Maire d'une commune de 930 habitants à proximité des Pyrénées, j'évoquerai les problèmes de la ruralité.
Les élus des zones rurales ne comprennent pas le chaînage des lois relatives à l'organisation de la République - mais les communes urbaines le comprennent-elles mieux ? Ils se font en outre du souci s'agissant des ressources financières. Les communes rurales sont, il est vrai, habituées à la disette, compte tenu de la faiblesse de leur base fiscale et de l'absence de cotisation foncière des entreprises sur leurs territoires.
La question du regroupement des régions touche peu les élus de terrain. L'évolution des conseils généraux est en revanche un vrai sujet, car ce sont nos premiers partenaires institutionnels. Dans mon département, les aides à l'investissement des communes ont légèrement diminué, mais elles ont toujours été comprises entre 50 et 70 % des montants engagés, tous projets confondus. Seul bémol : cet arrosage des cantons était purement politique, et manquait parfois de discernement dans l'attribution des subventions - le pourcentage était identique pour une salle des fêtes en marbre et une salle des fêtes en bois.
La Haute-Garonne a la particularité de compter une ville d'un million d'habitants, et des communes rurales qui en rassemblent 200 000. Sans Toulouse, nous ressemblerions à l'Ariège ou au Gers voisins. Les communes de ces départements, qui reçoivent peu d'aides, jalousent celles de Haute-Garonne, lesquelles entendent conserver - égoïstement ? - leurs ressources.
Un mot également sur l'appareil productif de ce territoire. Ma commune de 1 400 hectares avait, après la Seconde Guerre Mondiale, soixante petites exploitations de quatre unités de travail humain chacune, soit un total de 240 emplois productifs. Des emplois guère enviables, dira-t-on ; pourtant, les agriculteurs vivaient à l'époque mieux que les ouvriers. Aujourd'hui, ne restent que huit exploitations à cinq emplois chacune, soit une disparition de 200 emplois productifs ; demain, il n'en restera plus. Ces emplois perdus, rien ne les a remplacés. S'il fallait diriger de nouvelles ressources financières vers les communes rurales, c'est sous forme d'aides à l'appareil productif qu'il faudrait le faire, et non de financement de tel ou tel équipement. La forêt, la valorisation directe, sont des pistes. Mais dans les zones agricoles et d'élevage - dans la filière viande en particulier - les résultats ne sont pas là.
L'exportation intellectuelle est un autre problème. Je suis président d'un syndicat intercommunal à vocation multiple de 30.000 habitants et de 20 millions d'euros de budget. Les jeunes ayant un potentiel intellectuel certain, parce qu'ils souhaitent rester au pays, s'engagent comme chauffeurs de poids lourds ou d'engins de chantier. Ils prennent ainsi la place de ceux qui ne sont pas capables d'occuper de meilleurs emplois. Résultat : les laissés-pour-compte sont nombreux, qui alternent petits contrats aidés et périodes de chômage.
En zone rurale, les élus locaux appréhendent mal l'intercommunalité. Le maire et les adjoints y voient l'occasion d'élargir leurs compétences, mais ils peinent à transmettre le message à leurs conseils municipaux. Au reste, les intercommunalités ne sont parfois que des décompressions des budgets des villes-centre. La domination politique de celles-ci sur les élus locaux des communes périphériques est une réalité. L'intercommunalité n'est pas la réponse à tout. Associer 20 ou 25 communes pauvres ne fait pas une intercommunalité riche. Certaines intercommunalités se sont même lancées dans des dépenses inconsidérées - elles ont freiné leur élan, cependant, depuis que les dotations ont diminué au profit de la fiscalité directe.
Les élus sont plus familiers du périmètre des pays ou des schémas de cohérence territoriale (Scot). Parler d'économie dans le cadre d'un Scot, ou de tourisme dans un pays, est plus facile. L'instruction des permis de construire est plus aisée à l'échelle d'un pays.
Les élus ont une sorte de rejet du pouvoir politique dominant. Les conseils municipaux ont changé. Ce ne sont plus les conseils d'il y a vingt ou trente ans. Ils comptent à présent beaucoup de jeunes désireux de s'investir, bénévolement. Il faut en tenir compte, c'est un plaidoyer pour la commune plus que pour l'intercommunalité...
Le conseil général soutient l'investissement : il serait bon que la métropole lui consacre une part de ses ressources financières. M. Moudenc - ou M. Cohen hier - y consent, mais il ne faut pas attendre qu'il prenne de lui-même une telle initiative. À quelle échelle travailler avec la métropole ? À l'échelle régionale ou dans les départements ? Égoïstement, je défendrais bien la péréquation au sein de la Haute-Garonne, mais c'est au niveau régional qu'il faut l'envisager. Or M. Jean-Michel Baylet, qui a une centrale nucléaire sur son territoire, ne veut pas en entendre parler ! Chaque département veut garder ses ressources...
La voirie suppose entre 10 000 et 20 000 euros d'investissement tous les dix ans. Le conseil général aidait les communes de moins de 400 habitants à hauteur de 70 %, les autres à 50 %. Les maires ne savent pas comment faire à présent. Certains chemins ruraux seront sans doute remis dans l'état où ils étaient avant d'être goudronnés...
Je vois dans les communes nouvelles un phénomène périurbain. Comment les implanter en zone rurale, où les élus sont très attachés à leur commune ? J'ai en tête le mauvais exemple d'une intercommunalité rurale financièrement exsangue du fait d'investissements trop lourds, dont le président voit désormais dans la création d'une commune nouvelle le moyen de sortir du marasme...
Le seuil des 20 000 habitants soulève une profonde inquiétude chez les élus ruraux. C'est un problème de temps. Laissons-les réfléchir, sans leur imposer d'échéances ou d'objectifs. Les territoires sont tous différents. Dans certains secteurs de Haute-Garonne, les élus se sont mis à discuter hors la contrainte de l'État ou de la préfecture. Il faut laisser du temps au temps.