudrait deux fois moins, je m’interroge sur la pertinence d’un tel argument. Est-ce du gaspillage d’avoir dans notre pays des élus qui prennent quotidiennement le pouls de nos concitoyens, qui les écoutent, qui répertorient leurs besoins et tentent de répondre à leurs difficultés ?
Ce qu’a fait, exceptionnellement, le Président de la République hier soir, en direct à la télévision, nos élus locaux le font tous les jours sur le terrain dans l’ombre et sans publicité. La proximité avec les Français est le ressort de leur mandat : elle doit le rester.
J’ajoute que cet argument économique ne tient que si les conseillers territoriaux arrivent à tout mener de front, leur mandat et leur profession. Or, nous pouvons déjà imaginer que leur double casquette institutionnelle obligera nombre d’entre eux à abandonner leur métier. Dans ces conditions, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la mise en place du statut de l’élu sera incontournable. Ce statut aura forcément un coût financier. Par conséquent, les économies que vous escomptez devront nécessairement être réinvesties.
Confusion, fausses économies : ces deux raisons condamnent sur le fond l’article 1er. Mais la méthode avec laquelle le Gouvernement mène cette entreprise fait également débat, mes chers collègues.
Tout d’abord, il est regrettable que la mission Belot n’ait pas été entendue sur ce point. Elle a dit « non » au conseiller territorial. À l’instar de ce qui s’est passé lors de l’examen de la réforme de la taxe professionnelle, le Gouvernement fait encore la sourde oreille. Il avait réussi à faire taire les voix discordantes qui émanaient de sa propre majorité. Parce que « chat échaudé craint l’eau froide », les voix sont aujourd’hui devenues chuchotantes par prudence.
Mais nous savons bien ici que le consensus est fragile, à tel point qu’un compromis a brutalement surgi en fin de semaine dernière. L’amendement présenté jeudi soir par nos collègues centristes et adopté par la majorité, qui encadre le mode d’élection du conseiller territorial avant même sa création, transpire la négociation.
Sur la forme, il est tout de même étonnant de s’être entendus dire, lors de l’examen du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, puis au début de l’examen du présent texte, que le mode de scrutin des conseillers territoriaux n’était pas à l’ordre du jour, pour finalement voir apparaître un amendement prétendument porteur de principes alors que – cessons l’hypocrisie – il pose clairement le débat sur le mode de scrutin.
Toutes ces discussions souterraines démontrent bien les limites du choix de l’éclatement en trois textes pour l’adoption d’un dispositif phare de la réforme des collectivités locales.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, la grande majorité du RDSE est défavorable à la création du conseiller territorial. Parce que cet article 1er va compliquer le paysage institutionnel local au lieu de le simplifier et parce qu’il prévoit une nouvelle catégorie d’élus dont le mode de scrutin comporte encore des incertitudes et même des risques d’affaiblissement de la démocratie locale, je demanderai tout à l’heure sa suppression. Bien sûr, l’espoir est mince, mais je me battrai jusqu’au bout, avec mes collègues, pour que l’organisation décentralisée de la République gagne en clarté et en efficacité.