Intervention de Michel Teston

Réunion du 26 janvier 2010 à 14h30
Réforme des collectivités territoriales — Article 1er

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Si j’ai bien compris certains de ses arguments, le Gouvernement considère que la jurisprudence du Conseil constitutionnel au sujet de la Nouvelle-Calédonie serait transposable au présent projet de loi. Or ce raisonnement me paraît inexact. Dans un premier temps, je rappellerai les principes qui ont conduit le Conseil constitutionnel à valider le dispositif applicable en Nouvelle-Calédonie ; dans un second temps, je détaillerai les raisons pour lesquelles, selon moi, sa jurisprudence ne me paraît pas pouvoir s’appliquer au projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales.

Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il validé le dispositif applicable à la Nouvelle-Calédonie ?

Je rappelle que l’article 72 de la Constitution pose le principe de l’administration des collectivités territoriales par des conseils élus. La formulation semble impliquer des élus distincts pour des collectivités distinctes. En 1985, le Conseil constitutionnel n’a pas suivi cette logique s’agissant de la Nouvelle-Calédonie. Estimant que ce territoire était représenté par une seule assemblée, il en a conclu que rien n’empêchait de confier aux élus une double fonction territoriale et régionale.

Dès lors, peut-on estimer que ces conclusions sont transposables au présent texte et peut-on nous opposer, à nous qui sommes contre la création du conseiller territorial, cette jurisprudence ? Je ne le pense pas et c’est ce que je vais tenter de vous démontrer.

Premièrement, la création du conseiller territorial opère une quasi-fusion entre le département et la région, mais les deux échelons de collectivité subsistent, formant deux personnes morales distinctes, avec des budgets et des compétences distincts.

Ce projet de loi ne respecte donc pas pleinement la lettre de l’article 72 de la Constitution : en effet, ou l’on fusionne les deux échelons pour créer une collectivité nouvelle gérée par un « conseil territorial », ou l’on respecte la séparation en deux personnes morales distinctes et, partant, l’existence de deux assemblées d’élus.

Deuxièmement, ce texte touche à un principe reconnu par la Constitution, à savoir l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre.

Ce principe, inscrit dans la Constitution, est tellement ancré dans notre droit que, en cas de coopération entre collectivités, seule est autorisée l’existence d’un « chef de file ». Or la mission des conseillers territoriaux pourrait leur permettre d’orienter la prise de décision régionale en fonction d’intérêts départementaux – hypothèse possible, voire probable – ou la prise de décision départementale dans un sens favorable à la région.

Ainsi, la tutelle est inhérente au dispositif qui découlera de cette réforme institutionnelle si, par malheur, celle-ci est adoptée. Or le droit public français n’autorise pas la tutelle d’une collectivité sur une autre.

Par ailleurs, indépendamment et en sus des arguments précédents, le mode d’élection soulève également un problème.

Traditionnellement, l’élection au scrutin uninominal se fait à deux tours. Guy Carcassonne déduit de cette « habitude » un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui lui paraît de nature à conduire le Conseil constitutionnel à s’opposer à la mise en place du conseiller territorial tel qu’il est prévu dans ce projet de loi. Je vous renvoie à cet égard à son excellent article paru dans l’édition du 10 novembre 2009 du journal Libération.

Quant à l’analyse juridique que je fais sur la question de la tutelle, beaucoup de juristes l’ont développée avant moi. En particulier, la présente intervention s’inspire largement d’un excellent article de doctrine rédigé par Géraldine Chavrier, professeur de droit, paru dans la revue L’actualité juridique du droit administratif.

Bien entendu, je m’oppose totalement à la création des conseillers territoriaux. Je suis persuadé que cette mesure soulèvera d’innombrables problèmes, à commencer par des problèmes d’ordre constitutionnel.

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