Monsieur le ministre, la création du conseiller territorial serait vraiment une idée saugrenue et malvenue si elle n’était dictée par des considérations politiques inavouées et porteuse de nombreux non-dits.
C’est pour cela que vous la plaidez si mal. La ficelle est si grosse que les non-dits sont aisés à deviner : il s’agit non pas seulement de faire des économies, mais aussi de passer la corde autour du cou des départements et, par la même occasion, des communes, puis de serrer petit à petit pour les supprimer.
Je n’irai pas jusqu’à vous raconter ma vie, mais sachez que j’ai moi-même été en quelque sorte le témoin de la naissance de la décentralisation, qui s’est en effet déroulée pour partie dans la Nièvre, au temps où j’avais l’honneur de siéger au conseil général au côté de François Mitterrand. Ce dernier s’était insurgé contre le pouvoir exorbitant du préfet, qui nous faisait voter un budget dont nous ne pouvions pas disposer. Nous allions donc, casquette à la main, lui demander poliment s’il n’avait pas quelque petite subvention à consacrer, par exemple, à un projet routier. À l’époque, c’était le représentant de l’État dans le département qui avait la mainmise sur les finances.
La décentralisation est donc née de cette irritation ressentie par François Mitterrand. Une fois élu Président de la République, il en fit l’une de ses priorités politiques, et il choisit de confier sa mise en œuvre immédiate à notre ami Pierre Mauroy et à Gaston Defferre. Et avec quel succès, puisque l’on sait combien cette réforme fut appréciée par tous les élus, de droite comme de gauche.
Auparavant, les élus locaux voyaient leur pouvoir rogné et étaient traités comme des enfants, pour reprendre l’image utilisée par François Mitterrand, puisqu’ils votaient le budget sans pouvoir en disposer. Lui-même voulait que les élus deviennent des « adultes ».
Votre projet de loi, par un chemin détourné, va déboucher sur une nouvelle infantilisation, en dépossédant les conseils généraux de tout pouvoir et de toute autonomie. La création du conseiller territorial en est la mesure emblématique, qui porte en germe tout le danger de la réforme, c’est-à-dire le retour, déjà largement dénoncé, à une centralisation.
Les nouveaux élus siégeront dans deux assemblées dont les compétences, bien qu’on les ignore, seront sans nul doute différentes ; elles risquent même d’être appliquées différemment selon les territoires ! Cela n’a absolument rien à voir, madame Des Esgaulx, avec les conseillers municipaux et intercommunaux, qui se préoccupent des mêmes questions et font partie de ce que l’on appelle le bloc communal.