Malgré un budget modeste (666 millions en 2015), la mission « Immigration, asile et intégration » occupe un rôle majeur dans nos débats politiques et sociaux. L'année prochaine, avec un an de retard, le Sénat devrait être saisi de deux réformes en cours d'examen à l'Assemblée nationale : la réforme de l'asile et celle du droit des étrangers. L'objectif de la réforme de l'asile est double et en partie contradictoire : accélérer la procédure de demande d'asile et, en même temps, donner plus de garanties procédurales aux demandeurs. La mise en place de ces réformes devrait marquer toute la période du budget triennal 2015-2017. La prévision d'évolution des dépenses n'est pas réaliste au regard des derniers exercices. C'est pourquoi, le budget ne me paraît pas sincère.
Le programme 303, dans son volet consacré à la demande d'asile représente plus de 75 % des dépenses de la mission. Ces dépenses ont connu une explosion depuis 2008. En 2013, 67 000 personnes ont demandé l'asile en France. C'est un chiffre historiquement très élevé. Au premier semestre de 2014, ce nombre reflue légèrement. Le reclassement du Kosovo sur la liste des pays d'origine pourrait cependant relancer les demandes d'asile en provenance de ce pays vers la France.
Les moyens de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) - bras armé de l'État en matière de droit d'asile - sont augmentés en crédits (- 7 millions d'euros) et en effectifs (+ 55 équivalents temps pleins (ETP)). Cela pourrait réduire le délai de la demande, qui est encore de 205 jours au 1er juillet 2014 contre un objectif affiché de 90 jours. Je doute toutefois que nous l'atteindrons, malgré les effectifs supplémentaires. Quant aux centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), les 4 000 places prévues y ont été créées en 2013 et 2014 et la subvention est portée à plus de 220 millions d'euros.
Les quelque 40 000 demandeurs d'asile qui ne peuvent pas être accueillis en CADA ont droit à l'hébergement d'urgence - notamment des nuitées d'hôtel - et à l'allocation temporaire d'attente (ATA). Sur ces deux dispositifs, l'exécution budgétaire 2014 est explosive. Des besoins complémentaires de 40 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence, et de près de 100 millions d'euros pour l'ATA sont attendus. Pourquoi le Gouvernement ne prend-il pas en compte le nombre des demandeurs d'asile ? Une erreur de 100 millions d'euros n'est pas possible. Il s'agit d'un effet d'affichage. On nous annonce le remplacement de l'ATA par un dispositif plus familial, l'allocation de demande d'asile (ADA), mais cette évolution ne devrait pas faire baisser la dépense. Or, le Gouvernement prévoit que la dépense diminue de 227 millions d'euros en 2014 à 110 millions d'euros en 2015. Diviser par deux les dépenses d'allocation, en un an, avec autant de demandeurs d'asile et pas plus de places en CADA tiendrait du miracle !
Les crédits de lutte contre l'immigration irrégulière restent stables à 73 millions d'euros. Je m'étonne que seulement un million d'euros soit prévu pour l'assignation à résidence, pourtant présentée comme l'alpha et l'oméga de la future politique. Sur près de 70 000 demandeurs d'asile, plus de 50 000 essuient un refus, dont une grande majorité reste en France, en situation irrégulière. On ne peut pas développer l'assignation à résidence avec un million d'euros. La faiblesse de cette ligne budgétaire montre que le Gouvernement ne se donne pas les moyens financiers de ses choix politiques.
Je ne suis pas opposé à une politique migratoire raisonnable. Mais, que dire du financement du programme 104 relatif à l'intégration des étrangers ? Il faudrait donner à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) les moyens d'accomplir sa mission - formation linguistique et civique et accompagnement des étrangers en situation régulière. Or, après des baisses de plafond de taxes affectées en 2013, en 2014, la loi de finances rectificative a supprimé la subvention de 10 millions d'euros que l'État versait à l'OFII, qui doit gérer l'ATA à la place de Pôle emploi. La réforme du droit des étrangers en France conditionne la délivrance du titre de séjour à la connaissance de la langue française au niveau A2. Mais jusqu'alors, l'assiduité suffisait. Sera-t-elle désormais vérifiée par un examen ? Par manque de moyens l'on se contentera sans doute de valider la présence à des cours obligatoires... Je présenterai à titre personnel un amendement pour transférer 10 millions du programme 303 vers le programme 104, afin de renforcer les moyens de l'OFII en matière de formation linguistique, pierre angulaire d'une intégration réussie. Certes, le budget du programme 303 est déjà insuffisant. Un peu plus, un peu moins, le Gouvernement devra abonder le programme en cours d'année et prendra ses responsabilités... La loi de finances ne doit pas masquer les réalités.
Enfin, la dernière ligne du budget est consacrée aux centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH). J'appelle votre attention sur le faible montant de la dotation, de 16 millions d'euros, soit 3 % du total de la mission. C'est peu pour des gens qui ont obtenu le statut de réfugiés et qui obtiendront vraisemblablement la naturalisation. Drôle de manière de les faire entrer dans la nation française ! Un vrai droit d'asile ne repose pas sur un traitement quantitatif, mais qualitatif. Sans moyens, on n'intègre pas bien, d'où ma proposition de réserver la position de la commission sur ces crédits, dans l'attente d'explications supplémentaires du Gouvernement.
Mon contrôle budgétaire a porté sur les CPH. On en dénombre vingt-huit sur le territoire national, soit 1 083 places. Chaque année, environ 10 000 personnes obtiennent le statut de réfugié en France. La durée moyenne de séjour dans un CPH étant de dix mois, 80 à 85 % des réfugiés n'ont pas d'hébergement en CPH. Pour la plupart, après les CADA ou l'hébergement d'urgence, ils trouvent un logement de droit commun. La majorité du public en CPH (88 %) est constituée de familles. Les nationalités les plus représentées sont les Russes (essentiellement des Tchétchènes), les Syriens, les Afghans, les Sri Lankais et les Kosovars. Tout comme les CADA, les CPH sont gérées par des associations, à une exception près, un CPH de 40 places géré par la mairie de Nantes. Ces centres peuvent être des structures collectives ou diffuses, avec des appartements, individuels ou partagés, pris à bail par les associations. En 2015, 16 millions d'euros leur sont consacrés au sein du programme 104. En comparaison, 220 millions d'euros sont budgétés pour les CADA. L'effort financier est clairement réalisé en priorité sur les demandeurs d'asile, et non sur les réfugiés.
Au cours de mes auditions à Paris, et des deux visites de CPH effectuées, j'ai constaté cinq problèmes dans la gestion des CPH. Le premier constat, c'est l'absence d'évolution depuis quinze ans. Le nombre de places est stable, autour de 1 000 places, alors qu'il a quadruplé dans les CADA. Les règles qui régissent les CPH sont inadaptées, figurant dans une circulaire ministérielle obsolète, datant de 1996...
Deuxième constat : la disparité des prestations fournies par les différents CPH. Laissé à lui-même, chacun a développé ses propres activités depuis vingt ans, sans homogénéisation par l'État. Ainsi, alors que certains CPH offrent un simple hébergement avec accompagnement ponctuel, d'autres prévoient un accompagnement social fort, d'autres encore un soutien psychologique ou des formations linguistiques ; celui de Massy que j'ai visité, dispose même d'un terrain de sport...
Troisième constat : les coûts varient d'un centre à l'autre. Ils s'échelonnent de 24 à 39 euros par jour et par place, sans aucune justification d'un tel écart. Quatrième constat : des dispositifs, également financés par l'État, concurrencent les CPH dans leur mission, sans en avoir le statut, ainsi le « Dispositif provisoire d'hébergement des réfugiés statutaires » (DPHRS) en Île-de-France, géré par France Terre d'Asile, et le CADA-IR, géré par Forum Réfugié, en Rhône-Alpes. Certaines associations favorisent également l'intégration des réfugiés par l'accès au logement et à l'emploi, comme le dispositif ACCELAIRE en Rhône-Alpes. Cinquième et dernier constat : l'attribution des places dans les CPH est erratique et s'effectue sur la base de critères non harmonisés. Le processus reste opaque.
Dans son ensemble, le dispositif donne l'impression d'une nébuleuse CPH, plus ou moins autogérée par les associations. L'État s'est contenté de fournir des subventions, sans pilotage stratégique, sans harmonisation des prestations, sans orientation des réfugiés. Le ministère est conscient de l'insuffisance de pilotage et demandeur de propositions de réforme.
Il importe de recentrer les crédits et les dispositifs sur l'objectif d'intégration des réfugiés, qui ont vocation à rester longtemps sur le territoire national. Il serait également utile de définir, au sein de l'OFII, un parcours d'intégration des personnes réfugiées, adaptant le parcours d'intégration des étrangers en situation régulière.
Trois conditions sont essentielles pour réussir la première phase d'intégration : l'hébergement, la langue et l'emploi. En conséquence, je préconise de conserver le statut de CPH en le réservant aux seules structures collectives. À terme, seuls les réfugiés les plus vulnérables y seraient orientés. Pour favoriser l'intégration des autres réfugiés, il faudrait les autoriser, comme c'est le cas en Belgique et aux Pays-Bas notamment, à rester dans les CADA jusqu'à quatre ou cinq mois après la décision de l'OFPRA, puis les insérer dans le droit commun.
Les associations ont un rôle à jouer, moins comme gestionnaires de structures que dans le cadre de l'accompagnement et du suivi des réfugiés. Elles n'applaudissent pas à ces propositions. Cependant, malgré le travail humain essentiel qu'elles fournissent, elles ne peuvent pas compenser le terrible désengagement de l'État : je recommande une vraie réflexion sur les CPH.