Intervention de Frédérique Bredin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 novembre 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Frédérique Bredin présidente du cnc centre national du cinéma et de l'image animée

Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) :

C'est un honneur et une joie de venir devant votre commission, qui a pris des positions très fermes pour soutenir la création et le cinéma en particulier, je pense par exemple à la loi sur la numérisation des salles, qui est devenue un modèle remarqué dans l'Europe entière.

En une année à la tête du CNC, j'ai pu me forger deux convictions.

D'abord celle que l'audiovisuel connaît une mutation majeure avec la révolution numérique, qui est aussi une révolution des pratiques et des usages, en particulier chez les jeunes, ainsi qu'un élargissement des échanges, qui sont d'emblée d'échelle internationale. Cette mutation est une chance autant qu'une menace - cela dépend pour beaucoup de l'angle où l'on se place. Le marché de la diffusion connaît une évolution divergente : les salles se portent bien, l'exportation aussi, tandis que les chaînes de télévision « classiques » voient leur chiffre d'affaires diminuer, que la vidéo à la demande progresse, sans être pour autant assez rémunératrice, et que la vidéo physique s'effondre. Ces évolutions contrastées ont une incidence directe sur le financement des oeuvres et sur le modèle économique du cinéma et de l'audiovisuel. Autre mutation, elle aussi très importante : l'arrivée de géants d'Internet dans l'audiovisuel bouleverse le cadre de la concurrence, menaçant les positions de ceux qui paraissent bien établis aujourd'hui encore - les chaînes de télévision, mais aussi les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Car ces géants, en plus de disposer de moyens très importants, ne sont soumis à aucune des obligations fiscales et de diffusion qui pèsent sur les acteurs traditionnels et qui sont au coeur de notre système de financement de l'industrie cinématographique.

Seconde conviction, celle que les principes et les objectifs de notre soutien public à l'audiovisuel et au cinéma, définis et appliqués depuis bientôt soixante ans, n'ont rien perdu de leur pertinence dans la période actuelle. Le cinéma a déjà connu des révolutions, celle du parlant, de la couleur, de la télévision, d'Internet - chaque fois, le secteur s'est adapté. Créé en 1946 en réaction à l'accord Blum-Byrnes qui faisait craindre un déferlement du cinéma américain sur les écrans français, l'établissement public qui a précédé le CNC a d'abord été pensé pour protéger la production et la diffusion de films français ; le législateur a instauré alors une taxe sur le billet d'entrée pour abonder un fonds de soutien aux films français : la taxe portait sur l'ensemble des films, y compris étrangers, tandis que l'aide allait au cinéma français ; le système mutualisait aussi une partie des gains entre films, avec un effet redistributeur : c'est ce mécanisme qui a soutenu la création cinématographique sur notre territoire, avec la réussite que vous savez, et qui s'est avéré un modèle non seulement pour la création cinématographique, mais aussi pour sa diversité. J'ajoute que l'exception culturelle est tout à fait compatible avec l'ouverture au monde, notre soutien au cinéma en est l'illustration : les aides ne signifient pas un repli sur soi, notre production cinématographique est ouverte via les coproductions, l'accueil de cinéastes étrangers, ce mouvement permanent nourrit la création ; le secteur est également exportateur, nous avons des forces à développer pour exporter davantage encore, c'est un relais de croissance à ne pas négliger.

Quelles sont les perspectives de réformes ?

Je citerai d'abord le soutien à la diffusion en salle. L'acte I de la numérisation des salles a été très réussi, la totalité des salles sont aujourd'hui numérisées, nous sommes le seul pays dans ce cas en Europe. On en mesure l'importance lorsque l'on voit qu'ailleurs, en Italie, en Espagne ou au Portugal par exemple, les salles qui ne sont pas numérisées ne peuvent pas passer des nouveaux films que les distributeurs ne proposent plus qu'en numérique - ce qui condamne ces salles à une fermeture certaine. On peut dire que la numérisation a sauvé notre réseau de salles, nombreuses et diversifiées sur notre territoire - et qui sont importantes pour le lien social dans notre pays. La TVA à taux réduit a fait du bien et les salles ont joué le jeu, avec l'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » : huit millions de places ont été vendues, le succès est incontestable, des jeunes ont pu davantage aller au cinéma, le plus souvent en famille. Nous devons continuer dans ce sens, pour répercuter la baisse de la TVA mais aussi pour aider les salles à s'équiper, en particulier pour l'accueil des personnes handicapées.

L'aide à l'exportation des films français, ensuite : nous avons des positions fortes, mais aussi des marges de progrès que je crois importantes, des mesures sont venues inciter davantage les producteurs et les distributeurs à aller à l'international - il faut continuer dans ce sens.

Le soutien de l'offre française en matière de services audiovisuels numériques : l'arrivée de Netflix et d'Amazon risque de déstabiliser le secteur, ces géants exerçant une concurrence peu équitable avec les opérateurs nationaux et européens qui sont soumis à des obligations fiscales et d'investissement pour le cinéma. Comment, dès lors, soumettre ces géants à des obligations comparables, pour rétablir l'équité de la concurrence ? Ne faut-il pas commencer par taxer la vidéo à la demande ? Le Parlement français l'a demandé, l'État français l'a notifié à la Commission européenne, les Allemands nous ont rejoints : le principe, ce serait d'appliquer la fiscalité du pays de destination, par exemple que la fiscalité française s'applique à ces entreprises lorsque la demande de vidéo est faite depuis le territoire français. Au-delà de la vidéo à la demande, ce même principe pourrait être appliqué aux plateformes qui vivent de la publicité : la fiscalité serait celle du pays où le chiffre d'affaires est réalisé. Une telle réforme, essentielle, fait l'objet d'un débat important. Il faudrait, également, soumettre ces diffuseurs aux obligations de soutien à la production de films, comme il en existe en Europe, en général, et en France, en particulier - ce qui demande une nouvelle directive.

Nous devons faire également des progrès sur la transparence et la maîtrise des coûts dans la production cinématographique. Des réflexions importantes ont été conduites, ouvrant sur des propositions concrètes - je pense en particulier au rapport de la Cour des comptes sur Les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle, aux Assises pour la diversité du cinéma, au rapport que René Bonnell a consacré au Financement de la production et de la distribution cinématographique à l'heure du numérique. Des mesures ont été prises et continueront de l'être, avec comme levier la possibilité de rendre l'aide publique conditionnelle au respect d'obligations mieux définies.

Je terminerai cet exposé liminaire par l'importance de l'industrie cinématographique pour la production de valeur ajoutée et pour l'emploi sur notre territoire. N'oublions pas que l'organisme qui a précédé le CNC était rattaché au ministère de l'industrie - et que c'est André Malraux, en 1959, qui l'a rattaché au nouveau ministère de la culture, tout en indiquant que le cinéma était à la fois un art et une industrie... Cette double matrice continue d'être à la base de la stratégie publique de soutien au cinéma et à l'audiovisuel, le secteur représente 340 000 emplois et 0,8 % du produit intérieur brut (PIB). C'est davantage que l'industrie automobile ; ces chiffres sont méconnus. Cet emploi est particulièrement important en région. On le voit bien, par exemple, pour l'animation, un secteur très dynamique et qui s'exporte très bien. Le soutien public au cinéma, enfin, est particulièrement « localisant », nous soutenons une activité qui s'implante dans l'Hexagone, qui nous est donc directement utile collectivement.

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