Intervention de Annie David

Réunion du 13 novembre 2014 à 9h30
Financement de la sécurité sociale pour 2015 — Article 14

Photo de Annie DavidAnnie David :

Je trouve un peu étonnante cette suspension de séance, demandée par un président de commission pour ne réunir qu’un groupe… Il me semblait qu’il revenait plutôt au président de groupe de formuler une telle demande ! Les choses changent, on innove au Sénat…

J’en viens à l’article 14. Les caisses de congés payés sont un acquis du Front populaire. Elles ont été créées pour permettre aux salariés de capitaliser leurs droits à congés, souvent obtenus dans le cadre de contrats de chantier conduisant à changer fréquemment d’employeurs. Dans 90 % des cas, elles gèrent les congés des salariés des entreprises du bâtiment ; mais elles s’adressent également aux employés des secteurs des transports, du spectacle, ou encore de la manutention portuaire.

Leur fonctionnement est simple : l’entreprise paie d’abord aux caisses les sommes dues au titre de ses cotisations ; puis les caisses calculent et versent les indemnités de congés payés aux salariés bénéficiaires ; enfin, elles s’acquittent auprès des organismes de sécurité sociale des cotisations sociales dues sur les indemnités de congés payés qu’elles ont versées.

Ainsi, en 2013, les cotisations prélevées par les caisses de congés payés s’élevaient à 6, 87 milliards d’euros, alors que les indemnités versées aux salariés atteignaient, elles, 6, 93 milliards d’euros. Le déficit d’exploitation est comblé par les caisses, qui investissent les sommes qu’elles prélèvent et génèrent de ce fait des revenus financiers.

Le présent article vise à prélever à la source une partie des cotisations auparavant gérées par les caisses, à savoir les cotisations de sécurité sociale, la contribution sociale généralisée – la CSG –, la contribution pour le remboursement de la dette sociale – la CRDS – et la contribution de solidarité pour l'autonomie – la CSA –, ce qui représente environ 2 milliards d’euros de cotisations.

Cette mesure est lourde de conséquences pour les caisses de congés payés qui employaient 938 équivalents temps plein en 2013. En les privant d’une partie de leurs ressources, on réduit d’autant leurs revenus financiers. Or ces revenus, comme je viens de l’expliquer, sont nécessaires pour combler le déficit technique des caisses. Ils peuvent également être bénéfiques aux salariés.

En effet, par rapport au régime général, le régime des caisses de congés payés propose aux salariés une prime de vacances de 30 % calculée sur les indemnités du congé principal, ainsi que des congés supplémentaires de fractionnement et d’ancienneté. L’étude d’impact indique que ces avantages perdureront malgré la prise en charge de la gestion des congés payés par le régime général. Pour autant, nous pouvons à juste titre nous interroger sur ce point. Qu’en sera-t-il, par exemple, pour les nouveaux salariés ?

Par ailleurs, l’incidence de la mesure sur les entreprises du bâtiment est forte. Celles-ci devront dorénavant calculer elles-mêmes les cotisations et contributions dues au titre des indemnités de congés payés. Pour les plus petites d’entre elles, qui représentent 70 % de l’activité du secteur du bâtiment, ce calcul constitue une vraie difficulté : pour l’effectuer, elles devront certainement avoir recours à une expertise extérieure, nécessairement coûteuse. Ce point est confirmé par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales – l’IGAS –, qui rappelle que les caisses de congés payés, grâce à la mutualisation et aux revenus financiers qu’elles produisent, ont de faibles frais de gestion. Si les entreprises devaient internaliser ces frais, il est très probable qu’elles y perdraient financièrement.

Alors pourquoi prendre de tels risques pour les caisses, les salariés et les entreprises ? Simplement pour entraîner un apport de trésorerie appelé à ne constituer qu’une recette éphémère pour la sécurité sociale. Effectivement, l’incidence ne vaut que pour les années 2015 et 2016 : les URSSAF collecteront deux fois les cotisations dues sur les indemnités de congés payées en 2015 et au premier trimestre 2016. Le bénéfice semble bien maigre face aux risques…

De plus, si ce ne sont « que » 2 milliards d’euros de cotisations qui sont concernés, l’étude d’impact indique par ailleurs que « cette retenue à la source s’impose comme le modèle le plus cohérent à terme ». Ainsi, nous sommes en droit de nous inquiéter quant à l’avenir des caisses de congés payés qui, en 2013, se voyaient déjà retirer la gestion des cotisations versées au Fonds national d’aide au logement – le FNAL – et du versement transport.

En fait, pour apporter une recette non pérenne au financement de la sécurité sociale, sont à la fois mis en difficulté des caisses qui fonctionnent et emploient près de 1 000 personnes, des petites entreprises du bâtiment qui jusqu’à maintenant déléguaient la gestion des congés payés aux caisses et des salariés de secteurs fragiles dont les revenus sont modestes.

Pour ces raisons, les membres du groupe CRC ne sont pas favorables à l’article 14.

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