Intervention de François Aubey

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 18 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Crédits « transports aériens » - examen du rapport pour avis

Photo de François AubeyFrançois Aubey, rapporteur pour avis :

Il me revient de vous présenter les crédits relatifs au transport aérien pour l'année 2015. Je vais essayer d'être à la hauteur de Vincent Capo-Canellas, qui s'était brillamment acquitté de cette tâche au cours des années passées. Je remercie le Président Maurey et l'ensemble des membres de la commission de m'avoir donné cette occasion d'examiner un domaine stratégique pour notre pays. Je remercie particulièrement mes collègues du groupe socialiste de m'avoir témoigné cette marque de confiance.

Il m'est apparu, au cours des auditions, que le secteur aérien revêt une dimension géopolitique essentielle. Certes, il s'agit d'un domaine où les perspectives de croissance sont extrêmement encourageantes. Il est de coutume de dire que le trafic aérien croît deux fois plus vite que le PIB. En 2013, le trafic mondial a atteint 5,8 milliards de passagers kilomètres transportés (PKT), contre 3 milliards en 2000, soit une progression de l'ordre de 90 % et un taux de croissance annuel moyen d'environ 5 %. Les dernières prévisions de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) prolongent cette tendance : +6,0 % en 2014, +6,3 % en 2015 et +6,5 % en 2016. D'une manière générale, personne n'imagine pour le moment que la croissance du trafic aérien puisse ralentir nettement à long terme, tant la demande est forte. La France a des atouts incomparables pour capter cette croissance, grâce à notre « triple A » : un grand constructeur d'avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire du monde.

Mais le revers de la médaille est que ce secteur porteur suscite énormément de convoitises, au risque de faire fi des règles de base de la concurrence. C'est ainsi que les compagnies européennes réalisent seulement 5 % des bénéfices de l'ensemble des compagnies aériennes dans le monde, soit 0,4 milliard de dollars sur 7,4 milliards de dollars, alors même que l'Europe représente 30 % de l'ensemble du transport aérien commercial. Et ce, malgré les efforts de restructuration importants de ces compagnies au cours des dernières années, qui se sont accompagnés de la destruction de 80 000 emplois depuis 2000, soit une réduction de personnel d'environ 18,5 %, dont 20 000 ont été supprimés entre 2011 et 2013.

En parallèle, les hubs européens voient leur position menacée par d'autres acteurs mondiaux, issus notamment du Moyen-Orient, qui semblent désireux de profiter de la situation économique difficile du vieux continent. En 2013, Dubaï est devenu le septième plus grand aéroport mondial (66,4 millions de passagers, +15,2 %), devant Paris-CDG (62,0 millions de passagers, +0,7 %). Cet affaiblissement progressif de la position des hubs européens menace directement les intérêts économiques et géostratégiques de l'Europe, en réduisant sa connectivité avec les pays en pleine expansion d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud. L'Europe risque d'être condamnée à jouer les seconds rôles dans un marché du transport aérien pourtant en plein essor.

Au coeur du problème se situent les différences entres les cadres règlementaires européens et ceux des pays tiers, qui faussent la concurrence et risquent de miner la compétitivité du secteur du transport aérien en Europe. Il n'est un secret pour personne que des États du Moyen-Orient et d'Asie subventionnent massivement leurs compagnies et leurs aéroports, afin d'attirer chez eux les flux de trafic. On mesure donc toute l'importance des ambitions étatiques, dans un secteur fortement soumis à la pression concurrentielle de la mondialisation, et qui n'entre pas dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Derrière les enjeux économiques du secteur, on est donc directement dans la confrontation des rapports de force géopolitiques, et c'est à l'aune de ces considérations que je vous propose d'analyser les crédits consacrés aux transports aériens dans notre budget pour 2015.

Ces crédits figurent, d'une part, au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) qui regroupe les crédits de la navigation aérienne et des opérations de contrôle et de sécurité, d'autre part, au programme 203, dans les actions 11 et 14 relatives aux infrastructures de transport et au soutien des lignes pour l'aménagement du territoire.

En 2015, le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » sera globalement stable, à 2,3 milliards d'euros. Pour autant, la structure de ce budget fait l'objet d'évolutions remarquables, en tirant profit de la définition de nouveaux objectifs européens en matière de contrôle aérien.

En effet, la mise en oeuvre du Ciel unique européen entre dans une phase opérationnelle, avec le déploiement du programme SESAR depuis cette année. L'investissement dans ce nouveau système complet de gestion du trafic aérien vise à répondre à la croissance du trafic d'ici 2020 et à assurer la convergence technologique nécessaire pour la construction de l'Europe du contrôle aérien.

Le PLF 2015 a été élaboré dans le cadre d'un nouveau plan de performance pour la direction des services de la navigation aérienne de la DGAC, qui couvre la période 2015-2020. Ce plan fixe l'évolution des taux unitaires de redevance sur cinq ans. Le choix a été fait d'augmenter les redevances de route de 6 % en les relevant de 66 euros à 70 euros : le niveau de ces redevances est plutôt bas en France, puisqu'elles s'élèvent à 100 euros en Allemagne. Parallèlement, on observe une baisse de la plupart des autres redevances, notamment la redevance pour services terminaux, payée par ceux qui apportent de l'activité, et qui est plutôt chère en France. Au final, les recettes de la DGAC augmentent de 5 %.

Parallèlement, le PLF 2015 prévoit une réduction de 2 % des dépenses de fonctionnement de la DGAC, soit une économie de près de 10 millions d'euros. Il s'agit de l'application de la norme d'économie décidée par le Gouvernement pour le budget général. Les subventions accordées aux organismes extérieurs comme Eurocontrol, Météo France ou l'École Nationale d'Aviation Civile (ENAC) subissent le même rabais. Les efforts de maîtrise de la masse salariale se poursuivent avec la suppression de 100 équivalents temps plein (ETP) au budget annexe et de 17 ETP pour l'ENAC, tout en veillant à conserver et à renouveler les compétences métier stratégiques.

Le dernier point remarquable est le maintien intégral de l'enveloppe des investissements dans le PLF 2015, qui s'établit à 274,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 257,5 millions d'euros en crédits de paiement. Ainsi, grâce à la progression des recettes et aux économies de fonctionnement, le résultat d'exploitation prévisionnel passe de +50,2 millions d'euros en 2014 à +148,9 millions d'euros en 2015. Cette dynamique préfigure un assainissement financier du budget annexe.

En effet, des inquiétudes quant à la trajectoire financière de la DGAC sont relayées depuis plusieurs années : la DGAC subit depuis 2005 un effet de ciseau, entre des besoins de financement structurels et un contexte économique défavorable, qui alimente une spirale de l'endettement. En dix ans, le stock de dette a augmenté de 75 % pour atteindre 1,28 milliard d'euros en 2014.

Il semble enfin que les réformes structurelles commencent à porter leurs fruits, et permettent d'envisager l'amorce d'un désendettement, de plus de 6 points dans le PLF 2015 : le ratio d'endettement prévu est de 61,7 % contre 67,9 % en 2014.

Je salue cette bonne nouvelle, tout en déplorant l'absence de projections à moyen terme qui viendraient confirmer cette trajectoire. D'après les informations communiquées par la DGAC s'agissant du triennal 2015-2017, l'arbitrage rendu par le cabinet du Premier ministre ne porte que sur l'année 2015 : les dépenses de 2016 et 2017 sont subordonnées à une clause de revoyure avec la direction du budget. Elles dépendent du résultat des discussions en cours avec les instances européennes sur les assiettes et la tarification des redevances, qui conditionnent le niveau des recettes. Il semblerait que les objectifs de performance requis par la Commission européenne pour la période 2015-2019 soient trop exigeants, notamment en matière de réduction des coûts unitaires des services de navigation aérienne (-8,7 % sur cinq ans). La DGAC estime que ces contraintes sont incompatibles avec le coût du programme SESAR et négocie activement avec Bruxelles. Il s'agit donc d'une affaire à suivre.

En ce qui concerne le programme 203 relatif aux infrastructures et services de transports, on observe une franche réduction (-36 %) des crédits de paiement dédiés aux infrastructures aéroportuaires, en raison de la temporisation des travaux pour la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. La ministre Ségolène Royal, a annoncé dès sa nomination, souhaiter attendre l'issue de la soixantaine de recours contre les arrêtés préfectoraux autorisant les travaux. Le préfet a donc suspendu le 19 octobre 2014 l'instruction du permis de construire, qui avait été déposé en avril 2013. À ce jour 52 recours ont été jugés, tous perdus par les requérants.

Les crédits consacrés aux lignes d'aménagement du territoire (LAT) continuent à diminuer, de 14 % en 2015. Aucun financement de liaison nouvelle n'est prévu dans les prochaines années et à l'horizon 2017, le soutien de l'État aux liaisons aériennes en métropole sera concentré sur les trois destinations les plus enclavées : Aurillac-Paris, Le Puy-Paris et Brive-Paris. Je ne remets pas en cause la nécessité d'assainir les finances publiques, mais je constate malheureusement que l'on manque véritablement, et depuis toujours, d'une vision stratégique à l'échelle nationale en matière d'aménagement aéroportuaire, puisque ces évolutions sont principalement dictées par des considérations financières.

Ce dernier point me permet de rebondir pour tracer quelques perspectives d'ordre général sur le secteur. En effet, en matière d'aménagement du territoire, le sujet est bien plus vaste. Les nouvelles lignes directrices sur les aides d'État aux aéroports et aux compagnies aériennes ont été publiées le 4 avril 2014, après plus de deux ans de débats intenses. Pour rappel, le Sénat s'était saisi de cette question sensible et avait adopté, le 3 novembre 2013, une résolution européenne. Cette dernière visait notamment à soutenir la position du Gouvernement, en faveur de l'introduction d'une nouvelle catégorie au profit des petits aéroports, qui pourraient ainsi bénéficier d'un régime d'aides plus souple. La position défendue par la France a globalement été entendue. Mais le régime transitoire décidé pour les dix prochaines années n'accorde qu'un sursis aux petits aéroports, qui sont généralement subventionnés et octroient souvent des aides pour attirer les compagnies aériennes. À terme, certains d'entre eux sont directement menacés de fermeture, à la fois en raison de leur faiblesse économique structurelle, de leur dépendance très forte à une compagnie et/ou de la proximité du TGV, qui rendent délicates les justifications éventuelles de certaines aides. Il faudra également suivre ce sujet dans les années à venir.

En parallèle, le Gouvernement a annoncé cet été, la reprise du processus d'ouverture du capital des principaux aéroports régionaux, processus interrompu en 2011 faute de consensus sur les modalités de participation des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des collectivités territoriales au processus. En juillet 2014, l'Agence des participations de l'État (APE) a lancé un appel d'offres pour la vente de 60 % des parts détenues par l'État dans le capital de la société Aéroport Toulouse-Blagnac, sur la base d'une participation initiale de 49,99 % et d'une option de vente pour les 10,01 % restants. Le président Maurey s'est inquiété de cette situation la semaine dernière. Il apparaît en effet qu'un consortium d'investisseurs chinois - Friedmann Pacific Investment et Shandong High Speed Group, conseillés par le canadien SNC-Lavalin - aurait déposé l'offre la plus généreuse, autour de 300 millions d'euros, ce montant étant significativement supérieur aux offres remises par les deux candidats français, Aéroports de Paris (ADP) d'une part, et Vinci d'autre part. Les collectivités locales concernées doivent se prononcer sur l'offre demain, mercredi 19 novembre, et le ministre de l'économie a annoncé que l'État rendrait sa décision d'ici un mois.

Personnellement, je ne m'oppose pas - par principe - à l'arrivée d'investisseurs chinois, qui portent de grandes ambitions pour le développement économique de cet aéroport. Mais je m'interroge en revanche sur l'opportunité de privatiser les aéroports régionaux, qui sont des monopoles naturels. Il ne faudrait pas commettre les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières, nous en avons tous conscience ici.

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