Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h30
Réforme du système de sécurité sociale des étudiants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, l’automne semble être, au Sénat, la saison de prédilection pour évoquer l’avenir du système de sécurité sociale des étudiants.

Pour la troisième fois en trois ans, ceux qui, comme moi, croient en la possibilité d’améliorer le fonctionnement des mutuelles pour que les étudiants soient mieux couverts par leur assurance maladie se remettent à l’ouvrage, avec l’espoir de voir le Gouvernement prendre enfin les décisions qui s’imposent.

Voilà deux ans, le 12 décembre 2012, mon collègue Ronan Kerdraon et moi-même présentions à la commission des affaires sociales les conclusions de notre rapport sur la sécurité sociale et la santé des étudiants. Nous y présentions des pistes d’amélioration qui, si l’on s’y était engagé, auraient permis d’assurer la pérennité du système. Notre rapport fit même la une du journal Le Monde ; c’est suffisamment exceptionnel pour que je le rappelle ce soir.

Malgré ce coup de projecteur, aucun des ministres concernés n’a semblé vouloir réellement intervenir, contrairement à la Cour des comptes, qui, elle, publia en 2013 un rapport percutant, pour ne pas dire corrosif, étayé et chiffré.

C’est pourquoi le groupe UMP fit inscrire la question à l’ordre du jour du Sénat le 3 décembre 2013.

Madame la secrétaire d’État, lors d’un débat serein et de qualité vous avez reconnu ici même la complexité du système : « Ce n’est simple à comprendre ni pour les étudiants et leurs familles ni, d’ailleurs, pour les établissements, qui ont la charge, au moment de l’inscription, de l’affiliation à la sécurité sociale. » Vous aviez même avoué que, avant le débat, les membres de votre cabinet vous et vous-même étiez été bien en peine de savoir comment étaient assurés vos enfants…

Vous aviez clôturé votre intervention ainsi : « La riche histoire de la sécurité sociale étudiante ne justifiera jamais l’immobilisme ou l’inefficacité. » Vous aviez promis que le Gouvernement agirait « sans tabou », reconnaissant que la situation des finances publiques l’exigeait. J’y ai cru... §

J’avais aussi cru à l’engagement que vous aviez pris ici : à la rentrée universitaire de 2014, tous les étudiants seraient enfin affiliés au 1er septembre, dès le début des cours, et non en octobre. Il suffisait de modifier un décret périmé.

Mais, comme « sœur Anne », ne voyant rien venir, j’ai fini par déposer au mois de juin de cette année la présente proposition de loi ; elle est cosignée par plus de quatre-vingts sénateurs, issus de trois groupes politiques différents. Je les remercie de me soutenir ou, plutôt, de soutenir tous ces étudiants qui, exaspérés par la complexité et les dysfonctionnements, particulièrement de la Mutuelle des étudiants, LMDE, se retrouvent démunis et renoncent à se soigner.

Je n’ai pas proposé à mes collègues socialistes de cosigner ce texte, mais je sais que plusieurs d’entre eux partagent mon analyse et fustigent l’immobilisme qui a conduit la LMDE à la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. Certains, tels MM. Marcel Rainaud et Hervé Poher, ont même osé demander à Mme la ministre de la santé dans une question écrite les mesures qu’elle entendait prendre pour refonder le système de sécurité sociale étudiante, afin de faire cesser un système complexe, coûteux et inefficace. Leurs questions sont demeurées sans réponse. Je ne suis donc pas seule…

J’ai recensé plus de quatre-vingt-treize questions sur ce thème à l’Assemblée nationale, dont quatorze pour le PS, vingt par la Gauche démocrate et républicaine et une pour les écologistes. Depuis le début de la quatorzième législature, au mois de juin 2012, sur toutes les travées, les parlementaires que nous sommes pressent le Gouvernement d’agir.

Ce soir, ce troisième rendez-vous automnal sera, je l’espère, celui d’une refondation : celui au cours duquel nous allons enfin savoir si la volonté parlementaire et gouvernementale est de faire perdurer un système uniquement parce qu’il a été créé à la Libération voilà soixante-dix ans.

Ce soir, nous allons mettre dans la balance, d’un côté, la soif de représentativité des syndicats et, de l’autre, les attentes de simplicité et d’efficacité qui sont celles des étudiants. Pourquoi ces derniers seraient-ils si différents des autres jeunes du même âge qui, apprentis, salariés ou déscolarisés, ne « bénéficient » pas – l’emploi d’un tel verbe est sans doute inapproprié – d’un système spécifique ? Et si les actions de prévention contre le binge drinking, le sida ou les addictions étaient si efficaces, pourquoi seraient-elles réservées aux seuls étudiants ?

Ce soir, j’espère que nous aurons tous à l’esprit la situation critique de la première mutuelle des étudiants, la LMDE, mise sous tutelle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution au mois de juillet, c’est-à-dire plusieurs semaines après le dépôt de ma proposition de loi. C’est en particulier pour que puissent être trouvées des solutions immédiates que la commission a adopté un texte amendé.

Enfin, ce soir, nous allons savoir si la volonté gouvernementale de simplification de la vie des Français et la chasse aux dépenses inutiles sont bien réelles.

Bref, la soirée sera placée sous le signe du concret et de la simplicité, à l’image de cette courte proposition de loi de six articles.

Même si presque tous dans cet hémicycle connaissent le système français de couverture du risque maladie et maternité des étudiants, je le rappellerai brièvement pour tous ceux qui, je le sais, nous suivent en direct sur le site du Sénat.

Ce système est d’abord unique en Europe : partout ailleurs, les jeunes qui suivent des études relèvent du régime soit commun soit des parents, et les étudiants y sont des jeunes comme les autres.

Ce système est original. En effet, les étudiants sont officiellement rattachés au régime général et c’est par le biais d’une délégation de service public que, depuis 1948, les prestations de base sont servies par des mutuelles, qui perçoivent, en 2014, 50 euros par étudiant pour couvrir leurs coûts de fonctionnement. Cette remise de gestion est versée par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAM. Elle est en diminution depuis trois ans, mais se révèle plus élevée que dans les autres régimes délégués.

Ce système est subsidiaire, car il ne couvre pas tous les étudiants. Ainsi, les étudiants salariés ne sont pas concernés. De même, les enfants des ayants droit de la SNCF dépendent non pas des mutuelles étudiantes, mais du régime de leurs parents. D’autres, selon l’activité des parents, y seront rattachés à dix-huit, dix-neuf, vingt ou vingt ou un ans…

Ce système est à durée déterminée puisque la couverture sociale n’est que d’un an. Ce « CDD » doit être renouvelé chaque année, alors que les jeunes demeurent en moyenne trois ans dans les études supérieures.

Ce système est atypique puisqu’il met en concurrence, pour assurer la couverture obligatoire du risque maladie, deux acteurs : la LMDE, mutuelle nationale, et des mutuelles régionales, chacune étant compétente sur un territoire précis.

Rappelons que le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2014 a mis fin à la concurrence entre le Groupement des assureurs maladie des exploitants agricoles, le GAMEX, et les assureurs au profit de la Mutualité sociale agricole, la MSA, pour les assurances accidents exploitants agricoles, ou AAEXA, alors que les prestations n’étaient ni identiques ni au même prix, comme pour les étudiants.

La concurrence que se livrent à chaque rentrée la LMDE, née en 2000 des cendres de la Mutuelle nationale des étudiants de France, la MNEF, et les mutuelles régionales, qui existent depuis 1972, est source de dépenses, mais aussi d’une agressivité commerciale peu appréciée des jeunes et de leurs parents.

Enfin, pour clore ce descriptif d’un système unique sous tous ses aspects, j’insisterai sur le mélange des genres.

La LMDE et les mutuelles régionales, regroupées sous l’enseigne emeVia, proposent des garanties de complémentaire maladie. C’est aussi incongru que si les caisses d’assurance maladie essayaient de vendre une assurance complémentaire tout en procédant à l’affiliation des assurés sociaux. La confusion est entretenue par leur appellation de « mutuelles ». Cela conduit aussi à une distorsion dans le traitement entre les simples assurés sociaux et les affiliés assurés complémentaires.

Pour ne pas allonger mon propos sur la description de toutes les étrangetés de ce système social, je vous renvoie à notre excellent rapport sénatorial de 2012.

Mais il est impossible de ne pas évoquer l’incroyable complexité de la mutation inter-régimes.

Le passage obligé pour les trois quarts des étudiants – il y en a un quart qui ne relève pas de ce système – de leur régime social d’origine vers le régime étudiant est très complexe. Il s’agit d’un processus lourd, long et formaliste, qui rélève soit de l’imagination créative d’une organisation kafkaïenne ou d’une administration qui n’a toujours pas compris ce que le mot « simplification » voulait dire.

Ce processus implique parfois, et même souvent, la création d’une nouvelle carte Vitale, dont les délais d’obtention sont particulièrement longs, alors que le jeune devrait être en possession de sa carte personnelle avec son propre numéro dès l’âge de seize ans. D’autres évoqueront sans doute aussi les milliers de cartes Vitale jamais délivrées retrouvées dans des caisses à la LMDE, ou ces étudiants qui recevront deux mois seulement avant la fin de leurs études ce sésame qui leur permettra de ne pas faire l’avance des frais et de pouvoir enfin se faire soigner, car ils y renonçaient jusqu’alors, faute, précisément, d’être en mesure de consentir cette avance.

Comme Ronan Kerdraon et moi-même l’avions souligné, si le régime étudiant a été conçu pour permettre aux jeunes de se prendre en main et de devenir pleinement autonomes, le système est tel que c’est aujourd'hui l’effet inverse qui se produit.

C’est pourquoi le texte que je vous présente envisage pour les étudiants une solution simple et moins coûteuse, car elle limitera les dysfonctionnements inhérents à l’accumulation de soixante-dix ans de mécanismes complexes que la CNAM, les mutuelles, les universités ou les ministères ont élaborés sans jamais communiquer entre eux !

La proposition de loi prévoit que tous les jeunes devenant étudiants ne changeront pas de régime social. Ils demeureront rattachés au régime auquel ils étaient précédemment, passant seulement du statut d’ayant droit à celui d’affilié à part entière. Ils continueront à verser, à l’exception des boursiers, une cotisation forfaitaire traduisant leur participation à la gestion du risque maladie et maternité.

Il n’y a donc pas lieu de hurler à la mise en cause de l’autonomie, comme certains osent le faire…

C’est la fin des mutations inter-régimes, des dossiers égarés, puisque le régime de base a déjà toutes les informations sur le jeune. Seuls le compte bancaire de l’étudiant et son adresse auront besoin d’être actualisés, comme pour n’importe quel assuré social. Il n’y aura pas de nécessité non plus de refaire les démarches de déclaration de médecin traitant, comme c’est le cas aujourd'hui.

Simple, cette solution est en outre génératrice d’économies pour l’assurance maladie. La CNAM les a évaluées à 69 millions d’euros. Certains contestent ce chiffre. Je n’ai pas les moyens dont ils disposent sans doute, à l’instar de la CNAM ou de la Cour des comptes, pour établir leur propre évaluation, mais je crois qu’ils dépensent beaucoup d’énergie à tenter d’expliquer que le régime général est plus coûteux que celui des étudiants, lequel ne gère pourtant ni les arrêts maladie ni les accidents du travail ! Pour ma part, je fais confiance aux chiffres avancés par la CNAM et par la Cour des comptes.

À ma demande, la commission des affaires sociales du Sénat a voté un amendement modifiant le texte initial de ma proposition afin de décaler de trois ans l’entrée en vigueur de la loi. L’administratrice provisoire de la LMDE nommée en juillet par l’ACPR, l’Union nationale des syndicats autonomes, l’UNSA, au titre des salariés de la LMDE, et le directeur de la CNAM nous ont tous dit que, si une solution n’était pas trouvée dans les trois mois, la LMDE serait dans l’incapacité d’assurer la rentrée universitaire de 2015. Eu égard à ces informations, j’ai décidé de laisser du champ pour une solution transitoire tout en rappelant que, pour moi, l’adossement n’est qu’une étape ; elle n’est pas une fin en soi.

Durant cette période, la LMDE, pourrait être adossée au régime général. Cela laisserait le temps aux mutuelles régionales de se préparer à la disparition de la délégation de gestion et aux étudiants, comme au Gouvernement, de mesurer s’il est utile de garder une « vitrine » LMDE ou mutuelles régionales, alors que tout le travail de gestion sera réalisé en amont par la CNAM – ou par les régimes de base si ma proposition est adoptée.

Pour limiter les conséquences sur l’emploi – 1 800 salariés travaillent dans les deux réseaux –, le texte voté en commission prévoit désormais le transfert automatique des contrats de travail des personnels affectés au régime obligatoire dans les régimes d’origine.

Pour votre information, je signale que 80 % des étudiants relèveront de par leur origine du régime général.

Cette disposition est attendue des personnels de la LMDE, car l’actualité est particulièrement pressante pour cette dernière.

La Mutuelle générale de l’éducation nationale, la MGEN, vient de dénoncer la convention d’adossement qui la liait à la LMDE. Elle récupère aussi tous les contrats d’assurance maladie complémentaire qu’elle avait délégués à la LMDE – au nombre de 130 000, si mes souvenirs sont bons – et la LMDE perd ainsi la moitié de son portefeuille.

Et c’est sans compter les règles européennes de solvabilité – le fameux « Solva 2 » –, qui vont mettre en difficulté les petits assureurs. Je vois mal comment les mutuelles étudiantes, qu’il s’agisse de la LMDE ou des mutuelles régionales, pourront, dans leur version « assureur privé », répondre à ces réglementations assurantielles en 2017 ! Là encore, les mutuelles se trouveront condamnées à travailler avec des grands, mais cette fois avec des grands de l’assurance.

Je terminerai mon intervention en répondant aux trois principales objections qui ont été soulevées contre le maintien des étudiants dans le régime de leurs parents, objections dont la plupart d’entre vous ont eu connaissance par des courriels qui leur ont été adressés.

Première critique : la proposition de loi étant une réponse structurelle aux seules difficultés de la LMDE, les mutuelles régionales ne devraient pas avoir à en pâtir.

J’estime, pour ma part, que le système est démesurément complexe, qu’il n’est pas adapté à la massification de l’enseignement supérieur, qu’il crée une distinction élitiste entre les étudiants et les autres jeunes du même âge. Je n’accepte donc pas que l’on refuse de simplifier le système pour justifier l’organisation actuelle. Je rappelle que cette proposition de loi a été déposée avant que les problèmes de la LMDE se fassent jour. Son objectif est uniquement de simplifier la vie des étudiants.

Deuxième critique : l’autonomie des jeunes serait remise en question. C’est faux ! Je vous l’ai dit, ils seront des affiliés à part entière, recevront leurs remboursements en leur nom propre et leur droit à l’intimité ne sera en aucun cas remis en question.

Enfin, troisième critique : les mutuelles étudiantes ne pourraient plus continuer à remplir leurs missions de prévention.

Vous le savez, puisque c’est la troisième fois que j’interviens sur ce thème, je suis dubitative quant à l’efficacité de ces actions. Cependant, si les deux réseaux continuaient d’exercer leur activité d’assurance complémentaire, rien ne les empêcherait, bien au contraire, d’intervenir sur ces questions. Rien n’empêcherait non plus les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé – les SUMPPS, que Mme Fioraso a accepté de rebaptiser de façon plus heureuse – de renforcer leur action et de collaborer avec les associations étudiantes.

Avec ce texte, je n’entends pas nier toute spécificité à cette période de transition qu’est la vie étudiante, même si je doute que cette dernière soit plus difficile que la vie des autres jeunes, en particulier de tous ceux qui sont sans emploi. Mais je veux améliorer la situation de 1 700 000 personnes en simplifiant un système devenu obsolète.

Si nous votons ce texte ce soir, nous aiderons des centaines de milliers de jeunes à sortir du labyrinthe, telle Ariane aidant Thésée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion