Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 14 novembre 2014 à 21h30
Financement de la sécurité sociale pour 2015 — Articles additionnels avant l'article 61 A

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Vos réponses, madame la secrétaire d’État, suscitent de ma part quelques réflexions.

Vous avez rappelé que ce projet de congé parental a été porté par la gauche. Je l’ai moi-même indiqué ! Effectivement, la création remonte à 1985, mais le dispositif a été amplifié et conforté par la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille, dite « loi Veil », notamment en permettant que le congé parental ouvre des droits à la retraite. Certes, le problème du niveau des retraites demeure, mais la question des annuités a été réglée.

Vous indiquez par ailleurs que nous disposons du congé parental le plus long, le moins partagé et le plus faiblement rémunéré. Mais la société française est telle qu’elle est ! C’est bien de se comparer à l’Islande, à la Suède ou à d’autres pays, mais il faut tenir compte de certaines réalités vécues !

À ce titre, je citerai ce résultat tiré d’une étude de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, datant de quelques années déjà : 57 % des mères bénéficiant du congé parental estiment qu’un changement de conditions de travail leur aurait permis de continuer à travailler. C’est toute la question des femmes employées qui connaissent des horaires tardifs ou décalés, en soirée ou le samedi, notamment.

Il se trouve que j’ai beaucoup baroudé dans les quartiers, notamment les quartiers fragiles, d’une grande ville de France et je peux témoigner de ces mères qui ne sont pas à la maison à des heures où les enfants, eux, y sont.

S’agissant de l’investissement dans les modes d’accueil pour jeunes enfants, nous en sommes tous ravis ! Cela étant, le Gouvernement a atteint la moitié des objectifs de l’année. Or, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, les investissements des villes et des départements vont très fortement ralentir puisque vous avez « pompé » les fonds de la CNAF pour financer la réforme des rythmes scolaires. Cela a donné à toutes les collectivités locales un signal très clair de ralentissement des investissements sur les modes de garde, notamment les modes de garde collectifs, qui sont très coûteux.

Sur ce sujet, nous ne croyons plus du tout aux discours ! Comme l’a très bien dit Catherine Procaccia, nous ne croyons plus qu’aux actes ! En effet, nous rencontrons trop de jeunes femmes qui ne trouvent aucune solution correspondant à leurs besoins familiaux.

Vous aurez, en fin de compte, créé cette difficile année de soudure pour la mère, en limitant la durée du congé parental à deux ans, suivant la date précise de naissance de l’enfant, mais en laissant posée la question de la tension sur les modes de garde. In fine – Catherine Procaccia l’a également évoqué –, certaines femmes pourraient être contraintes de quitter leur emploi, ne pouvant plus bénéficier ni du congé parental ni du droit de retour dans l’emploi qui y est associé.

Je voudrais répéter que les femmes sont réellement victimes de la double peine ! Pourquoi demandent-elles le congé parental, et non les hommes ? Parce qu’elles sont moins payées et que l’allocation demeure très modeste – 590 euros par mois à taux plein ! Non seulement les femmes perçoivent des rémunérations plus faibles, mais on va désormais en plus les empêcher de reprendre leur carrière le moment venu. Comme si la contrainte allait changer cette réalité que nous regrettons, me semble-t-il, sur toutes les travées !

J’ai une deuxième conviction que je souhaite partager. De qui parlons-nous, mes chers collègues ? De femmes sans voix ! Nous pensons et théorisons le sort de femmes qui, non syndiquées, non représentées, ne s’expriment pas ! On ne les connaît pas ! On ne les entend pas ! Elles se débrouillent comme elles peuvent dans leur galère quotidienne, mais leurs solutions improvisées faites de bouts de ficelle et de solidarité de proximité les laissent tout de même parfois dans de réelles difficultés.

Bien sûr, l’élaboration d’un rapport n’est pas la panacée et d’autres rapports sont sans aucun doute établis. Pour autant, je tiens à vous signaler, madame la secrétaire d’État, qu’ayant cherché à creuser le sujet, j’ai été frappée par l’absence d’enquêtes très complètes, en tous cas qui ne soient pas relativement anciennes.

Quels sont, par exemple, les groupes homogènes ? Nous connaissons tous des parents qui ne prennent que quelques mois de congé parental, simplement pour en profiter un peu. Ils appartiennent, en règle générale, aux catégories socioprofessionnelles favorisées, dites CSP+. En revanche, d’autres utilisent le congé pendant trois années complètes, jusqu’à la soudure avec l’école maternelle. Certaines statistiques globales sont tellement grossières qu’elles n’ont plus aucune signification au regard de la diversité des réalités vécues.

Quoi qu’il en soit, aujourd'hui, 490 000 femmes ont jugé utile, pour leur équilibre familial, de recourir au congé parental, ce qui correspond à 490 000 familles, c'est-à-dire, en comptant deux enfants, en moyenne, par famille, environ 1 million d’enfants. De manière autoritaire, le Gouvernement a décidé de réduire ce congé d’un tiers. Ainsi, 150 000 familles – 300 000 enfants – vont voir très rapidement, dans un délai de deux à trois ans, leurs conditions de vie changer.

C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, je voudrais tenter de vous faire revenir sur ce choix, qui, étant de nature réglementaire, est entièrement entre vos mains.

Permettez-moi enfin de dire à ceux de nos collègues qui ne sont pas plus favorables aux rapports que je ne le suis moi-même en général, que, dans le cas présent, c’est le meilleur moyen, compte tenu de l’échéance du 1er avril 2015, d’exiger un véritable état des lieux sur ce sujet transversal, difficile à cerner et n’ayant fait l’objet, à ce jour, d’aucune évaluation correcte.

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