Monsieur le président, monsieur le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la semaine dernière, je me suis efforcé de vous expliquer en quoi la situation de « conseiller territorial », situation que j’ai connue de fait entre 1978 et 1981, ne me paraissait en aucun cas susceptible de favoriser l’expansion des territoires et le bon fonctionnement des collectivités locales.
Craignant de ne pas avoir été bien entendu, je souhaite présenter sous un autre angle notre opposition à ce projet de loi, qui me semble placé sous le signe du cynisme.
Napoléon voulait que « les Français datent leur bonheur de la création des préfets. » Eh bien, aujourd’hui, avec ce texte, de façon cynique, on prétend nous ramener à l’époque des préfets ! Pourquoi de façon cynique ? Parce que, chaque semaine, dans la région que j’ai l’honneur de présider, le préfet prononce un discours lors de l’inauguration d’équipements à la réalisation desquelles l’État n’a en rien participé !
Mais le cynisme tient d’abord au calendrier : comment pouvons-nous accepter de débattre de la réforme des collectivités territoriales alors que nous sommes en pleine campagne pour les élections régionales ?
Comme si l’on voulait montrer du doigt ces collectivités dispendieuses qui emploient trop, qui dépensent trop, qui viennent trop au secours de leurs concitoyens, alors même que nous tentons, chaque jour, comme nous y invitait tout à l'heure M. Marleix lui-même, d’expliquer le rôle des régions ! Je considère qu’il y a effectivement une forme de cynisme à mélanger ainsi les genres, mais aussi à engager une réforme des collectivités territoriales alors que l’un des niveaux de ces collectivités s’apprête à connaître le renouvellement de ses assemblées délibérantes.
Cynisme également lorsqu’on cherche à nous faire croire, à l’occasion de la conférence sur les finances publiques – que M. Woerth préfère appeler « conférence sur le déficit public » –, que les collectivités locales seraient responsables du déficit public.
Je vois autour de moi des présidents de conseils généraux ou de communautés de communes, des maires ; tous savent très bien que les collectivités n’ont pas de déficit, qu’elles doivent voter des budgets en équilibre et que, chaque fois qu’elles empruntent, c’est pour investir.
Cynisme encore quand on nous présente une réforme à moitié achevée. Monsieur le ministre, la logique aurait en effet voulu que vous alliez au bout de la démarche : un seul élu pour une seule collectivité. Mais vous ne l’avez pas fait, car vous saviez que ce n’était politiquement pas réalisable du fait de l’opposition des Français et des élus. Certains d’entre vous en ont rêvé, mais vous n’êtes pas allés jusque là !
Pour ma part, je ne choisis pas entre la région et le département. Je n’oppose pas les élus les uns aux autres, comme vous cherchez à le faire, et je considère surtout que les deux institutions seront affaiblies.
La région sera affaiblie parce que, comme je l’ai dit la semaine dernière, elle n’aura plus de ressources, et que, ainsi que l’ont démontré certains collègues aujourd’hui, elle n’aura plus d’autorité.
Elle sera aussi affaiblie parce qu’elle sera cantonalisée. Un de nos collègues a déclaré cet après-midi qu’il n’y aurait pas davantage de cantonalisation dans les conseils régionaux et généraux qu’il n’y en a au Sénat. Mais les situations sont différentes ! Le Sénat ne vote pas des crédits de fonctionnement et des crédits d’investissement au bénéfice de tel ou tel territoire. Il en va tout autrement des conseils généraux et des conseils régionaux, qui attribuent des crédits territoriaux. Le réflexe d’un élu territorial est d’obtenir le plus de moyens possible pour son territoire, ce qui tend évidemment à annihiler les grandes orientations stratégiques des régions ou des départements.
Monsieur le ministre, vous n’êtes donc pas allé au bout de votre démarche. Vous auriez pu privilégier l’un ou l’autre niveau, le département ou la région. Vous en aviez la liberté puisque, aujourd’hui, de par la majorité dont il dispose et l’effacement de certains groupes, le Gouvernement peut se permettre de faire passer ce projet en force. Pourtant, vous ne l’avez pas fait.
Je vois aussi une forme de cynisme à l’égard des élus, car, faute de moyens financiers et du fait de l’attribution de nouvelles charges, les départements et les régions seront demain dans l’incapacité d’assumer leurs compétences.
M. Borloo, qui a participé cet après-midi à la séance des questions cribles thématiques, a pris, hier ou avant-hier, un décret prévoyant que l’État va s’engager dans la réhabilitation des logements sociaux, mais que les collectivités locales devront payer leur part. Avec quelles ressources, monsieur le ministre ? Et, demain, sur le fondement de quelles compétences ?
Cynisme, enfin, vis-à-vis des citoyens. Leur faire croire qu’ils vont gagner quelque chose à cette réforme, qu’ils vont voir plus clair dans notre organisation territoriale, que le fonctionnement des institutions sera plus efficace, alors que, chacun le sait, ce sera le contraire, revient à les tromper.
Monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, nous souhaitons que ce texte soit reconsidéré dans son ensemble, et non pas seulement ce qui concerne la création du conseiller territorial. Écoutez donc les propositions de la mission du Sénat, et dont vous avez fait fi ! Alors, nous pourrons travailler avec vous.
Dans sa rédaction actuelle, ce texte est une tromperie, un leurre. Il contribuera à affaiblir les collectivités territoriales. Il constitue en fait ce que j’appelais, voilà quelques semaines, l’acte Ide la « recentralisation punitive ».