Ôtons pour quelques instants nos manteaux partisans et faisons taire nos passions et nos émotions pour examiner sereinement le mode de gestion à venir des collectivités territoriales, régionales et départementales. Nous avons une certaine expérience en la matière, ici, au Sénat : nombre d’entre nous ont été ou sont encore conseillers régionaux ou conseillers généraux et connaissent très bien cette matière. Je fus moi-même conseiller régional de Bretagne et suis actuellement vice-président du conseil général d’Ille-et-Vilaine, département qui compte un million d’habitants, en charge de l’action sociale.
Lorsque l’on occupe les fonctions de conseiller régional, on doit appréhender des politiques fortes, les politiques publiques régionales, qui demandent d’autant plus notre attention qu’elles doivent être en cohérence avec les politiques publiques nationales et être croisées avec les politiques départementales. À l’avenir, elles devront en outre l’être avec des réflexions concernant les métropoles. Cela exige une forte attention : il faut créer, comparer, aller sur le terrain, procéder à des auditions, travailler beaucoup.
Parallèlement, les conseillers généraux ont à gérer le domaine de l’action sociale et de la solidarité ; je me cantonne à dessein à ce seul champ auquel nous risquons d’être limités si nous perdons la compétence générale, ce que je ne peux manquer de regretter. Il s’agit de politiques de proximité qui exigent du temps, de la disponibilité et un important travail de terrain.
Il nous faudra certainement continuer à nous occuper de politique familiale, qu’il s’agisse de la petite enfance, de la protection maternelle et infantile, du large problème du vieillissement de la population. Ainsi devrons-nous mettre en place des politiques relatives au maintien à domicile, à la création de places en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Nous aurons également à mettre en œuvre la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – c’est loin d’être une mince affaire ! –, afin que nos concitoyens handicapés deviennent des citoyens à part entière. Cela suppose la création de maisons départementales des personnes handicapées – nous en connaissons les difficultés ; une proposition de loi sera d’ailleurs déposée sur ce sujet –, mais surtout un très important suivi de la part des conseillers généraux.
Il en va de même pour ce qui concerne le large champ de l’insertion, notamment le revenu de solidarité active, si nous voulons que celui-ci soit une réussite. Il n’en prend malheureusement pas le chemin dans de nombreux départements. Là encore, cela entraîne une charge de travail qui mobilise très fortement chaque conseiller général et qui les mobilisera davantage encore à l’avenir ; je ne vois pas pourquoi il en serait autrement.
En termes de management, pour reprendre une terminologie entrepreneuriale à laquelle sont attachés nos collègues de la majorité, comment la fonction de conseiller territorial est-elle tenable ? Pour ma part, je préfère parler de « métiers ». Les métiers de conseiller régional et de conseiller général sont différents. Certes, du point de vue de l’engagement politique – au sens noble du terme – qu’ils exigent, ils sont proches, mais, en termes de pratique sur le terrain, ils sont très éloignés. Et je ne me m’attarde pas, car d’autres l’ont fait avant moi, sur les distances que le conseiller territorial devra parcourir et qui, on le sait bien, sont à la fois fatigantes et mangeuses de temps.
Si nous raisonnons sereinement et si nous voulons tous faire en sorte que les collectivités territoriales soient à l’avenir au moins aussi bien gérées qu’actuellement, force est de reconnaître que le dispositif que la majorité veut mettre en place, à savoir la création des conseillers territoriaux, est une erreur. Je ne pense pas que la majorité du Sénat s’entêtera à mettre dans le rouge la gestion de nos collectivités territoriales !