Cet amendement vise à supprimer la modulation des allocations familiales.
C’est un vieux débat qui, de mon point de vue, a une forte connotation quant à l’avenir du modèle français et l’état de la société.
Deux visions se sont opposées sur les droits, en particulier en matière de protection sociale. La vision classique, républicaine, notamment depuis le Conseil national de la Résistance, repose sur l’égalité des prestations et des droits, l’égalité d’accès et la juste contribution de chacun à proportion de ses facultés respectives. C’est vrai pour les prélèvements. Lorsqu’on rassemble la fiscalité et les prélèvements, toutefois, il s’agit plutôt d’avoir une société fondée sur les droits fondamentaux, dont fait partie la politique de la famille. On peut décider que ce n’est plus le cas, mais, historiquement, la branche famille fait partie de la protection sociale. C’est la philosophie qui a été défendue.
Les Anglo-Saxons ont une autre philosophie : ils appliquent la flat tax, impôt relativement peu progressif, et offrent des prestations qui, elles, sont conditionnées ou progressives.
Pour ma part, je pense que le modèle républicain est meilleur. Il est plus juste et, surtout, il constitue un ciment. Or j’observe que le Gouvernement nous propose la modulation des allocations familiales et qu’il refuse, par exemple, d’instaurer la CSG progressive.
Je souhaite la mise en place dans le pays d’un grand impôt progressif qui tienne compte des revenus ; je souhaite que le système de prélèvements soit plus juste et lié aux capacités contributives de chacun, mais que le principe républicain de l’égalité des droits, de l’égalité d’accès et de l’égalité des prestations soit maintenu. C’est cela, l’idée de l’égalité, et ce n’est pas neutre dans les consciences !
Petit à petit, un glissement s’opère en France et l’on considère que les prestations sociales deviennent des aides et ne sont plus des droits.
Justement, pour répondre à la nécessité d’une certaine sur-redistribution, il y avait deux piliers : les allocations versées à tous et des prestations liées à la condition sociale. Les deux étaient nécessaires pour justifier le maintien de ce socle républicain.
Dans l’immédiat, la modulation pourra paraître juste. D’après les sondages, les gens sont d’accord. Mais, petit à petit, nous risquons de voir s’installer dans le pays le sentiment de l’illégitimité des prélèvements et d’une assistance surabondante. Je crains ces dérives, ces effets sociaux sur le pacte républicain.
Ensuite, parler de justice sociale, ce n’est pas simplement comparer les familles entre elles : c’est comparer la situation des personnes, à ressources équivalentes, selon qu’elles ont ou non des enfants. Or le niveau de vie de toutes les familles qui ont des enfants, même celles dont les revenus sont les plus élevés, est inférieur à celui des personnes qui, ayant les mêmes revenus, sont sans enfant.
La politique de l’égalité fiscale, il faut la construire sur l’ensemble de la fiscalité. Il ne faut pas comparer les prélèvements entre familles, mais les prélèvements entre revenus, afin que les familles qui ont des enfants ne soient pas pénalisées par rapport à celles qui n’en ont pas, d’autant que les premières contribuent, à terme, au financement des retraites.
Il manque de l’argent à la branche famille ? Je rappelle qu’on lui a prélevé 9 milliards d'euros pour financer la branche retraite, et notamment les dispositions favorables aux mères au foyer. Il n’est donc pas vrai que la branche famille soit déficitaire en elle-même. Elle l’est devenue à cause du prélèvement qu’elle a subi.
Ce prélèvement a en outre justifié une indexation imparfaite des allocations familiales sur les salaires et même sur l’inflation. Et on nous dit maintenant que les allocations familiales représentent une somme dérisoire… De fait, leur poids dans le pouvoir d'achat des familles n’a cessé de décroître depuis 1946.