Comme vous l'a indiqué Jacques Mézard, il me revient de vous présenter la deuxième des trois grandes conclusions de notre rapport qui résulte non plus du scenario « au fil de l'eau » mais de la prise en compte des fameux 11 milliards de baisse de la DGF, et ce afin de mesurer l'effet réel de la mesure annoncée par le Gouvernement.
N'oublions pas qu'en 2013, le Gouvernement avait déjà prévu une baisse de la DGF de 1,5 milliard d'euros en 2014 et qu'avec les 11 milliards pour 2015-2017 supplémentaires annoncés par Manuel Valls, la DGF baissera donc de 12,5 milliards au total entre 2014 et 2017. Pour reprendre les termes du projet de loi de finances, la « contribution des collectivités au redressement des finances publiques » qui était de 1,5 milliard en 2014 par rapport à la DGF 2013, s'élèvera donc à 5,2 milliards en 2015 par rapport à cette même année, à 8,8 milliards en 2016 pour finir à 12,5 milliards de dotations en moins en 2017.
L'objectif étant de réaliser des économies, il va de soi que ces baisses ne seront pas compensées même si les mécanismes de péréquation entre collectivités seront renforcés, qu'il s'agisse de la dotation de solidarité urbaine (DSU), de la dotation de solidarité rurale (DSR) ou du FPIC (fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales), qui poursuit sa montée en puissance comme prévu lors de son institution en 2012.
Mais la baisse de 11 milliards ne fait pas elle-même l'objet d'une péréquation qui aurait consisté à répartir l'effort en fonction de la richesse, sauf pour les départements car cela avait été une demande de l'ADF (Assemblée des départements de France).
De même que la diminution de 1,5 milliard en 2014, la contribution sera supportée par les trois catégories de collectivités à due concurrence de leurs poids dans les recettes totales, soit 6,16 milliards sur les 11 milliards pour le bloc communal, 3,49 pour les départements, et 1,35 pour les régions.
Au sein du bloc communal, la baisse a été répartie en principe à hauteur de 30 % sur les EPCI et de 70 % sur les communes au prorata de leurs recettes de fonctionnement. Entre les départements, comme je le disais, la répartition s'est faite en fonction d'un indice mesurant à la fois le niveau des charges (apprécié en fonction du revenu moyen par habitant) et la marge de manoeuvre fiscale (appréciée à partir du niveau du taux de la taxe foncière). Entre les régions, la baisse sera répartie au prorata des recettes totales de fonctionnement et d'investissement, hors emprunts et prélèvements du FNGIR (fonds national de garantie des ressources).
Si l'on conserve pour 2015-2017 le même mode de répartition de la contribution que pour 2014, en revanche, il est évident que l'on change complètement d'échelle. L'effort de 11 milliards qui est demandé est massif. Il ne représente pas loin de la moitié (43 %) du niveau actuel de l'épargne brute totale des collectivités. Surtout, il consiste à revenir en seulement trois ans au niveau des dotations de l'Etat de 2003 !
Cette rapidité de « l'atterrissage » demandé est sans doute l'aspect le plus frappant de ce qui est demandé aux collectivités. C'est évident, même pour ceux qui ne contestent pas l'objectif de rétablissement des finances publiques du pays.
Vous ne serez donc pas étonnés que la deuxième conclusion de notre rapport soit très préoccupante puisqu'elle a consisté à regarder ce qui se passerait si les collectivités subissaient à la fois l'effet de ciseau du « fil de l'eau » et la baisse des 11 milliards, sans prendre aucune mesure pour rétablir la situation.
Nous constatons que dans un tel cas, toutes les catégories de collectivités connaîtraient des dégradations particulièrement sensibles. Pour les catégories les plus fragiles (villes de plus de 10 000 habitants et départements), on arrive même dans une situation où les trois indicateurs financiers que nous avons suivis (taux d'épargne brute, capacité de désendettement et équilibre budgétaire) seraient « dans le rouge » pour plus de la moitié, voire pour les deux tiers des collectivités. Plus de 60 % des budgets des départements seraient ainsi en double déficit !
Même pour les catégories les moins menacées, les situations difficiles représenteraient souvent un tiers des collectivités, comme c'est le cas pour les communes de 2 000 à 10 000 habitants. Rappelons qu'il s'agit là de moyennes, et qu'il existe de très grandes disparités sur nos territoires, notamment pour ce type de collectivités.
À cet égard, s'il est vrai que la plupart des petites communes seront en général faiblement impactées du fait de leurs réserves et de leurs besoins limités, le caractère global de notre étude vient parfois en trompe l'oeil et masque certaines réalités. Je veux évoquer le cas de ces petites intercommunalités rurales et des bourgs-centres qui les animent et supportent l'essentiel des charges de services aux populations. Ils sont aussi les moteurs du rare investissement dans ces zones rurales et ne résistent jusqu'alors que grâce à la progression du FPIC, dont les effets cesseront fin 2016.
Aussi assisterait-on sans aucun doute à une multiplication spectaculaire des cas d'impasse financière. Le titre du II de notre rapport consiste d'ailleurs à dire que la poursuite du fil de l'eau sans réagir associée au prélèvement de 11 milliards risque de faire de l'impasse financière la situation de droit commun de nos collectivités.
Il ne sera bien évidemment pas possible de subir ces évolutions sans réagir. Il reste à déterminer les mesures qui seront nécessaires ; c'est le sujet de la troisième conclusion de notre rapport, sur laquelle je vais laisser la parole à Philippe Dallier.
Avant cela, je voudrais juste, en qualité de rapporteur spécial de la commission des Finances sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », me féliciter du fait que notre délégation ait pu mener ces travaux et que nous soyons en mesure d'éclairer l'ensemble de nos collègues sénateurs sur ce sujet majeur avant le débat budgétaire. Bien que les informations du Gouvernement n'aient été disponibles qu'au dernier moment, tout a été fait pour que notre rapport soit adopté aujourd'hui et qu'il soit sur le bureau de tous nos collègues dès lundi prochain pour la discussion du projet de loi de finances. De plus, mercredi prochain, nous irons, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, présenter nos travaux devant la commission des Finances. Je crois que c'est une bonne façon pour notre délégation de se rendre utile au Sénat et, partant, à l'ensemble des élus locaux.