Intervention de François Aubey

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 18 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Crédits « transports aériens » - examen du rapport pour avis

Photo de François AubeyFrançois Aubey, rapporteur pour avis :

D'un point de vue géopolitique, cette opération signifierait également que l'on commence à céder progressivement nos infrastructures critiques à la Chine, qui a déjà largement déployé cette stratégie en Grèce, notamment avec la prise de contrôle emblématique du Port du Pirée en 2010. Il ne faudrait pas que la privatisation de l'Aéroport de Toulouse se transforme en capitulation économique des intérêts de la France !

Quelques mots également sur Aéroports de Paris qui réalise en 2013 une très belle année, avec un chiffre d'affaires en hausse de 4,3 % pour atteindre 2,75 milliards d'euros, principalement grâce au dynamisme du trafic passagers et à la maîtrise des charges. Les tendances pour 2014 sont d'ores et déjà encourageantes, malgré la grève récente d'Air France qui a fait perdre un million de passagers à ADP. De manière générale, les plateformes parisiennes sont dotées d'un potentiel de développement important grâce à des infrastructures non saturées et à la profondeur de leur hinterland économique et touristique. Mais elle perdent régulièrement des parts de marché, non seulement au profit des nouveaux hubs internationaux - comme ceux du Golfe et, dans un futur proche, la Turquie, qui bénéficient d'un positionnement géographique performant et proposent de bons rapports qualité/prix - mais également des hubs concurrents européens. Ainsi, entre 2007 et 2013, ADP a perdu environ 3 000 possibilités de correspondance en faveur d'Amsterdam-Schiphol.

En réponse, ADP s'efforce de construire une image de marque et de monter en gamme. Une attention particulière est portée à l'accueil afin d'« offrir à tous les passagers des services dignes des meilleurs hôtels », ainsi que le souhaite le Président Augustin de Romanet. Cela va du wifi gratuit et illimité installé en juillet dernier à la réduction du temps de traitement des bagages, en passant par le recrutement de 120 agents d'accueil et l'amélioration de la signalétique, notamment pour les clients asiatiques. ADP cherche également à renforcer les accès aux aéroports parisiens, afin de pouvoir absorber la croissance du trafic à venir : le groupe est très impliqué dans les projets CDG Express et Grand Paris Express. Je vous rappelle à ce sujet que le Premier Ministre a annoncé, le 9 juillet dernier, que trois lignes seraient mises en service dès 2024, avec 3 ans d'avance sur le calendrier arrêté en 2013. Il s'agit de la desserte d'Orly par la ligne 14, de la ligne 18 entre le pôle de Saclay et Orly et de la future ligne 17 qui reliera le nord de la capitale à Paris-CDG (avec également une nouvelle gare à l'aéroport du Bourget). Ces réalisations sont essentielles pour la candidature de la France à l'exposition universelle 2025.

Je ne reviens pas sur la situation d'Air France, qu'Alexandre de Juniac a longuement évoquée la semaine dernière devant notre commission. Il s'est d'ailleurs montré plutôt rassurant quant à la pérennité du groupe, en insistant sur la force de son réseau intercontinental et l'amélioration de sa situation financière, malgré les 340 millions d'euros perdus en raison de la grève. Je tiens simplement à souligner deux choses. D'une part, l'importance que l'on accorde au sort d'Air France est liée à la particularité de la structure du transport aérien en France, articulée autour d'un poids lourd et de quelques dizaines de petites ou moyennes entreprises qui exploitent des niches de marchés. D'autre part, il faut bien garder à l'esprit que le transport aérien est structurellement une activité dont la profitabilité est faible, inférieure à 5 % en général, et qui dépend fortement des aléas de la conjoncture. Les transporteurs sont particulièrement affaiblis par les différentes crises économiques et géopolitiques qui se succèdent depuis 2008 : crise financière et crise de la zone euro, instabilité au Sahel, printemps arabes, volcan islandais, crise nucléaire japonaise, etc.

À cela s'ajoute un problème de compétitivité-coût analysé par le récent rapport du groupe de travail « Compétitivité du transport aérien français » présidé par le député Bruno Le Roux, remis au Premier Ministre le 3 novembre dernier. Ce rapport propose plusieurs pistes allant de la simplification administrative à la limitation des droits de trafic pour les compagnies du Golfe en passant par une révision de la fiscalité du secteur. Ces pistes ne sont d'ailleurs pas nouvelles, comme le reconnaît Bruno Le Roux, mais font l'objet d'un fort consensus au sein de la profession.

Parmi celles-ci, on peut notamment relever l'idée d'affecter la totalité de la taxe d'aviation civile (TAC) au budget annexe afin que ce prélèvement spécifique au transport aérien, reste affecté à ce secteur. A l'heure actuelle, 19,09 % de TAC sont affectés au budget de l'État sans raison apparente autre que financière, ce qui correspond à un montant de 88 millions d'euros prélevés sur le secteur aérien. En parallèle, Bruno Le Roux propose d'utiliser cet argent pour exonérer les passagers en correspondance du paiement de la taxe. Il s'agit en effet d'une singularité française, qui détourne des flux du hub parisien au profit de l'aéroport d'Amsterdam notamment. Je suis favorable à cette évolution, qui implique certes un effort financier de l'État non négligeable, mais qui n'est pas démesuré par rapport à de nombreux autres soutiens sectoriels.

Une autre proposition consiste à faire évoluer l'assiette de la taxe de solidarité - dite « taxe Chirac » -, prélevée sur les billets d'avion pour financer l'aide aux pays pauvres. La France est le seul pays d'Europe à l'avoir adoptée et le pavillon français ne peut plus supporter cette taxe dans un environnement devenu fortement concurrentiel. Pour cette raison, le rapport Le Roux propose d'asseoir la taxe de solidarité sur une toute autre assiette, celle de la grande distribution, une activité non délocalisable, peu soumise à la concurrence étrangère, qui bénéficie très largement du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) et qui n'est pas sans lien avec la mondialisation des échanges. Il est également suggéré d'envisager une augmentation de la taxation du secteur bancaire, via une hausse du plafond de la part de la taxe sur les transactions financières.

Le rapport Le Roux plaide également en faveur d'une modération des redevances aéroportuaires que les compagnies paient à Aéroports de Paris (ADP), dont Air France représente plus de 50 % du trafic. J'adopterai personnellement une attitude plus neutre. Des négociations sont actuellement en cours pour définir l'équilibre des relations entre ADP et Air France, dans le cadre de ce que l'on appelle le contrat de régulation économique (CRE), dont la troisième mouture aura vocation à couvrir la période 2016-2020. Il n'est pas dans l'intérêt d'ADP de peser excessivement sur la compétitivité de son principal client, qui alimente le développement du hub parisien. En même temps, il est vrai que derrière ADP, l'Agence des participations de l'État (APE) est aux commandes, puisqu'elle détient encore 50,6 % du capital du groupe. Dans le contexte budgétaire actuel, celle-ci peut être tentée de pousser à la rentabilité de ses fonds propres. On se retrouve dans la situation délicate de la régulation d'un monopole naturel. Notre rôle n'est pas de prendre parti pour l'une ou l'autre entreprise, mais simplement de veiller à ce que la chaîne de valeur dans son ensemble reste équilibrée.

Je souhaiterais enfin aborder la question de l'industrie aéronautique, dont les performances atteignent de nouveaux records en 2013-2014, soit un chiffre d'affaires de 48 milliards d'euros en augmentation de 9 % par rapport à 2012, et le premier solde excédentaire de la balance commerciale française avec +22 milliards d'euros en 2013. Le secteur se porte si bien que les constructeurs se trouvent dans la situation enviée de ne pas produire assez pour des clients qui veulent être livrés rapidement. L'enjeu est alors de gérer leur croissance en assurant l'accompagnement de leurs sous-traitants.

Néanmoins, la concurrence s'intensifie dans ce domaine, à l'est comme à l'ouest. Le marché des avions de plus de 100 places est actuellement constitué du duopole formé par Airbus et Boeing. Mais des acteurs émergents, déjà présents sur de plus petits segments, font mine d'attaquer le marché des avions des plus de 100 places par le bas, c'est-à-dire en concurrençant les Airbus A320 et les Boeing B737. Je pense notamment au canadien Bombardier, au brésilien Embraer, au chinois COMAC, au russe UAC ou au japonais Mitsubishi.

Il ne fait aucun doute que d'ici 2020, de nouveaux avions moyen-courrier seront mis en service par ces concurrents émergents, au premier rang desquels figure la Chine. Or, l'A320 est aujourd'hui le produit-phare d'Airbus, dont il représente 75 % des commandes : l'intensification de la concurrence sur ce segment rend dès lors d'autant plus nécessaires les efforts d'innovation afin de conserver une longueur technologique d'avance.

En ce qui concerne les avions long-courriers, la concurrence mettra encore plusieurs décennies à émerger en raison de barrières à l'entrée plus importantes. Si cette pression moindre est une bonne nouvelle, elle ne doit cependant pas occulter le fait que la gamme d'Airbus risque de traverser une période difficile à court terme : il n'est pas certain que le groupe parvienne à vendre encore beaucoup d'A330, alors que la production des nouveaux A330 NEO ne devrait démarrer que d'ici deux ou trois ans ; quant à l'A380, c'est déjà un modèle vieux de dix ans, désormais largement concurrencé par le B777X ; enfin, l'A350 est une belle réussite au niveau du carnet de commandes, mais il n'est pas encore en phase de production.

La menace la plus préoccupante le plus aujourd'hui vient de l'autre côté de l'Atlantique : car le gouvernement américain mène une politique très agressive de soutien à son constructeur Boeing. Après avoir longtemps cherché à faire condamner Airbus à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en raison des aides versées par les pays européens, les États-Unis s'affranchissent eux-mêmes du respect des règles de la concurrence et apportent un soutien budgétaire massif à Boeing. Sans compter que le niveau et la volatilité de l'euro pèsent sur la compétitivité-prix d'Airbus vis-à-vis de l'ensemble de la zone dollar, incluant les pays émergents qui sont désormais les principaux clients.

En outre, depuis de nombreux mois, à l'encontre de ce qu'ils exigent de leurs alliés européens, les États-Unis se rapprochent de l'Iran, dans la perspective d'une reprise imminente du commerce avec ce pays, dont la flotte d'avions est vétuste et presque intégralement à renouveler. Je m'inquiète de ce double discours américain, qui pourrait faire perdre délibérément l'avantage à Airbus, sur un marché extrêmement prometteur dans les années à venir. Souvenons-nous qu'Airbus doit son succès à son développement dans les interstices de la gamme Boeing : il ne faudrait pas que la situation se renverse à l'avenir !

Je finis sur une note plus positive. Nous avons pu assister, le 25 avril dernier, au premier vol de l'E-Fan, un prototype d'avion électrique biplace élaboré par Airbus. Ce prototype ouvre les portes d'une aviation silencieuse et propre. Il ne consomme que deux euros d'électricité pour une mission d'une heure, contre 36 à 40 euros de carburant pour un avion à moteur. Airbus vise la fabrication de 40 à 80 avions électriques par an à partir de 2017, destinés dans un premier temps à la formation des pilotes. Le point important est qu'il s'agit d'une première étape dans la production de générations successives d'avions électriques de taille croissante, jusqu'à la construction d'avions gros porteurs tout électriques à horizon 2030. Airbus a pris une longueur d'avance dans le domaine de l'« aviation verte », il est essentiel de la conserver. Je vous rappelle que l'industrie aéronautique est une économie de cycles longs : les succès actuels sont le fruit de politiques engagées il y a vingt ou trente ans, et les succès de demain résulteront des efforts d'aujourd'hui.

Il y aurait encore bien des sujets à aborder, mais pour le moment, au vu des éléments que je viens de vous présenter, et notamment de l'amélioration du budget de la DGAC, je vous propose un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

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