Intervention de Éric Doligé

Réunion du 6 novembre 2014 à 9h30
Accord fiscal avec la chine — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur de la commission des finances :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est la première assemblée saisie du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord du 26 novembre 2013 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu.

Cette nouvelle convention fiscale entre la France et la Chine a vocation à se substituer à l’actuelle convention, qui date de 1984, afin de mettre cette dernière en conformité avec le modèle le plus récent de l’OCDE, celui de 2010. Ce texte, attendu avec impatience par les milieux économiques français, vise à développer les échanges commerciaux entre les deux pays et à inciter les entreprises françaises comme chinoises à investir davantage.

De fait, la Chine de 1984 n’a plus grand-chose à voir avec la Chine d’aujourd’hui. En 1984, la Chine représentait à peine plus de 1 % du PIB mondial et commençait tout juste à s’ouvrir aux échanges, avec la création des premières zones économiques spéciales sur sa façade maritime. Aujourd’hui, avec un PIB de 13, 4 milliards de dollars, soit 15, 4 % du PIB mondial, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, et de loin le premier exportateur de la planète. Surtout, avec une croissance de plus de 7 % par an – la France s’attend quant à elle à 0, 4 % cette année – et un immense marché intérieur de 1, 4 milliard de consommateurs, la Chine représente une formidable opportunité de développement pour nos entreprises.

Pourtant, les entreprises françaises ne profitent pas assez de cette dynamique. De fait, les relations économiques et financières entre nos deux pays paraissent déséquilibrées : notre déficit commercial avec la Chine a atteint 26 milliards d’euros en 2013, et la France, même si elle est le deuxième fournisseur européen de la Chine avec 1, 3 % de part de marché, demeure loin derrière l’Allemagne et ses 5, 3 %.

Le présent accord vise donc précisément à fournir un nouveau cadre fiscal aux échanges entre la France et la Chine. Les avantages négociés dans une convention fiscale sont par définition réciproques : le bénéfice retiré par l’un ou l’autre des pays dépend donc de la structure de son économie. Concrètement, les investissements français en Chine excèdent les investissements chinois en France ; toutes choses égales par ailleurs, la France a donc intérêt à une baisse des retenues à la source, et la Chine à un maintien des bases taxables sur son territoire.

D’une manière générale, la nouvelle convention offre aux entreprises un cadre plus favorable pour investir, ce dont pourraient bénéficier les entreprises françaises établies en Chine.

Plus précisément, les principaux points à retenir sont les suivants.

La retenue à la source opérée sur les dividendes est abaissée de 10 % à 5 %, ce qui permettra aux entreprises françaises détenant des filiales en Chine de faire « remonter » plus facilement leurs bénéfices vers la France.

La définition de l’établissement stable est assouplie : pour être imposable en Chine, un chantier devra dorénavant avoir une durée de douze mois, contre six mois auparavant ; quant à « l’établissement stable de services », sa durée sera désormais appréciée au jour près – 183 jours sur une période de douze mois –, et non plus au mois près – six mois sur l’année civile.

Des clauses particulières permettent de protéger certains régimes français incitatifs, notamment les sociétés d’investissement immobilier cotées, ou SSIC.

Enfin, le système des crédits d’impôt forfaitaires est supprimé : celui-ci permettait de réduire de 10 % ou de 20 % l’impôt payé en France, et ce quel que soit le montant réel de l’impôt acquitté en Chine. Si la fin de ce dispositif dérogatoire bénéficiera avant tout au Trésor public, une période de transition est aménagée afin de sauvegarder l’équilibre des contrats en cours, notamment des contrats de crédit-bail.

Le système des crédits d’impôt forfaitaires, qui représentait une forme de subvention à l’exportation vers les pays en développement, paraît aujourd’hui anachronique dans le cas d’un pays comme la Chine. Il sera remplacé par un crédit d’impôt égal au montant réellement acquitté en Chine, conforme au modèle de l’OCDE.

Par ailleurs, à la faveur de cette nouvelle convention fiscale, les États se dotent de possibilités élargies d’imposer les activités sur leur territoire, ce qui devrait particulièrement profiter à la Chine.

Plus précisément, la convention prévoit le maintien d’une retenue à la source relativement élevée de 10 % sur les intérêts et sur les redevances – cela constitue, dans le cas des redevances, une dérogation par rapport au modèle de l’OCDE, qui prévoit une imposition exclusive des redevances à la résidence. La Chine pourra donc conserver une part de la valeur créée par les brevets et autres droits de propriété intellectuelle français.

La convention prévoit également la possibilité de taxer à la source les plus-values de cession de participations dans une société dès lors que le bénéficiaire détient ou a détenu, directement ou indirectement, à n’importe quel moment durant les douze mois précédant l’aliénation, plus de 25 % du capital de la société. Ce périmètre, sensiblement élargi par rapport à la convention de 1984, permettra à la Chine de taxer les cessions de filiales françaises sur son territoire.

Par ailleurs, la convention prévoit une exonération de retenue à la source pour les dividendes, les intérêts et les plus-values bénéficiant aux « fonds souverains ». On peut penser que la China Investment Corporation, la CIC, tirera un plus grand profit de cette stipulation que le fonds de réserve pour les retraites français…

Enfin, la convention comporte une série d’améliorations visant à prévenir la fraude fiscale et l’optimisation fiscale abusive.

Elle prévoit un traitement plus fin des entités « transparentes », notamment en matière immobilière, afin d’éviter qu’un montage basé sur une structure regardée comme transparente par un État et opaque par l’autre État n’aboutisse à des situations de double non-imposition.

La convention prévoit aussi l’introduction de quatre clauses anti-abus spécifiques et d’une clause anti-abus générale, visant à combattre la mise en place de montages dont le but est principalement, sinon exclusivement, d’obtenir un avantage fiscal contraire à l’esprit de la convention.

Enfin, la convention prévoit l’actualisation de la clause relative à l’échange d’informations à des fins fiscales, conformément au dernier modèle de l’OCDE. Si le système reste fondé sur l’échange à la demande, c’est-à-dire au cas par cas, l’État « requis » ne pourra plus refuser de transmettre les informations au seul motif qu’il n’en a pas besoin pour lui-même ou que celles-ci sont détenues par un établissement financier. Il convient toutefois de noter que la Chine coopère d’ores et déjà de manière satisfaisante avec l’administration fiscale française.

Je voudrais, à ce sujet, faire une remarque sur Hong Kong. La présente convention fiscale n’est pas applicable à cette région administrative spéciale, qui est – c’est un fait – moins enthousiaste que Pékin en matière de coopération fiscale. Toutefois, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, la France a signé une nouvelle convention fiscale avec Hong Kong le 21 octobre 2010, et celle-ci correspond aux standards les plus élevés en la matière. Elle fut notamment l’une des premières à contenir les clauses anti-abus que j’évoquais à l’instant. Il n’y a donc pas de vide juridique, et les progrès, sous la pression internationale, sont réels. Aussi, je prendrai le parti de l’optimisme.

Bien sûr, cette convention fiscale avec la Chine n’épuise pas le sujet. Au-delà de l’équilibre juridique persistent des inquiétudes quant aux pratiques commerciales que certains prêtent à la Chine : manque de transparence dans l’accès au marché, dumping, espionnage industriel, etc. Pour l’essentiel, toutefois, ces problèmes relèvent de la politique commerciale, compétence exclusive de la Commission européenne ; mais cela ne veut bien-sûr pas dire qu’il ne faille pas s’y atteler.

Par ailleurs, cette convention a vocation à être améliorée.

D’une part, le projet BEPS de l’OCDE sur l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices – Base Erosion and Profit Shifting – débouchera bientôt sur des propositions concrètes pour combler certaines « failles » des conventions actuelles.

D’autre part, l’échange automatique d’informations, bien plus efficace que l’actuel échange à la demande, pourrait bientôt s’imposer comme le nouveau standard international, ainsi que nous avons pu le voir à l’occasion de la discussion sur l’accord FATCA – Foreign Account Tax Compliance Act.

Le 29 octobre dernier à Berlin, près d’une centaine de pays, dont la France et la Chine, se sont formellement engagés à passer à l’échange automatique d’ici à 2017 ou 2018. Les choses avancent donc très vite, et il nous appartiendra bientôt de lancer de nouvelles négociations avec nos partenaires.

Cela étant dit, la présente convention fiscale apporte des améliorations bienvenues, pour la France comme pour la Chine, pour les États comme pour les entreprises. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous recommande d’adopter sans modification le présent projet de loi de ratification.

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