Intervention de Geneviève Fioraso

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition de Mme Geneviève Fioraso secrétaire d'état chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche

Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche :

J'apprécie l'étendue et la variété de vos questions. Je le redis : dix-sept universités étaient en déficit lorsque j'ai pris mes fonctions ; elles ne sont plus que quatre. Nous avons accompagné le changement. Nous avons fait des diagnostics flash plutôt que de nous limiter à constater les dysfonctionnements et les échecs - comme à l'université de Versailles-Saint-Quentin. Nous avons fait en sorte que les universités adoptent de plus en plus un système de comptabilité analytique qui facilité la lisibilité des évolutions budgétaires. Le passage aux RCE nécessite un accompagnement et une formation des équipes administratives, au sein des universités. C'était le maillon manquant après le vote de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU). Dans une entreprise, tout changement est accompagné. Pourquoi ne le serait-il pas dans les universités ? Nous avons consacré beaucoup de temps à la formation des équipes, notamment dans le cas de l'université de Saint-Quentin. Je suis reconnaissante à mon cabinet et aux services du ministère d'avoir joué ce rôle nouveau, indispensable.

La simplification a également porté ses fruits. Sans parler de matières rares, 30 % des masters avaient une seule université de référence, voire un seul enseignant-chercheur de référence, pour moins de quinze étudiants parfois. Une offre de formation avec 10 000 parcours de masters et 5 000 intitulés différents est-elle encore lisible ? Non. La réduction de leur nombre est une clarification, non un appauvrissement. La formation universitaire est la seule à être irriguée par la recherche. Elle est diverse et n'est pas formatée. Les entreprises ont besoin d'ingénieurs, de gens qui anticipent les mutations, sentent les usages et mesurent l'acceptabilité des produits fournis par l'entreprise. La formation universitaire est la plus à même de fournir ce type de compétences. La simplification des masters contribue à rendre l'offre universitaire lisible pour les entreprises. Elle s'est faite au bénéfice de l'insertion professionnelle des étudiants, et en dialogue avec les responsables de département. Nous avons réduit le nombre des masters à un peu plus de 400. À présent, nous nous adapterons au fil de l'eau. L'université est un organisme vivant et pluraliste. Le dogmatisme ne lui convient pas. La même règle ne peut pas s'appliquer à tous les établissements. Nous avons également simplifié les licences générales, en réduisant leur nombre de 1 800 à moins de 300, et nous sommes en négociation avec les départements pour simplifier le système des licences professionnelles. Ainsi, les familles devraient y voir plus clair.

La remise en place du dispositif « Système de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité » (Sympa) participe du même esprit de simplification. Beaucoup de modèles ont été expérimentés, prenant en compte des facteurs comme le nombre de boursiers, de disciplines ou d'étudiants, sans que les simulations financières donnent satisfaction. Le travail n'est pas perdu pour autant. Il a montré que le dispositif s'appliquait facilement aux écoles d'ingénieurs, mais pas aux universités qui offrent trop de diversité. Qu'y a-t-il de commun entre une grande université centrée sur la recherche et une université régionale, plus petite, mais utile aux étudiants qui souhaitent commencer leurs études en restant dans leur région ? Pour avoir des modèles équitables, nous devons prendre le temps de catégoriser les universités. Si nous appliquions le modèle Sympa, certaines universités verraient leur dotation baisser de 20 millions d'euros. Ce n'est pas réaliste. Chaque année, cinq versements sont alloués aux universités. Ceux qui m'ont précédée dans mes fonctions se sont battus pour obtenir le maximum de crédits jusqu'à la fin de l'année. C'est aussi ce que je fais. Jusqu'à présent, les arbitrages ont toujours été favorables.

Quant aux aides au mérite, elles ont été mises en place par Claude Allègre, à un moment où il y avait moins de 3 % de mentions « très bien » au baccalauréat. Aujourd'hui, le pourcentage dépasse 12 %. Or les bacheliers qui obtiennent une mention « très bien » appartiennent rarement aux classes défavorisées. Ces aides n'ont aucun effet levier social. Compte tenu de l'avis négatif du Conseil d'État, qui portait sur la forme et non sur le fond, il a finalement été décidé de maintenir ces aides, dont la suppression avait été annoncée près d'un an à l'avance, afin de ne pas pénaliser les bénéficiaires ; elles représentent en tout 39 millions d'euros et 14,6 millions pour la première année. Nous réfléchissons à la création d'un système capable de prendre en compte la dimension sociale, pour aider les étudiants à améliorer leurs conditions de vie - logement, santé, etc. La majorité des organisations étudiantes nous soutient dans cette démarche. Mme Pécresse avait vu les limites du système et déjà réduit de 20 % à 2 % le nombre de boursiers concernés, au niveau du master. Du reste, le système de notation variant selon les disciplines et les universités, les étudiants n'étaient pas tous traités pareillement, ce qui donnait lieu à de nombreux recours.

Dans la recherche, avec la fin du baby boom, le volume de départs à la retraite a effectivement diminué. Nous entretenons un dialogue soutenu avec les organismes de recherche pour qu'ils orientent leur politique de ressources humaines vers l'embauche des jeunes chercheurs et l'insertion des post-docs. Le secteur privé finance la recherche à hauteur de 63 % et 60 % des chercheurs travaillent dans le privé, mais seulement 12 % d'entre eux sont titulaires d'un doctorat académique. Les entreprises embauchent plutôt des ingénieurs. Il faut changer la culture à la fois du côté des entreprises et du côté académique. Les jeunes qui s'engagent dans une thèse doivent pouvoir envisager la recherche privée comme un débouché possible. Nous formons 12 000 docteurs par an dont 41 % sont étrangers - c'est important pour la défense de la francophonie. Il faut en finir avec le préjugé selon lequel la recherche privée est une issue pour ceux qui ne réussissent pas à faire une carrière académique. En Allemagne, on compte quatre fois plus de docteurs dans l'industrie qu'en France. Dans notre pays, cinq ans après leur diplôme, 50 % des docteurs exercent dans la recherche publique, 25 % dans des établissements privés et 25 % ailleurs, dans des start-ups, comme journalistes ou autres. Il y a là une anomalie de la culture française. En rapprochant les écoles des universités, nous ferons tomber bien des cloisonnements. Plus qu'un infléchissement, nous voulons un changement culturel.

Une difficulté particulière concerne la biologie. Les jeunes filles, titulaires d'un bac S avec mention « bien » ou « très bien » se dirigent vers la biologie ou les sciences de la vie plutôt que vers la physique ou les mathématiques. Combien de masters en informatique ou en mathématiques 100% masculins ! J'ai pu constater que le master « Big data » de l'université Pierre et Marie Curie comptait seulement trois filles sur 100 étudiants : deux Algériennes et une Syrienne. Il y a en France un problème manifeste ! D'autant que la biologie fournit dès lors des promotions trop nombreuses, que nous ne parvenons pas à gérer.

La frénésie d'appels d'offre durant le dernier quinquennat a conduit à la multiplication d'embauches en CDD dans les organismes de recherche : à l'Inserm, la proportion de contrats à durée déterminée est passée de 10 à 35 %. À cela s'est ajoutée la loi Sauvadet. Si bien que nous connaissons maintenant des difficultés d'insertion. Les quatre années qui viennent vont être délicates, nous étudions comment éviter un trop grand creux dans les recrutements, d'autant que la file d'attente ne diminuera pas.

Entre 2012-2013 et 2013-2014, le nombre de postes d'enseignants dans le supérieur est passé de 91 300 à 91 771. Des postes ont été gelés, mais 1 000 ont été créés : 23 % dans les fonctions de soutien et de support, 1,5 % au service de l'entreprenariat, 10,5 % pour le numérique et 65 % au profit direct de l'étudiant (amélioration de l'orientation, innovations pédagogiques, insertion, maîtrise des langues).

Nous demandons aux universités de réduire leurs charges de 100 millions d'euros, certes, mais nous leur accordons 206 millions supplémentaires, soit 106 millions nets. Oui, un effort de mutualisation des services généraux est nécessaire : comment accepter que certaines universités, parce que chacun entend préserver son pré carré, conservent quatre services de relations internationales ou quatre services informatiques ?

Il existe aujourd'hui 53 Moocs, comptant 400 000 inscrits. Cédric Villani m'a assuré hier qu'il mettrait en place en 2015 trois Moocs qui seront paraît-il assez surprenants. Les Moocs ne suppriment pas la place des enseignants, ils rétablissent un lien de proximité avec l'étudiant sur la base de connaissances déjà acquises. Les cours théoriques sont diffusés par voie numérique ; l'enseignant rencontre ensuite des étudiants plus avertis. Il y a peu, un jeune Allemand m'a dit sa surprise lorsqu'il a constaté qu'en France seul l'enseignant parlait. Eh oui : l'interactivité doit progresser !

Enfin, la fuite des cerveaux est un marronnier des médias, mais elle n'existe pas. Au cours des dix dernières années, le solde positif se monte à 900 000 personnes diplômées qualifiées, ce qui nous place en deuxième position après les États-Unis. Notre pays compte 41 % de doctorants étrangers et 31 % de chercheurs étrangers au CNRS. Tous les grands scientifiques ont un parcours international.

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