Le budget de l'enseignement agricole évolue favorablement en 2015, du moins en apparence. Les crédits consacrés à l'enseignement technique agricole augmentent de 2,6 % d'une année sur l'autre, pour atteindre 1,38 milliard d'euros. Dans un contexte très difficile, l'effort est appréciable et montre que l'enseignement agricole n'est pas moins bien traité que l'éducation nationale.
Cette hausse provient essentiellement de l'augmentation importante des crédits de personnels, en hausse de 4,1 %, du fait notamment du recrutement de 140 enseignants à la rentrée 2015. Le plafond d'emplois du programme s'établit ainsi à 14 987 emplois, soit un niveau comparable à celui de 2011. L'effort en faveur des emplois d'avenir professeur se poursuit également, qui permet de soutenir en amont les vocations d'enseignant.
Ce budget s'inscrit également dans le respect des protocoles d'accord conclus en 2013 avec le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) et l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP) pour les établissements du temps plein, ainsi qu'avec l'Union nationale des maisons familiales rurales (UNMFR). Un protocole d'accord est d'ailleurs en cours de finalisation avec les établissements du rythme approprié affiliés à l'UNREP. Ces accords ont permis de clore les risques contentieux liés au financement des établissements privés. Ils donnent à tous les acteurs une lisibilité et une prévisibilité très appréciables des enveloppes budgétaires jusqu'en 2016. Les représentants de l'enseignement privé agricole m'ont fait part de leur satisfaction quant à l'application de ces accords. En effet, je suis attachée au développement équilibré de toutes les composantes de l'enseignement agricole, qu'il s'agisse du public, du privé temps plein ou du privé rythme approprié. Toutes répondent aux besoins des élèves, des familles et des territoires.
L'effort d'accompagnement des élèves handicapés est appréciable. La dotation 2015 de compensation du handicap s'élève à 4,9 millions d'euros, soit une progression de 17 %, due essentiellement au recrutement de 25 auxiliaires de vie scolaire supplémentaires.
L'enseignement agricole n'échappe toutefois pas aux efforts de maîtrise des finances publiques. La rationalisation des dépenses de fonctionnement se poursuit, notamment par la réduction des subventions de l'établissement public national de Rambouillet de 10 % ou la baisse de 1 % des crédits dédiés aux moyens communs de l'enseignement agricole. De plus, le ministère a décidé la réduction de plus de moitié - de 51,6 % -, soit 3,39 millions d'euros, des dotations couvrant les charges de pensions pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis et des centres de formation professionnelle et de promotion agricoles.
Malgré l'apparente hausse des crédits, la situation financière et administrative des établissements est de plus en plus fragile. La réduction des crédits couvrant les charges de pensions pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle pour adultes (CFPPA), ainsi que la sous-dotation chronique des 1 27 assistants d'éducation, reviennent à mettre à la charge des établissements des dépenses qui relèvent normalement de l'État. De plus, beaucoup de ces établissements rencontrent de sérieuses difficultés dans leur gestion quotidienne, du fait de l'absence de créations de postes administratifs et de la diminution des moyens de remplacement.
Vous savez l'importance que j'attache au développement de cet enseignement d'excellence. J'ai toujours mis un point d'honneur à conserver un regard lucide et impartial sur un budget que j'ai l'honneur de rapporter depuis quatorze ans. L'évolution des effectifs d'élève, question d'ordre existentiel pour cette filière, m'inquiète profondément. En-deçà d'un certain seuil d'élèves, le maintien d'un réseau éducatif distinct de l'éducation nationale n'aura plus de sens, quelle que soit l'excellence de ses formations et de ses résultats.
Or les évolutions des deux dernières années sont nettement défavorables. Les effectifs de l'enseignement agricole s'élèvent à la rentrée 2014 à 165 222 élèves, en diminution de 3,6 %, qui fait suite à la légère hausse, de 0,7 %, observée en 2013. Mais une fois ces chiffres corrigés des effets de la rénovation de la voie professionnelle, une tendance structurelle à la baisse des effectifs apparaît, qui touche tout particulièrement les classes dites d'appel que sont les classes de 4e et de 3e ainsi que les classes de 2nde.
La raison en est simple : les élèves sont de moins en moins orientés vers les formations proposées par l'enseignement agricole. Retarder le plus tard possible l'orientation des élèves est un choix délibéré qui relève d'une vision dépassée d'une hiérarchie des savoirs et des intelligences, particulièrement prégnante au sein de l'éducation nationale. Dans certaines académies comme Toulouse et Bordeaux, la réduction de l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et les maisons familiales rurales (MFR) est un objectif explicite du dialogue de gestion.
L'enseignement agricole peine à se défaire de la vision d'une filière de remédiation pour élèves en difficulté ou d'une voie de garage qui ne formerait que des exploitants agricoles - qui ne représentant d'ailleurs que 20 % des effectifs. On en oublierait les excellents résultats de l'enseignement agricole en matière d'insertion professionnelle, meilleure que celle des diplômés de l'éducation nationale. En 2013, sept mois après la sortie de formation, le taux d'insertion des titulaires d'un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) était de 13 points supérieur à celui des titulaires d'un diplôme équivalent de l'éducation nationale, et l'écart avec les titulaires d'un baccalauréat professionnel et d'un certificat d'aptitude professionnelle agricole (CAPA) respectivement de 23 et 4,5 points.
Je déplore un manque d'ambition et de perspectives pour l'enseignement agricole. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt constitue un véritable rendez-vous manqué. Elle n'a quasiment rien repris des propositions ambitieuses formulées en 2013 par l'Observatoire national de l'enseignement agricole présidé par Henri Nallet. Elle ne porte aucune vision stratégique pour l'enseignement agricole, pas plus que le projet stratégique présenté au conseil national de l'enseignement agricole à l'automne 2013, dont le statut comme la portée demeurent incertains. Enfin, malgré ma persévérance, la loi d'avenir ne prévoit pas la conclusion de partenariats formalisés entre les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), les régions et les rectorats, qui permettraient pourtant de donner un cadre pluriannuel stable aux différents acteurs et de mettre fin à des disparités flagrantes entre les territoires.
Nous assistons à une dégradation lente mais certaine de la situation. Une logique de régression, d'adaptation des effectifs aux moyens, s'installe au sein de l'enseignement agricole. C'est l'exact inverse de la démarche promue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : la performance ne consiste pas seulement à faire mieux avec moins, mais également à évaluer les différentes politiques publiques et à investir dans celles qui produisent des résultats. Or l'enseignement agricole constitue une filière d'excellence dynamique, innovante, au rayonnement international, appelée à jouer un rôle majeur dans la transition vers l'agroécologie. Mais encore faut-il que l'enseignement agricole soit reconnu et préservé.
En conclusion, si ce budget est globalement favorable et qu'il satisfait les acteurs de la filière, il dissimule cependant une fragilisation des établissements ainsi que de l'enseignement agricole dans son ensemble. L'amendement du Gouvernement adopté la semaine dernière à l'Assemblée nationale, qui réduit d'un montant de 2,5 millions d'euros les crédits hors titre 2 du programme 143 afin de financer la reconduction de la part majorée des aides pour la réforme des rythmes scolaires, témoigne d'un véritable mépris pour l'enseignement agricole. Celui-ci ne doit pas redevenir la variable d'ajustement du budget de l'enseignement scolaire.
C'est pourquoi Jean-Claude Carle et moi-même vous proposons un amendement rétablissant 2,5 millions d'euros de crédits hors titre 2 au profit de l'enseignement agricole. Ces crédits sont prélevés sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement du programme 214 « Soutien à la politique de l'éducation nationale ». Sous réserve de son adoption, je recommande un avis favorable sur l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».