Nous auditionnons Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) depuis juin 2013. Cette audition s'inscrit dans le cadre de notre examen pour avis du projet de loi de finances pour 2015 ; elle illustre également l'attention vigilante que nous portons depuis longtemps au secteur du cinéma, élément essentiel d'une exception culturelle que nous souhaitons tous vivante et dynamique.
Le CNC est une création ancienne, dont les canaux d'intervention se sont développés au fil du temps. Dans un contexte financier difficile, il a su adapter ses missions aux défis que pose la révolution numérique, qu'il s'agisse de la préservation des films anciens, de la modernisation des salles ou du mode de diffusion des oeuvres, la concurrence des nouveaux médias.
Plus généralement, tous les mécanismes de soutien qui lui incombent sont aujourd'hui remis en question par l'évolution des techniques et des usages qui en découlent.
Sur tous ces sujets, nous attendons, madame la présidente, votre éclairage.
C'est un honneur et une joie de venir devant votre commission, qui a pris des positions très fermes pour soutenir la création et le cinéma en particulier, je pense par exemple à la loi sur la numérisation des salles, qui est devenue un modèle remarqué dans l'Europe entière.
En une année à la tête du CNC, j'ai pu me forger deux convictions.
D'abord celle que l'audiovisuel connaît une mutation majeure avec la révolution numérique, qui est aussi une révolution des pratiques et des usages, en particulier chez les jeunes, ainsi qu'un élargissement des échanges, qui sont d'emblée d'échelle internationale. Cette mutation est une chance autant qu'une menace - cela dépend pour beaucoup de l'angle où l'on se place. Le marché de la diffusion connaît une évolution divergente : les salles se portent bien, l'exportation aussi, tandis que les chaînes de télévision « classiques » voient leur chiffre d'affaires diminuer, que la vidéo à la demande progresse, sans être pour autant assez rémunératrice, et que la vidéo physique s'effondre. Ces évolutions contrastées ont une incidence directe sur le financement des oeuvres et sur le modèle économique du cinéma et de l'audiovisuel. Autre mutation, elle aussi très importante : l'arrivée de géants d'Internet dans l'audiovisuel bouleverse le cadre de la concurrence, menaçant les positions de ceux qui paraissent bien établis aujourd'hui encore - les chaînes de télévision, mais aussi les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Car ces géants, en plus de disposer de moyens très importants, ne sont soumis à aucune des obligations fiscales et de diffusion qui pèsent sur les acteurs traditionnels et qui sont au coeur de notre système de financement de l'industrie cinématographique.
Seconde conviction, celle que les principes et les objectifs de notre soutien public à l'audiovisuel et au cinéma, définis et appliqués depuis bientôt soixante ans, n'ont rien perdu de leur pertinence dans la période actuelle. Le cinéma a déjà connu des révolutions, celle du parlant, de la couleur, de la télévision, d'Internet - chaque fois, le secteur s'est adapté. Créé en 1946 en réaction à l'accord Blum-Byrnes qui faisait craindre un déferlement du cinéma américain sur les écrans français, l'établissement public qui a précédé le CNC a d'abord été pensé pour protéger la production et la diffusion de films français ; le législateur a instauré alors une taxe sur le billet d'entrée pour abonder un fonds de soutien aux films français : la taxe portait sur l'ensemble des films, y compris étrangers, tandis que l'aide allait au cinéma français ; le système mutualisait aussi une partie des gains entre films, avec un effet redistributeur : c'est ce mécanisme qui a soutenu la création cinématographique sur notre territoire, avec la réussite que vous savez, et qui s'est avéré un modèle non seulement pour la création cinématographique, mais aussi pour sa diversité. J'ajoute que l'exception culturelle est tout à fait compatible avec l'ouverture au monde, notre soutien au cinéma en est l'illustration : les aides ne signifient pas un repli sur soi, notre production cinématographique est ouverte via les coproductions, l'accueil de cinéastes étrangers, ce mouvement permanent nourrit la création ; le secteur est également exportateur, nous avons des forces à développer pour exporter davantage encore, c'est un relais de croissance à ne pas négliger.
Quelles sont les perspectives de réformes ?
Je citerai d'abord le soutien à la diffusion en salle. L'acte I de la numérisation des salles a été très réussi, la totalité des salles sont aujourd'hui numérisées, nous sommes le seul pays dans ce cas en Europe. On en mesure l'importance lorsque l'on voit qu'ailleurs, en Italie, en Espagne ou au Portugal par exemple, les salles qui ne sont pas numérisées ne peuvent pas passer des nouveaux films que les distributeurs ne proposent plus qu'en numérique - ce qui condamne ces salles à une fermeture certaine. On peut dire que la numérisation a sauvé notre réseau de salles, nombreuses et diversifiées sur notre territoire - et qui sont importantes pour le lien social dans notre pays. La TVA à taux réduit a fait du bien et les salles ont joué le jeu, avec l'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » : huit millions de places ont été vendues, le succès est incontestable, des jeunes ont pu davantage aller au cinéma, le plus souvent en famille. Nous devons continuer dans ce sens, pour répercuter la baisse de la TVA mais aussi pour aider les salles à s'équiper, en particulier pour l'accueil des personnes handicapées.
L'aide à l'exportation des films français, ensuite : nous avons des positions fortes, mais aussi des marges de progrès que je crois importantes, des mesures sont venues inciter davantage les producteurs et les distributeurs à aller à l'international - il faut continuer dans ce sens.
Le soutien de l'offre française en matière de services audiovisuels numériques : l'arrivée de Netflix et d'Amazon risque de déstabiliser le secteur, ces géants exerçant une concurrence peu équitable avec les opérateurs nationaux et européens qui sont soumis à des obligations fiscales et d'investissement pour le cinéma. Comment, dès lors, soumettre ces géants à des obligations comparables, pour rétablir l'équité de la concurrence ? Ne faut-il pas commencer par taxer la vidéo à la demande ? Le Parlement français l'a demandé, l'État français l'a notifié à la Commission européenne, les Allemands nous ont rejoints : le principe, ce serait d'appliquer la fiscalité du pays de destination, par exemple que la fiscalité française s'applique à ces entreprises lorsque la demande de vidéo est faite depuis le territoire français. Au-delà de la vidéo à la demande, ce même principe pourrait être appliqué aux plateformes qui vivent de la publicité : la fiscalité serait celle du pays où le chiffre d'affaires est réalisé. Une telle réforme, essentielle, fait l'objet d'un débat important. Il faudrait, également, soumettre ces diffuseurs aux obligations de soutien à la production de films, comme il en existe en Europe, en général, et en France, en particulier - ce qui demande une nouvelle directive.
Nous devons faire également des progrès sur la transparence et la maîtrise des coûts dans la production cinématographique. Des réflexions importantes ont été conduites, ouvrant sur des propositions concrètes - je pense en particulier au rapport de la Cour des comptes sur Les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle, aux Assises pour la diversité du cinéma, au rapport que René Bonnell a consacré au Financement de la production et de la distribution cinématographique à l'heure du numérique. Des mesures ont été prises et continueront de l'être, avec comme levier la possibilité de rendre l'aide publique conditionnelle au respect d'obligations mieux définies.
Je terminerai cet exposé liminaire par l'importance de l'industrie cinématographique pour la production de valeur ajoutée et pour l'emploi sur notre territoire. N'oublions pas que l'organisme qui a précédé le CNC était rattaché au ministère de l'industrie - et que c'est André Malraux, en 1959, qui l'a rattaché au nouveau ministère de la culture, tout en indiquant que le cinéma était à la fois un art et une industrie... Cette double matrice continue d'être à la base de la stratégie publique de soutien au cinéma et à l'audiovisuel, le secteur représente 340 000 emplois et 0,8 % du produit intérieur brut (PIB). C'est davantage que l'industrie automobile ; ces chiffres sont méconnus. Cet emploi est particulièrement important en région. On le voit bien, par exemple, pour l'animation, un secteur très dynamique et qui s'exporte très bien. Le soutien public au cinéma, enfin, est particulièrement « localisant », nous soutenons une activité qui s'implante dans l'Hexagone, qui nous est donc directement utile collectivement.
Merci pour cette présentation et pour ce rappel de l'importance de l'industrie cinématographique en termes d'emploi.
De cet exposé fort clair, et qui soulignait bien les enjeux, je retiendrai qu'en dépit d'une diminution des recettes prévisionnelle de 5 % pour le fonds de soutien et au terme de discussions très étendues, et parfois tendues, le soutien du dispositif d'aide au cinéma est maintenu. Si, dans la situation budgétaire que nous connaissons, les crédits de l'audiovisuel sont restreints alors que ceux de la culture sont globalement préservés, au sein même du secteur audiovisuel, les crédits alloués au cinéma se maintiennent. Nous devons nous féliciter de ce parti pris gouvernemental.
L'organisation du secteur du cinéma se caractérise par quelques dispositifs vertueux tels que la taxe sur les billets d'entrée prélevée au profit de la création et la chronologie des médias. Mais le choc de la révolution numérique doit nous conduire à nous interroger et à poursuivre notre réflexion sur les réformes à envisager, dont certaines préconisées par le rapport Lescure, le rapport Bonnell ou encore le rapport de la Cour des comptes. On avait évoqué, lors des Assises pour la diversité du cinéma, une réforme de la chronologie des médias, avec une commission décidant chaque semaine de dérogation pour les films ne rencontrant pas de succès en salles, pour une diffusion plus rapide en vidéo : a-t-on avancé sur ce dossier ?
Dans un contexte de crise et de concurrence extérieure croissante, les opérateurs français se disent pénalisés par les obligations qui pèsent sur eux, alors que nous savons bien, et eux aussi, que ces obligations ont permis au cinéma français de continuer à se développer. Dès lors, l'alternative à l'allègement de ces obligations, n'est-elle pas d'y soumettre également les opérateurs étrangers : c'est bien le débat, chacun sait de quel côté je me place, dans l'intérêt même de notre industrie cinématographique et de la création dans son ensemble. J'aurais tendance à penser qu'après avoir imposé la TVA nationale à des services proposés sur un territoire donné, l'Europe devrait s'efforcer de généraliser ce principe à la fiscalité des entreprises ; le soutien à l'industrie cinématographique européenne ne peut pas se résumer à une taxe sur les billets vendus en salle, il faut agir davantage contre les grands groupes qui déploient des stratégies d'optimisation fiscale très élaborées.
Cela dit, il semble que les choses avancent, un certain nombre de pays européens s'inspirant de notre dispositif de soutien au cinéma.
Le ministère de la culture ne versant plus de subvention de fonctionnement au CNC depuis 2011, en 2012, il considérait : « son rattachement au programme 224 [transmission des savoirs] n'est aujourd'hui qu'administratif et n'a aucune incidence budgétaire ». Pour autant, le CNC est désormais rattaché au programme Livre et industries culturelles, ce qui me fournit l'occasion de vous interroger sur son fonctionnement après les ponctions opérées sur son fonds de roulement au cours des années récentes : pouvez-vous nous apporter des précisions sur la mobilisation de la réserve de solidarité pluriannuelle en 2013 ?
En tant que membre de la commission des affaires européennes, j'insiste, par ailleurs, sur la nécessité de maintenir la pression sur la Commission européenne afin que l'exception culturelle demeure un principe fondamental de notre action. Le financement de la création cinématographique est assis sur des mécanismes nationaux bien rôdés mais remis en cause par l'émergence de nouveaux acteurs, sociétés multinationales qui échappent aux contraintes de droit commun, même si l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vient de rendre publiques ses premières recommandations en faveur d'une révision des conventions fiscales intéressant les « GAFA ».
Avec 630 millions d'euros pour 2015, le CNC prévoit une diminution significative du fonds de soutien, mais elle est le fait du recul du marché lui-même ; ce qu'il faut signaler, d'abord, c'est que, dans ce contexte, le CNC a été pleinement respecté dans ses missions puisque le Gouvernement renonce à écrêter les taxes qui nous sont affectées, de même qu'à prélever notre fonds de roulement. Nous nous félicitons de ces nouvelles conditions très positives, qui devraient perdurer pour le triennal à venir.
L'an passé déjà, nous constations un recul de nos recettes de 40 millions d'euros : 10 millions liés à « l'amendement Canal + » et 30 millions à la diminution du chiffre d'affaires des diffuseurs, recul que la participation des fournisseurs d'Internet n'a pas compensée, malgré nos espoirs. Nous savons d'ores et déjà que ce mouvement va se poursuivre l'an prochain - il est satisfaisant, cependant, que les FAI aient accepté de participer au financement de la création, après l'avoir refusé avec fermeté pendant bien des années.
Plusieurs grands dossiers se présentent à l'échelon européen. Avec nos homologues, réunis au sein du réseau des centres européens du cinéma, nous avons saisi les institutions européennes récemment renouvelées pour qu'une régulation soit mise en place, qui passe par des outils capables de faire contribuer ces nouveaux acteurs extérieurs, sur le plan fiscal aussi bien que pour la diffusion et le soutien à la création de contenus. Des avancées ont été possibles pour la TVA, il faut le faire pour le cinéma et l'audiovisuel.
La chronologie des médias est fixée par un accord interprofessionnel, le CNC n'a qu'un rôle de facilitateur ; l'accord actuel court jusqu'au 6 avril prochain. Nous tenons une réunion plénière dans deux jours avec toutes les parties prenantes pour se mettre d'accord sur la commission de dérogation. L'idée est qu'il existe un délai de quatre mois intangible où le film ne peut être vu qu'en salle. Il est fondamental de ne pas toucher à ce délai avec néanmoins des exceptions envisageables, comme lorsqu'un film n'a pas eu le succès escompté et qu'il puisse être diffusé plus rapidement en vidéo à la demande (VàD).
Aujourd'hui, il n'existe pas d'obligation de présentation d'une oeuvre sur une plateforme de VàD. C'est l'objet des discussions et c'est loin d'être simple. Nous espérons avancer rapidement sur ces sujets d'ici la fin de l'année.
L'emploi est une dimension très importante de l'industrie cinématographique, mais on ne sait pas précisément de quel type d'emploi il s'agit, s'il est salarié ou intermittent, à durée déterminée, quels sont les niveaux de formation : avez-vous des éléments sur ce sujet ?
Ensuite, l'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » va-t-elle être renouvelée ?
Il y a déjà de nombreuses années que la politique de soutien au cinéma recueille un très large consensus au sein de notre commission, c'est une raison des succès que nous avons enregistrés. Je me réjouis que les ressources du CNC ne soient pas écrêtées cette année car les ponctions remettent en cause notre modèle même du soutien au cinéma.
Vous avez rappelé le succès de la loi sur la numérisation qui fait qu'aujourd'hui, pratiquement toutes les salles sont équipées ; c'est un modèle à préserver. Des petites salles en province, cependant, continuent d'être menacées et il ne faut pas perdre de vue que le succès global des salles - près de 200 millions de spectateurs cette année - masque une grande disparité des situations, avec une forte concentration, qui s'amplifie : il faut y prendre garde. De même, il ne serait peut-être pas inutile, surtout quand on appelle à plus de transparence, de regarder du côté des relations entre les distributeurs et les exploitants, un domaine très particulier s'il en est, où les contrats sont oraux et se trouvent conditionnés par le succès que rencontrent les films...
La mise aux normes pour l'accueil des personnes en situation de handicap, ensuite, va poser de grandes difficultés à nombre de salles anciennes, les délais paraissent courts : dans quelle mesure le CNC peut-il les y aider ?
Comment anticipez-vous la fin du mécanisme financier des frais de copies virtuelles (VPF), qui a aidé les salles à s'équiper en numérique ? Le CNC conduit-il une réflexion sur le sujet ?
L'an passé, au terme d'une rude bataille, nous avons relevé le crédit d'impôt sur les dépenses de tournage effectuées en France, mais nos voisins allemands et belges, par exemple, continuent de bénéficier de mécanismes plus favorables. Ce crédit d'impôt est un critère de localisation de tournages, donc un levier de développement de nos territoires : pensez-vous qu'il faille aller plus loin, et comment ? Quid, en particulier, de la question des sommes éligibles ?
Enfin, où en est le programme de numérisation des oeuvres sur support argentique ?
Quelles sont vos relations avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ?
Quel regard portez-vous sur les politiques européennes de soutien au cinéma et quels vous paraissent les obstacles à la création du marché unique numérique à l'horizon 2020 ?
Où en est votre réflexion sur l'évolution des conventions avec les régions ? C'est un outil extrêmement intéressant, le cofinancement élargit l'investissement - quelles évolutions voyez-vous dans la réforme territoriale en cours, quelle répartition des compétences ? Pour ma part, j'ai toujours plaidé pour des conventions beaucoup plus territorialisées...
L'emploi dans l'industrie cinématographique recouvre effectivement des métiers et des statuts très divers, nous les connaissons mieux grâce à une première étude globale que nous tenons à votre disposition : c'est un sujet sur lequel nous allons continuer de travailler ; l'animation est, effectivement, un secteur très dynamique, avec quelque 5 000 emplois, le plus souvent des jeunes, très qualifiés, avec des entreprises présentes en région. La cartographie de l'industrie cinématographique fait apparaître des pôles régionaux tout à fait intéressants : il y a bien là un levier pour le développement régional dans son ensemble.
Les crédits d'impôt liés à la production jouent effectivement un rôle décisif pour la localisation des tournages dans l'Hexagone ; nous y avons travaillé également et tenons à votre disposition des éléments très précis, démontrant l'effet de levier des tournages bien au-delà des professionnels du cinéma. Les études montrent aussi que l'État lui-même est gagnant, puisque l'activité produite abonde ses recettes fiscales et celles de la Sécurité sociale : le rapport serait même de un pour trois... Les crédits d'impôt, d'une manière générale, s'avèrent donc un outil très utile, sur le plan économique et culturel.
L'opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » rencontre un succès incontestable, les exploitants de salles en ont conscience, c'est un signe très fort en direction des familles et des jeunes. Le taux réduit de TVA étant pérenne, nous espérons qu'elle sera reconduite ; je crois que les exploitants ont compris le message mais également l'intérêt qu'ils ont à ce que les jeunes prennent l'habitude de venir dans leurs salles.
Les relations entre distributeurs et exploitants sont effectivement un sujet, des discussions sont en cours.
L'exploitation en salle se concentre progressivement, le mouvement est engagé depuis de nombreuses années, le tiers des écrans réalise aujourd'hui quasiment les deux-tiers des entrées. Des mesures ont été prises pour l'enrayer, le rapport de votre ancien collègue Serge Lagauche sur la réforme de la procédure d'aménagement cinématographique propose des pistes très intéressantes, notamment pour renforcer les critères strictement cinématographiques dans l'autorisation d'implanter de nouvelles salles : il faut mieux prendre en compte les salles indépendantes et les salles d'art et essai.
L'importance des relations entre distributeurs et exploitants a été très bien marquée lors des Assises sur la diversité du cinéma, nous avons débattu de l'accès aux nouveaux films pour les plus petites salles. Notre objectif est de parvenir à un engagement de distribution pour une meilleure répartition des films en sortie nationale, qui limiterait la concentration dans les seuls grands centres urbains. Nous projetons également de renforcer l'aide à la petite et à la moyenne exploitation ; c'est le cas en particulier pour l'aide aux travaux d'accessibilité aux personnes handicapées : nous la ciblerons sur les petites exploitations. Nous souhaitons également faciliter la transmission des petites exploitations, c'est un facteur clé pour que ces salles ne soient pas rachetées par quelques grands groupes.
Puis la commission auditionne Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le projet de loi de finances pour 2015.
Madame la ministre, vous allez nous présenter les crédits du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour 2015. Pour compléter notre information, nous recevrons demain le ministre de l'agriculture, responsable notamment du programme 142 « Enseignement supérieur et recherches agricoles ». L'intérêt que notre commission porte à l'enseignement supérieur et à la recherche n'est pas nouveau, comme en témoignent les récents travaux de notre collègue Dominique Gillot sur le financement des universités - en collaboration avec la commission des finances. Les économies demandées aux établissements d'enseignement supérieur dans le cadre du redressement des comptes publics, avez-vous annoncé, tiendront compte de la situation financière de chacun d'entre eux. Qu'en est-il précisément ? Ces économies ne risquent-t-elles pas de remettre en cause les engagements pris par le Gouvernement en matière d'emploi scientifique - remplacement de toutes les personnes qui partent à la retraite, chercheurs comme ingénieurs, sans oublier les perspectives d'avenir que nous devons pouvoir offrir à nos jeunes chercheurs ?
L'Agence nationale de la recherche (ANR) a un nouveau président-directeur général. Il doit appliquer le décret de mars dernier qui renouvelle le cadre de fonctionnement de l'agence, en renforçant ses missions et en modifiant sa gouvernance. Quelles orientations lui avez-vous données pour mener à bien cette tâche ? Enfin, à l'occasion de la table ronde que nous avions consacrée aux Moocs au printemps dernier, nous avions reçu les responsables de France Université Numérique. Pouvez-vous nous faire le point sur ce dossier, sachant que nous ne pouvons rester à l'écart du développement des nouveaux modes d'enseignement fondés sur le numérique.
Même si ce ne sont pas des sujets à forte portée médiatique, l'enseignement supérieur et la recherche sont une priorité pour notre pays. J'ai du reste déploré que lors du vote de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, les médias se soient focalisés sur deux ou trois éléments - je songe notamment à l'article 2 sur les cours dispensés en langues étrangères -, occultant tous les autres. Dans son ensemble, mon budget 2015 est placé sous le signe de la stabilité, conformément aux engagements du Président de la République et du Premier ministre. Les moyens sont préservés, 26,6 milliards d'euros pour la mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur (MIRES) et 23,5 milliards pour le périmètre de l'enseignement supérieur et de la recherche. La MIRES recouvre tous les programmes du Secrétariat d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche ainsi que les programmes de recherche des ministères de l'agriculture, de l'environnement et de la défense. Les crédits consacrés à l'enseignement supérieur - ceux du programme 150 - sont stables et même en légère hausse, à 12,8 milliards d'euros. Les dépenses immobilières chutent, la fin des travaux à Jussieu - désamiantage et reconstruction - dégageant une économie de 111 millions d'euros. C'est une bonne nouvelle, 106 millions d'euros supplémentaires ont ainsi pu être consacrés à la masse salariale et au fonctionnement des établissements. Ces moyens dévolus aux universités ont permis de financer les grands engagements du Gouvernement. Mille emplois supplémentaires sont alloués chaque année aux universités jusqu'en 2017, pour 60 millions d'euros par an. Des mesures catégorielles ont été rendues possibles en faveur des catégories B et C, avec une augmentation des crédits correspondants de 20 millions d'euros. La compensation boursière était réclamée par des universités qui, accueillant un grand nombre de boursiers, sont désavantagées car elles ne perçoivent pas de frais d'inscription. Elle sera complète dans quatre ans - la première année, 25 % seront pris en charge, ce qui représentera une dépense de 13 millions d'euros. Enfin, le glissement vieillesse-technicité (GVT), qui n'avait pas été pris en compte lors du passage des universités aux responsabilités et compétences élargies (RCE), figurera pour la première fois dans le budget. C'est une grande victoire, il nous a fallu deux ans pour convaincre !
Les mesures engagées par le ministère ont amélioré la situation des universités, fortement dégradée après leur passage aux RCE. Dix-sept universités étaient en déficit en 2012, huit en 2013 et quatre en 2014 ; quatre universités seulement sont en double déficit, et elles ne seront probablement plus que trois en 2015, car l'université de Versailles-Saint-Quentin devrait retrouver une trésorerie positive, en dépit de tous les dysfonctionnements qu'elle a pu connaître. Ces progrès sont le résultat d'un accompagnement très serré et de formations coordonnées par le ministère et dispensées auprès des équipes de gouvernance des universités.
Les crédits consacrés à la vie étudiante progressent de 45 millions d'euros. Ils serviront à financer la deuxième vague de réforme des bourses d'études. Cette année, 77 500 étudiants - contre 57 000 l'an dernier - qui bénéficiaient seulement de la dispense des frais d'inscription ont obtenu une allocation de 1 000 euros. Mille nouvelles aides d'un montant de 4 000 à 5 500 euros ont été prévues pour les étudiants en rupture familiale - 8 000 sont concernés. Enfin, nous avons augmenté de 0,7 % - soit deux fois l'inflation -, le montant de l'ensemble des bourses. L'effort global s'élève à 100 millions d'euros. En cette période de restriction budgétaire, il s'agit d'un acte politique fort. Pourquoi avons-nous privilégié les aides sur critères sociaux ? Toutes les études montrent qu'une situation sociale déficiente est le premier facteur qui compromet la réussite dès la première année d'études. Il est donc logique que sur le total de 600 millions d'euros de bourses, nous y consacrions 458 millions.
Les moyens de la recherche sont sauvegardés à hauteur de 7,77 milliards d'euros, en légère hausse, de 6 millions. Les organismes de recherche conservent leurs moyens, de même que l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui se maintient à 580 millions d'euros - elle n'a jamais dépensé plus. Dans un contexte démographique rendu défavorable par la fin des départs à la retraite de la génération du baby boom, la loi Sauvadet, pourtant votée unanimement sous le précédent quinquennat, a eu un impact négatif : beaucoup de contrats à durée déterminée (CDD) ont été conclus, lors d'appels d'offre nombreux et mal préparés. À présent ces contrats se terminent. J'ai négocié avec les organismes de recherche afin que chaque départ à la retraite soit remplacé et même davantage - et cela pour tous les métiers exercés, chercheurs, ingénieurs, personnels administratifs, etc. J'ai également demandé que la priorité soit donnée à l'embauche des jeunes chercheurs. Forte de ses 12 000 docteurs par an, la France devance le Royaume-Uni et l'Allemagne en nombre de chercheurs dans la population active. Pour élargir les perspectives d'embauche, nous avons également sollicité les entreprises privées.
La priorité budgétaire accordée à l'enseignement supérieur et à la recherche s'inscrit dans le droit fil de l'effort engagé depuis 2012. Cet effort a conduit à une augmentation de 638 millions d'euros en trois ans des crédits accordés à ce secteur déterminant pour l'avenir. Dans une période de budget contraint, cette performance m'est enviée par mes collègues !
La contribution au redressement des comptes publics prévue pour les établissements supérieurs, 100 millions d'euros, suscite quelques inquiétudes. Les économies tiendront-elles compte de la situation financière de chaque établissement ? C'est indispensable. La fin de la sanctuarisation des crédits ne nous rassure pas non plus. Devant notre commission, il y a quelques instants, Mme Frédérique Bredin, présidente du centre national du cinéma et de l'image animée, a évoqué les salles obscures et les premiers baisers ; je voudrais parler des mots d'amour et des preuves d'amour. Fin 2012, lors des assises de l'enseignement supérieur, le Président de la République affirmait vouloir insuffler une ambition nouvelle à la recherche. Les mots d'amour sont là ; les preuves d'amour n'y sont pas, car ni la loi de juillet 2013, ni le budget que vous nous présentez ne contribuent à mettre en place une stratégie de long terme pour la recherche. La loi fondatrice d'avril 2006 prévoyait, dans une période également contrainte, de faire de la recherche le socle de la relance économique. Les investissements d'avenir avaient alors mobilisé 35 milliards d'euros.
Il est indispensable de relancer notre recherche dans un monde de plus en plus compétitif, en prévoyant le renouvellement des équipes et le remplacement des départs en retraite, pour combler le trou générationnel. Vous nous avez parlé d'une augmentation de 7 millions d'euros sur le fonds consacré à la recherche et d'une baisse de 5 millions d'euros sur celui de l'enseignement supérieur. C'est un équilibre.
Les difficultés budgétaires des universités persistent, néanmoins. La Conférence des présidents d'universités (CPU) a évalué à 200 millions d'euros l'écart entre la prévision des dépenses obligatoires pour les établissements et les dotations de l'État. Dans une motion, elle indique que la création des postes d'enseignement supérieur ne saurait masquer l'ampleur des besoins de financement globaux des établissements et l'urgence à y répondre. Les difficultés budgétaires des universités les incitent à revoir leurs priorités. Une stratégie d'austérité se met en place : fermeture de certaines filières, baisse des volumes horaires, gel des postes...
Quant aux 1 000 emplois, le Snesup lui-même a parlé de « jeu pipé », car certains établissements n'ont pas créé les postes attribués en 2013, utilisant les fonds pour maintenir l'équilibre de leurs comptes. Le bilan positif que vous dressez au sujet de la réduction du déficit des universités est peut-être un peu optimiste. Le manque de postes pousse les enseignants à faire davantage d'heures supplémentaires et met le personnel administratif en difficulté. La CPU regrette que les crédits soient alloués en priorité à la vie étudiante plutôt qu'aux établissements. Le dernier versement 2014 de l'État, fin octobre, a été amputé de 20 % ; un versement additionnel est prévu en novembre. Les universités les plus fragiles n'arrivent plus à payer leur personnel.
Dans le contrat de projets État-régions 2015-2020, le volet enseignement supérieur et recherche est très légèrement en baisse par rapport à celui de 2007-2014. Selon l'Association des régions de France (ARF), ces crédits passeraient de 2,19 milliards à 850 millions d'euros. Participez-vous aux négociations ? Avez-vous des informations sur cette diminution des crédits ? Les universités concernées vont-elles percevoir en 2015 une compensation intégrale pour l'exemption des droits d'inscription des étudiants boursiers ? La répartition entre établissements sera-t-elle équitable ? Quelles pistes de réforme envisagez-vous pour le nouveau modèle d'allocation des moyens aux universités, Modal ? Le Gouvernement avait prévu la suppression des bourses au mérite - cela concerne 16 000 bacheliers. Le Conseil d'État a décidé de suspendre cette suppression. Quelles en sont les conséquences budgétaires ? Enfin, l'État respectera-t-il en 2015 ses engagements budgétaires vis-à-vis des établissements d'enseignement supérieur privés ? Quand commencera-t-il à attribuer la qualification d'établissement d'enseignement supérieur d'intérêt général, conformément à ce qu'a prévu la loi du 22 juillet 2013 ?
De la CPU, je n'ai pas entendu la même chose que ce qu'en a retenu M. Grosperrin : il faut croire que nous n'avons pas les mêmes oreilles. Le maintien des crédits consacrés à la recherche est un effort remarquable dans la période actuelle. Quelles mesures concrètes le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre pour limiter la précarité de l'emploi scientifique ? Tous les chercheurs n'ont pas vocation à occuper un emploi statutaire. Leur nombre augmente. Comment favoriser leur embauche par des entreprises - au-delà du crédit impôt recherche ? Comment développer la recherche partenariale entre les entreprises qui bénéficient du crédit impôt recherche et les universités, en particulier les universités de technologie ? Dans quelle mesure l'ANR pourra-t-elle renforcer son préciput afin de mieux prendre en compte les frais de gestion associés à la conduite des projets de recherche ? Le taux de prise en charge de ces frais est en moyenne de 20 % dans l'Union européenne, contre 12 % en France. Sous quelles conditions et dans quel délai pourrons-nous nous aligner sur l'objectif européen ? Des comités sont au travail pour définir les stratégies nationales d'enseignement supérieur et de recherche. Ces stratégies s'appuient sur des acquis et sur l'évolution des pratiques de transmission et de partage de la connaissance. Comment favoriser la recherche en formation et en pédagogie innovante ? Les investissements d'avenir pourront-ils porter la dimension participative du partage de la culture scientifique ? Dans la recherche, les évolutions de carrière dépendent beaucoup du nombre de publications. Comment intéresser les chercheurs à la pédagogie sans qu'ils y voient un handicap pour leur avancement ?
Quels seront les taux de mise en réserve des crédits dans les organismes de recherche en 2015 ? Quelle sera la nature des économies qui leur seront demandées pour contribuer aux efforts de la nation ? Conformément à la loi de 2013, quelles mesures favoriseront l'accès des titulaires d'un doctorat à la haute fonction publique ? Des campagnes de promotion sont-elles envisagées pour changer le regard du secteur économique sur ces diplômés formés à la recherche ? Enfin, la mobilité internationale est souvent considérée comme une fuite des cerveaux plutôt que comme une chance pour la jeunesse. N'est-ce pas confondre mobilité entrante et sortante, émigration et immigration ?
J'apprécie l'étendue et la variété de vos questions. Je le redis : dix-sept universités étaient en déficit lorsque j'ai pris mes fonctions ; elles ne sont plus que quatre. Nous avons accompagné le changement. Nous avons fait des diagnostics flash plutôt que de nous limiter à constater les dysfonctionnements et les échecs - comme à l'université de Versailles-Saint-Quentin. Nous avons fait en sorte que les universités adoptent de plus en plus un système de comptabilité analytique qui facilité la lisibilité des évolutions budgétaires. Le passage aux RCE nécessite un accompagnement et une formation des équipes administratives, au sein des universités. C'était le maillon manquant après le vote de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU). Dans une entreprise, tout changement est accompagné. Pourquoi ne le serait-il pas dans les universités ? Nous avons consacré beaucoup de temps à la formation des équipes, notamment dans le cas de l'université de Saint-Quentin. Je suis reconnaissante à mon cabinet et aux services du ministère d'avoir joué ce rôle nouveau, indispensable.
La simplification a également porté ses fruits. Sans parler de matières rares, 30 % des masters avaient une seule université de référence, voire un seul enseignant-chercheur de référence, pour moins de quinze étudiants parfois. Une offre de formation avec 10 000 parcours de masters et 5 000 intitulés différents est-elle encore lisible ? Non. La réduction de leur nombre est une clarification, non un appauvrissement. La formation universitaire est la seule à être irriguée par la recherche. Elle est diverse et n'est pas formatée. Les entreprises ont besoin d'ingénieurs, de gens qui anticipent les mutations, sentent les usages et mesurent l'acceptabilité des produits fournis par l'entreprise. La formation universitaire est la plus à même de fournir ce type de compétences. La simplification des masters contribue à rendre l'offre universitaire lisible pour les entreprises. Elle s'est faite au bénéfice de l'insertion professionnelle des étudiants, et en dialogue avec les responsables de département. Nous avons réduit le nombre des masters à un peu plus de 400. À présent, nous nous adapterons au fil de l'eau. L'université est un organisme vivant et pluraliste. Le dogmatisme ne lui convient pas. La même règle ne peut pas s'appliquer à tous les établissements. Nous avons également simplifié les licences générales, en réduisant leur nombre de 1 800 à moins de 300, et nous sommes en négociation avec les départements pour simplifier le système des licences professionnelles. Ainsi, les familles devraient y voir plus clair.
La remise en place du dispositif « Système de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité » (Sympa) participe du même esprit de simplification. Beaucoup de modèles ont été expérimentés, prenant en compte des facteurs comme le nombre de boursiers, de disciplines ou d'étudiants, sans que les simulations financières donnent satisfaction. Le travail n'est pas perdu pour autant. Il a montré que le dispositif s'appliquait facilement aux écoles d'ingénieurs, mais pas aux universités qui offrent trop de diversité. Qu'y a-t-il de commun entre une grande université centrée sur la recherche et une université régionale, plus petite, mais utile aux étudiants qui souhaitent commencer leurs études en restant dans leur région ? Pour avoir des modèles équitables, nous devons prendre le temps de catégoriser les universités. Si nous appliquions le modèle Sympa, certaines universités verraient leur dotation baisser de 20 millions d'euros. Ce n'est pas réaliste. Chaque année, cinq versements sont alloués aux universités. Ceux qui m'ont précédée dans mes fonctions se sont battus pour obtenir le maximum de crédits jusqu'à la fin de l'année. C'est aussi ce que je fais. Jusqu'à présent, les arbitrages ont toujours été favorables.
Quant aux aides au mérite, elles ont été mises en place par Claude Allègre, à un moment où il y avait moins de 3 % de mentions « très bien » au baccalauréat. Aujourd'hui, le pourcentage dépasse 12 %. Or les bacheliers qui obtiennent une mention « très bien » appartiennent rarement aux classes défavorisées. Ces aides n'ont aucun effet levier social. Compte tenu de l'avis négatif du Conseil d'État, qui portait sur la forme et non sur le fond, il a finalement été décidé de maintenir ces aides, dont la suppression avait été annoncée près d'un an à l'avance, afin de ne pas pénaliser les bénéficiaires ; elles représentent en tout 39 millions d'euros et 14,6 millions pour la première année. Nous réfléchissons à la création d'un système capable de prendre en compte la dimension sociale, pour aider les étudiants à améliorer leurs conditions de vie - logement, santé, etc. La majorité des organisations étudiantes nous soutient dans cette démarche. Mme Pécresse avait vu les limites du système et déjà réduit de 20 % à 2 % le nombre de boursiers concernés, au niveau du master. Du reste, le système de notation variant selon les disciplines et les universités, les étudiants n'étaient pas tous traités pareillement, ce qui donnait lieu à de nombreux recours.
Dans la recherche, avec la fin du baby boom, le volume de départs à la retraite a effectivement diminué. Nous entretenons un dialogue soutenu avec les organismes de recherche pour qu'ils orientent leur politique de ressources humaines vers l'embauche des jeunes chercheurs et l'insertion des post-docs. Le secteur privé finance la recherche à hauteur de 63 % et 60 % des chercheurs travaillent dans le privé, mais seulement 12 % d'entre eux sont titulaires d'un doctorat académique. Les entreprises embauchent plutôt des ingénieurs. Il faut changer la culture à la fois du côté des entreprises et du côté académique. Les jeunes qui s'engagent dans une thèse doivent pouvoir envisager la recherche privée comme un débouché possible. Nous formons 12 000 docteurs par an dont 41 % sont étrangers - c'est important pour la défense de la francophonie. Il faut en finir avec le préjugé selon lequel la recherche privée est une issue pour ceux qui ne réussissent pas à faire une carrière académique. En Allemagne, on compte quatre fois plus de docteurs dans l'industrie qu'en France. Dans notre pays, cinq ans après leur diplôme, 50 % des docteurs exercent dans la recherche publique, 25 % dans des établissements privés et 25 % ailleurs, dans des start-ups, comme journalistes ou autres. Il y a là une anomalie de la culture française. En rapprochant les écoles des universités, nous ferons tomber bien des cloisonnements. Plus qu'un infléchissement, nous voulons un changement culturel.
Une difficulté particulière concerne la biologie. Les jeunes filles, titulaires d'un bac S avec mention « bien » ou « très bien » se dirigent vers la biologie ou les sciences de la vie plutôt que vers la physique ou les mathématiques. Combien de masters en informatique ou en mathématiques 100% masculins ! J'ai pu constater que le master « Big data » de l'université Pierre et Marie Curie comptait seulement trois filles sur 100 étudiants : deux Algériennes et une Syrienne. Il y a en France un problème manifeste ! D'autant que la biologie fournit dès lors des promotions trop nombreuses, que nous ne parvenons pas à gérer.
La frénésie d'appels d'offre durant le dernier quinquennat a conduit à la multiplication d'embauches en CDD dans les organismes de recherche : à l'Inserm, la proportion de contrats à durée déterminée est passée de 10 à 35 %. À cela s'est ajoutée la loi Sauvadet. Si bien que nous connaissons maintenant des difficultés d'insertion. Les quatre années qui viennent vont être délicates, nous étudions comment éviter un trop grand creux dans les recrutements, d'autant que la file d'attente ne diminuera pas.
Entre 2012-2013 et 2013-2014, le nombre de postes d'enseignants dans le supérieur est passé de 91 300 à 91 771. Des postes ont été gelés, mais 1 000 ont été créés : 23 % dans les fonctions de soutien et de support, 1,5 % au service de l'entreprenariat, 10,5 % pour le numérique et 65 % au profit direct de l'étudiant (amélioration de l'orientation, innovations pédagogiques, insertion, maîtrise des langues).
Nous demandons aux universités de réduire leurs charges de 100 millions d'euros, certes, mais nous leur accordons 206 millions supplémentaires, soit 106 millions nets. Oui, un effort de mutualisation des services généraux est nécessaire : comment accepter que certaines universités, parce que chacun entend préserver son pré carré, conservent quatre services de relations internationales ou quatre services informatiques ?
Il existe aujourd'hui 53 Moocs, comptant 400 000 inscrits. Cédric Villani m'a assuré hier qu'il mettrait en place en 2015 trois Moocs qui seront paraît-il assez surprenants. Les Moocs ne suppriment pas la place des enseignants, ils rétablissent un lien de proximité avec l'étudiant sur la base de connaissances déjà acquises. Les cours théoriques sont diffusés par voie numérique ; l'enseignant rencontre ensuite des étudiants plus avertis. Il y a peu, un jeune Allemand m'a dit sa surprise lorsqu'il a constaté qu'en France seul l'enseignant parlait. Eh oui : l'interactivité doit progresser !
Enfin, la fuite des cerveaux est un marronnier des médias, mais elle n'existe pas. Au cours des dix dernières années, le solde positif se monte à 900 000 personnes diplômées qualifiées, ce qui nous place en deuxième position après les États-Unis. Notre pays compte 41 % de doctorants étrangers et 31 % de chercheurs étrangers au CNRS. Tous les grands scientifiques ont un parcours international.
Les étudiants en master 2 qui sont en apprentissage ont du mal à trouver des entreprises pour les accueillir. Ainsi en est-il pour le master en ingénierie éditoriale et communication (IEC) à Cergy. Les entreprises sont-elles contactées en amont par l'établissement ? Les effectifs étudiants sont-ils décidés en fonction des engagements des entreprises ?
Les inquiétudes persistent sur le rétablissement financier des universités. Vous indiquez que 1 000 postes ont été créés, mais combien sont réellement ouverts ? Les universités gèlent les recrutements parce qu'il faut d'abord payer les dépenses courantes, comme le chauffage !
La Cour des comptes a calculé que 900 équivalents-temps-plein (ETP) avaient été supprimés en 2012, et encore 2 231 en 2013. Vous mentionnez quant à vous 471 créations...
Sur l'année universitaire 2013-2104, oui.
Vous annoncez des redéploiements en fonction des priorités du gouvernement mais les services administratifs universitaires souffrent de carences d'emplois...
Nous sommes hostiles à la logique et à la méthode de financement de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Nombre d'organismes de recherche, comme le CNRS, ont vu leur budget et leurs effectifs diminuer. En outre, les places aux concours se raréfient. Le crédit impôt recherche, coûteux, est-il efficace ? Sanofi en a largement bénéficié, ce qui ne l'a pas empêché de fermer des centres de recherche.
J'ai vu à Grenoble comment le modèle français, qui ne repose pas sur la cogestion avec les entreprises comme en Allemagne, mais sur l'intelligence des territoires, peut fonctionner. Quels que soient demain les contours des régions et des départements, les futurs contrats de projets État-région (CPER) devront faire la part belle à cette intelligence des territoires. Vous incarnez, madame la ministre, l'État stratège, le territoire stratège, et, ajouterai-je, le bonheur grenoblois. François Hollande n'a-t-il pas dit : « Mon modèle, c'est Grenoble » ? Et le brillant Christian Blanc a lui aussi affirmé : « Pour moi, l'avenir, c'est Grenoble ». Comment avez-vous abordé l'épreuve de vérité des contrats de projets, qui vont nous engager pour longtemps ? Dans la première mouture, pour ma région, 3 millions d'euros ont été prévus sur six ans.
Votre ministère est au coeur de l'avenir de notre pays, qui repose fondamentalement sur la formation, la recherche, l'innovation. Ma région, qui compte 4 millions d'habitants, est attributaire de 2 % des investissements d'avenir, contre 42 % à l'Île-de-France. Nous consommons 1,6 % du CIR, l'Île-de-France 67 %. Mais le Nord-Pas-de-Calais fournit 9 % des exportations : nous sommes ancrés dans l'économie mondiale. Votre expérience grenobloise peut nous éclairer : comment procéder aux adaptations territoriales qui s'imposent ?
Il existe une inadéquation entre les étudiants désireux de suivre une formation en alternance et le nombre d'entreprises disposé à les accueillir. Ne pourrait-on utiliser le CIR pour rapprocher l'offre de la demande ? Le RDSE se satisfait de ce budget en relative augmentation, depuis plusieurs années, ces crédits sont privilégiés.
Les sept universités de Bretagne et des Pays de la Loire veulent construire une communauté d'universités et d'établissements (Comue), mais s'inquiètent aussi du contenu des futurs CPER.
La santé des étudiants me tient à coeur : que va-t-il se passer, dans la mesure où la MGEN n'a pas souhaité prendre en charge la gestion de La Mutuelle des étudiants (LMDE) ?
Madame Duchêne, 75 % des étudiants estiment qu'il faut renforcer les liens entre les entreprises et l'université afin d'accroître leurs chances de trouver un emploi. Ils ont l'obsession, bien légitime, de l'insertion dans la vie professionnelle. Nous prenons des initiatives à ce sujet.
Nous voulons aussi faire une plus grande place, dans les enseignements, à la conduite de projets, car notre système de formation est basé sur la performance individuelle et jamais sur le travail d'équipe. J'ai travaillé dans une start-up, j'ai vu quelles pertes de synergie et de compétitivité pouvaient résulter de ces lacunes.
Les universités savent à quelles entreprises s'adresser pour leur demander d'accueillir des étudiants en master 2. Cela est d'autant plus vrai pour les universités situées en ville nouvelle, comme à Cergy et Marne-la-Vallée. Sans environnement préexistant, elles n'ont d'autre choix que de se tourner vers les milieux économiques extérieurs.
Grâce à l'apprentissage et l'alternance, les jeunes gagnent leur vie durant leurs études, cela est précieux notamment pour ceux issus de milieux modestes. Les chiffres sont éloquents : 23 % de la population active est considérée comme modeste, or on trouve 13,5 % des enfants de cette catégorie en première année de licence, 9 % en première année de master et moins de 5 % en doctorat. Il y a donc aggravation des inégalités, ce qui est désespérant pour ces jeunes : leur destin scolaire serait prédéterminé par leur origine sociale. Voilà pourquoi, j'y insiste, les bourses au mérite ne sont pas une bonne solution. J'ajoute que les enfants de familles modestes qui n'acquièrent pas à l'école primaire les savoirs fondamentaux ne récupèrent jamais leur retard, alors que dans les milieux aisés, cela reste possible. Il faut donc mobiliser les créations de postes dans les zones les plus difficiles afin de lutter contre ce déterminisme social.
Notre pays ne compte que 135 000 apprentis sur 2,4 millions d'étudiants. Nous voudrions parvenir à 150 000 d'ici deux ans et à 200 000 dans dix ans. Trouver des stages pour les étudiants en fin d'études n'est pas un problème, ils intéressent les entreprises. La situation est beaucoup plus difficile avant le baccalauréat, notamment pour le stage de 3e !
Le plan d'adossement de la LMDE, envisagé avec la MGEN, a connu une fin moins positive qu'espéré. Nous avons pourtant besoin de mutuelles spécialisées pour les étudiants : les comportements addictifs se multiplient, les désordres mentaux également. Les jeunes consultent peu les ophtalmologues, les dentistes, les gynécologues. Or c'est lorsque des jeunes parlent aux jeunes que la prévention est la plus percutante. La communication de Sidaction est plus efficace que toutes les campagnes institutionnelles. Il est donc impératif que les mutuelles étudiantes continuent d'exister et qu'elles soient plus visibles que les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (Sumpps), notamment grâce à des points santé installés sur les campus. Le logo « campus santé » sera plus parlant que le sigle Sumpps...
Enfin, je partage l'amour de M. Percheron pour Grenoble, mais je suis une ministre de la République et m'interdis toute partialité ! Quoi qu'il en soit, la première version des CPER ne satisfaisait pas non plus mon ministère. Nous sommes en train de les renégocier pour obtenir plus, région par région. La réunion qui aura lieu demain devrait être déterminante.
Quelle coordination s'opère entre votre action et le programme des investissements d'avenir (PIA) ?
Louis Schweitzer et moi-même avons décidé de nous voir plus régulièrement afin de mener des actions conjointes. Il n'y a pas d'un côté une administration assoupie, poussiéreuse, de l'autre une cellule réactive et dynamique. Le ministère doit faire face à un problème concret : comment amener plus de titulaires de bacs pro à l'enseignement supérieur ? Nous devons construire une véritable filière pro, au service de l'industrie. Les investissements d'avenir doivent être solidaires de cet objectif. Nous allons travailler en étroite collaboration, M. Schweitzer et moi-même.
Les derniers chiffres du CIR sont beaucoup plus positifs que ceux sur lesquels la Cour des comptes avait fondé ses analyses : 439 docteurs embauchés grâce au dispositif CIR en 2007, 1 305 par an à présent. En outre, pour un euro non perçu par l'État, l'effet de levier pour la recherche n'est plus de 1,1 euro mais de 1,51 euro. Le coût du CIR n'augmente plus. Le crédit impôt recherche bénéficie aux deux tiers aux PME et à des entreprises innovantes, même si, en montants, l'essentiel est versé à des grands groupes.