Intervention de Louis Duvernois

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 novembre 2014 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « action extérieure de l'état » - examen du rapport pour avis

Photo de Louis DuvernoisLouis Duvernois, rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure :

Au sein du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État », seule la politique d'attractivité universitaire et scientifique, conduite auprès des étudiants et chercheurs étrangers par le biais de Campus France et de nos programmes de bourses, connaît un réel dynamisme, en bénéficiant d'un surplus de crédits de l'ordre de cinq millions d'euros. En revanche, les crédits consentis à notre réseau culturel à l'étranger et à notre réseau d'établissements scolaires à l'étranger diminuent (hors dépenses de personnel) respectivement de 1,6 % et 2,2 %.

Il convient, à mon sens, d'alerter le Gouvernement sur la nécessité de modérer, dans le cadre du prochain budget triennal, les normes de réduction de la dépense applicables à notre diplomatie culturelle et d'influence : les opérateurs du programme 185 ont d'ores et déjà largement contribué aux efforts de redressement des comptes publics avec une diminution des crédits culturels, hors dépenses de personnel, de plus de 32 % au cours de la période 2009-2015. L'effondrement des crédits d'intervention culturels, de l'ordre de plus de 60 % sur la même période, nourrit le découragement de nos personnels culturels à l'étranger, qui n'ont plus les moyens de mettre en oeuvre des opérations culturelles ambitieuses et de soutenir la créativité des artistes français et étrangers dans le monde.

Parmi les trois principaux opérateurs de notre action culturelle extérieure, l'Institut français est sans doute celui qui se trouve confronté à la situation la plus délicate, en ces temps douloureux de rétrécissement des marges de manoeuvre budgétaires. La programmation pluriannuelle de ses moyens dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens (COM) le liant à l'État pour la période 2011-2013 s'est vue régulièrement contrariée par l'application continue de mesures d'économies dans le cadre de l'effort national de redressement des comptes publics. Sa dotation, d'un montant de 31,3 millions d'euros en 2015, se voit logiquement appliquer la norme de réduction des subventions aux opérateurs de l'État de 2 %.

En 2013, dans son rapport sur le réseau culturel de la France à l'étranger, la Cour des comptes estimait que seulement 14 % du budget d'activités de l'Institut français en 2012 était consacré à des subventions directes au réseau des établissements culturels publics à autonomie financière, alors que l'objectif affiché était de 37,5 %.

Toutefois, l'institut rappelle, pour sa part, que son apport au réseau ne se résume pas au versement d'une subvention directement aux instituts culturels à l'étranger ayant statut d'établissement à autonomie financière. Il souligne la nécessité de prendre en compte le conseil, l'expertise, les moyens matériels et les outils mis à la disposition des établissements pour leur permettre de conduire leur programmation dans les meilleures conditions. À ce titre, il appelle à tenir compte des crédits d'intervention qui sont versés aux partenaires extérieurs en coordination avec le réseau. Il considère que 68 % de son budget d'activité, soit plus de 15 millions d'euros, ont été versés directement ou indirectement au réseau culturel. Par ailleurs, un total de 5,7 millions d'euros sera, en 2015, distribué aux 385 alliances françaises subventionnées par le ministère des affaires étrangères, soit un montant équivalent à celui consenti en 2014.

L'expérimentation du rattachement du réseau culturel à l'Institut français s'est achevée le 31 décembre 2013 et le ministre des affaires étrangères a considéré que ses résultats n'étaient pas à la hauteur des effets escomptés. Il serait dommageable, néanmoins, de revenir au statu quo ante. À cet égard, je compte interroger le ministre des affaires étrangères sur les moyens qu'il compte donner à l'Institut français pour imposer sa légitimité dans le pilotage stratégique du réseau culturel, peser sur l'organisation d'opérations d'envergure dans des zones d'influence prioritaires alors que son budget d'intervention se trouve chaque année amputé et emporter l'adhésion des agents du réseau en leur offrant de véritables perspectives de carrière.

Le montant total de la dotation versée par l'État à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) s'établit, dans le projet de loi de finances pour 2015, à 537,2 millions d'euros, soit une légère diminution par rapport à 2014. L'AEFE constitue un levier puissant et précieux de notre dispositif d'influence culturelle, linguistique et intellectuelle auprès des élites étrangères.

La réforme de la politique de bourses, consécutive à la suppression de la prise en charge des frais de scolarité pour les lycéens, a eu pour effet, dans un contexte d'enveloppe budgétaire contrainte, de diminuer sensiblement les quotités de bourse pour un grand nombre de familles. Le pourcentage des familles ayant bénéficié d'une bourse à 100 % est ainsi passé de 59 % en 2012-2013 à 45 % en 2013-2014, alors que, parallèlement, les frais de scolarité ne cessent d'augmenter, obligeant des familles françaises à retirer leurs enfants de nos établissements homologués.

Pour rappel, l'AEFE est la seule à assumer la prise en charge à l'étranger des pensions civiles de personnels détachés de l'éducation nationale. Sur les 10 000 personnels qui assurent leur service en dehors de l'éducation nationale, 8 000 sont affectés à des établissements d'enseignement français à l'étranger. Parmi ces derniers, 6 500 sont des expatriés résidents, dont les pensions civiles sont prises en charge par l'agence. En revanche, les établissements homologués bénéficiant de détachés directs n'ont pas à payer les pensions civiles correspondantes. On estime à 60 millions d'euros le montant de ces pensions civiles non provisionnées. Cette situation crée non seulement de la dette mais désavantage l'opérateur.

Campus France, opérateur chargé de la promotion de notre système d'enseignement supérieur et de recherche à l'étranger, peut compter sur la sanctuarisation de notre politique de bourses en faveur des étudiants et chercheurs étrangers, dont il assure en grande partie la gestion. Il peut s'appuyer sur un réseau solide et performant de 147 « espaces Campus France » et 69 antennes relais dans 116 pays. En prenant en charge l'ensemble de la chaîne d'accueil des étudiants étrangers, de l'information sur l'offre française d'enseignement supérieur au logement étudiant en passant par le versement à l'étudiant de l'allocation d'entretien et la prise en charge de sa couverture sociale, Campus France a gagné la confiance des élites étrangères.

Le site Internet de Campus France recense l'ensemble des dispositifs de guichet unique d'accueil présents en régions et, le cas échéant, les aides et les services proposés par les collectivités territoriales en direction des étudiants étrangers. Campus France prévoit, de plus, la mise en place en 2015 d'un parrainage international avec la branche française de l'association européenne « Erasmus Student Network », ESN France, afin de favoriser l'accueil et l'intégration des étudiants étrangers par d'autres étudiants déjà installés, qu'ils soient Français ou eux-mêmes étrangers. Il lui appartient également de favoriser l'émergence d'un réseau mondial d'ambassadeurs de l'enseignement supérieur français, que ce soit par la constitution d'un registre des anciens étudiants (alumni) étrangers, qui devrait prendre la forme d'une base de données mise en place à la mi-novembre 2014, ou par la dissémination d'« enseignants relais » au sein des universités étrangères, comme le suggère la Cour des comptes dans le rapport que je citais à l'instant.

Des progrès peuvent encore être réalisés en ce qui concerne la délivrance de titres de séjour aux étudiants étrangers. Campus France a constaté, en effet, une forme de zèle au sein de certains consulats qui réclament aux étudiants étrangers des pièces non exigées par les circulaires et les télégrammes diplomatiques (TD) relatifs à l'octroi de titres de séjour par les postes diplomatiques à l'étranger, notamment en posant des conditions de logement qui ne figurent pas dans ces documents. En particulier, Campus France s'est ému que certains consuls généraux opposent un barrage quasi systématique aux demandes de titres de séjour en vue de l'apprentissage du français langue étrangère (FLE). À cet égard, je partage les propositions émises par Campus France qui demande, d'une part, d'exonérer de l'obligation de visa les ressortissants étrangers souhaitant intégrer un parcours d'apprentissage FLE n'excédant pas six mois et, d'autre part, de rétablir l'obligation de motivation des décisions de refus de visa étudiant prises par les autorités consulaires.

Enfin, je souhaiterais aborder la question de l'avenir de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui doit préparer la succession de son secrétaire général, M. Abdou Diouf. Les chefs d'État et de gouvernement des 57 pays membres de l'OIF devront choisir, à la fin du mois de novembre, au sommet de la Francophonie à Dakar, une personnalité faisant consensus parmi les cinq candidats qui se sont jusqu'ici publiquement déclarés : quatre candidats africains (Maurice, République du Congo, Burundi et Guinée équatoriale) et une candidate canadienne, en la personne de Mme Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada.

Historiquement, le poste de secrétaire général de l'OIF, créé en 1997 à l'issue du sommet de la Francophonie de Hanoï, a toujours été détenu par un Africain, le Sénégalais Abdou Diouf ayant succédé en 2003 à l'Égyptien Boutros Boutros-Ghali.

La candidature de Mme Michaëlle Jean, bien qu'ardemment soutenue par le gouvernement canadien et ceux des provinces du Québec et du Nouveau-Brunswick, soulève un certain nombre de critiques de la part de ceux qui estiment que la nomination d'une ancienne gouverneure générale du Canada, personnalité politique non élue, représentante de la Reine de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord qui dirige, par ailleurs, le Commonwealth, constituerait un signal troublant pour la Francophonie multilatérale.

Je tiens à souligner l'importance pour la France de peser de tout son poids sur un choix aussi stratégique que la désignation du futur secrétaire général de l'OIF et déterminant pour la capacité de communauté francophone à s'imposer comme un espace géopolitique cohérent au sein d'un monde globalisé. Il appartient à la France de marquer de son empreinte les prochaines orientations stratégiques de l'OIF, à l'heure où notre pays entend renouveler, notamment à travers les interventions recentrées de l'Agence française de développement, son partenariat privilégié avec l'Afrique dans ses dimensions géopolitique, linguistique, éducative, culturelle et économique.

Faut-il encore rappeler que la francophonie des peuples, imaginée au XIXe siècle par le géographe français, Onésime Reclus, est devenue au XXe siècle une idée africaine concrétisée par des dirigeants politiques après la décolonisation ? La promotion de la langue française constitue le socle fondateur de ce projet de solidarité dans près de 70 pays sur tous les continents. La francophonie, c'est au XXIe siècle, l'idée moderne d'une culture librement partagée, expression d'une volonté politique de participer à la marche du monde dans le respect des singularités linguistiques, culturelles et religieuses.

En conclusion, malgré les réserves que j'ai émises sur l'érosion sensible des crédits culturels sur la période 2009-2015, je vous proposerai, mes chers collègues, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 au sein de la mission « Action extérieure de l'État ».

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