Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, la mobilité est aujourd'hui un droit à protéger, un besoin presque aussi primordial que de se nourrir ou d’avoir un toit, mais elle ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et surtout pas au prix de notre santé et de celle de nos enfants. S’il y a plusieurs manières de circuler ou de concevoir un moteur, il n’y a qu’une façon de respirer !
Notre groupe vous donc a proposé au printemps dernier une proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé. Je remercie celles et ceux d’entre vous qui ont activement pris part au débat auquel elle a donné lieu en commission et celles et ceux qui nous ont sollicités et nous ont fait part de leurs remarques, toujours constructives. Ces éléments m’ont amenée à déposer en septembre une nouvelle version du texte, retravaillée à la lumière de nos échanges et de ceux que j’ai pu avoir avec les différents acteurs du secteur.
C’est cette nouvelle version de la proposition de loi que nous examinons ce soir, relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote, ou NOx, et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles. Le dispositif a été largement revu. En outre, toujours dans le souci de prendre en compte vos remarques, j’ai déposé deux amendements supplémentaires, visant respectivement l’article 1er, qu’il s’agit de réécrire complètement, et l’article 3 ; j’aurai l’occasion de vous les détailler dans la suite de mon propos.
Tout cela prouve bien, s’il en était besoin, que notre groupe n’est ni obtus ni intransigeant. Nous sommes au contraire à l’écoute et prêts à accepter les remarques et les propositions, pourvu qu’on aille dans le bon sens. Notre objectif à tous est un objectif de fin et non de moyens. Ce qui nous importe, au bout du compte, n’est pas de nous arc-bouter sur notre idée initiale, mais de lutter contre le drame sanitaire des particules fines émises notamment par les moteurs diesel.
Le long combat des écologistes, dans toute leur diversité, contre la pollution de l’air, a donné et donne encore parfois lieu à un débat très animé.
Longtemps, ce débat a tourné autour de la question de savoir si le diesel était ou non dangereux. En 1988, les gaz d’échappement des moteurs diesel n’étaient classés que comme des « cancérigènes probables » par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS ; il n’y avait pas de certitude. Cependant, en juin 2012, le Centre international de recherche sur le cancer – une agence de l’OMS chargée d’évaluer les substances cancérigènes pour l’homme qu’elle classe en cinq catégories – a rangé les particules fines dans la première catégorie, celle qui regroupe les substances les plus dangereuses et dont il est prouvé qu’elles sont des « cancérigènes certains » pour l’homme.
La seule incertitude porte désormais, hélas, sur le nombre de morts prématurées que causent chaque année les particules fines. Des études – encore trop peu nombreuses – ont été réalisées. Le nombre annuel de morts prématurées en France serait compris entre 15 000, selon le résultat, que l’on sait sous-estimé, de l’Institut de veille sanitaire, et 42 000, selon l’autre résultat, que l’on sait surestimé, de la Commission européenne ; ces deux études ont été publiées en 2012. Même s’il n’y avait « que » 15 000 morts prématurées par an, cela représenterait quatre fois le nombre de morts sur la route, qui s’élève à environ 3 600. C’est énorme !
Reconnus responsables de cancers du poumon par l’OMS, les gaz d’échappement des moteurs diesel sont également à l’origine d’autres pathologies pulmonaires, comme certaines formes très sévères d’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, la BPCO. C’est que les particules entrent dans les poumons, et, plus elles sont fines, plus elles pénètrent profondément… Les particules très fines peuvent également passer à travers la paroi des bronches et entraver la circulation sanguine, ce qui favorise les accidents cardiovasculaires.
L’argument principal des partisans du diesel est que, après tout, les moteurs diesel ne sont pas les seuls à émettre des particules fines ; ils ne mériteraient donc pas cette forme d’acharnement. C’est vrai, la combustion du diesel n’est pas la seule source de production de particules fines : le chauffage, les industries et l’agriculture en produisent également ; il faudra que les politiques publiques se mobilisent contre ces sources de pollution de l’air.
Néanmoins, dans les grandes agglomérations, la part du trafic routier dans l’émission des particules fines est prépondérante ; les études sont convergentes en la matière. Toutes les mesures de qualité de l’air démontrent d'ailleurs que les niveaux de pollution augmentent à mesure que l’on se rapproche des axes de circulation. En Île-de-France, 51 % des émissions de particules fines sont imputables au trafic automobile. D’autres études internationales établissent clairement et objectivement cette corrélation.
On nous a rétorqué que le respect des normes européennes nous protégeait. Oui, il devrait nous protéger. L’Union européenne a fixé une valeur limite de 50 milligrammes de particules fines par mètre cube d’air, qui ne doit pas être dépassée plus de trente-cinq jours par an. Cependant, la réalité, c’est que trois millions de Franciliens, par exemple, habitent dans des zones où il n’est pas rare de dépasser cette valeur limite plus de deux cents jours par an. Or – les médecins nous alertent à ce sujet – ce ne sont pas seulement les pics de pollution qui posent problème, mais aussi, et peut-être même plus encore, les longues périodes durant lesquelles ce que l’on appelle la « pollution de fond » dépasse la valeur limite.
En France, quinze zones, dont douze agglomérations de plus de 100 000 habitants, seraient ainsi exposées à des dépassements réguliers de la valeur limite, ce qui vaut à la France d’encourir une amende importante dans le cadre de poursuites engagées par la Commission européenne. L’étude la plus récente – l’étude Aphekom – a conclu à une diminution de 3, 6 à 7, 5 mois de l’espérance de vie à 30 ans pour les habitants des grandes villes françaises concernées.
Récemment, un nouvel argument est apparu : tous ces constats seraient fondés, mais, heureusement, grâce aux filtres à particules dont sont équipés les nouveaux véhicules diesel, le problème n’en serait plus un.
Certes, un véhicule équipé d’un filtre diffuse moins de particules que s’il n’en avait pas, mais l’argumentation des constructeurs, qui vont parfois jusqu’à affirmer que le problème des particules est désormais réglé en raison de l’efficacité des filtres, est totalement fallacieuse.
D’abord, s’ils émettent moins de particules, les véhicules dotés de filtres émettent en revanche davantage de NOx, qui sont tout aussi nocifs.
Ensuite, de plus en plus de spécialistes s’accordent à dire que les cycles de conduite qui servent de référence aux tests d’homologation des véhicules ne sont absolument pas représentatifs des conditions réelles de circulation et ne permettent donc pas du tout de rendre compte de la réalité des émissions polluantes.
Enfin, les filtres n’arrêtent pas les particules les plus fines, qui sont aussi les plus dangereuses au plan sanitaire, car elles pénètrent plus profondément dans les tissus, ni les composés organiques volatils, qui, une fois dans l’air, s’agglomèrent pour reformer des particules fines secondaires, que les tests d’homologation ne prennent pas en compte, puisque la reformation a lieu plusieurs mètres derrière le véhicule.
À cet égard, et il faut en prendre conscience, la méthodologie des tests d’émission est une question centrale : on ne peut trouver que ce que l’on cherche ! Si les tests sont conçus pour ne pas mesurer la pollution aux endroits et dans les conditions où l’on trouve les polluants, il devient aisé de prétendre que le diesel ne pollue pas !
On voit bien qu’il y a un important travail de recherche technique à réaliser pour objectiver les phénomènes et s’assurer que la définition des normes et des méthodes de mesure concoure à révéler la pollution, et non à l’escamoter.
La vraie question, c’est de savoir qui est chargé de la recherche. Lors de nos auditions, nous nous sommes rendu compte que, pour l’instant, ce sont tout simplement les constructeurs automobiles eux-mêmes et leurs sous-traitants...
Mes chers collègues, je vous invite à aller sur le site de l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle, l’UTAC, qui se définit elle-même comme le partenaire privilégié des industriels tournés vers la compétitivité. On peut, par exemple, lire que cette entreprise, l’une des rares références techniques en la matière, participe par ailleurs activement à l’élaboration et à l’évolution des règlementations nationales et internationales applicables aux véhicules en matière d’émissions polluantes !
On voit bien qu’il y a là un problème à régler. Face à un problème sanitaire extrêmement préoccupant, un véritable scandale, la seule expertise disponible est directement liée aux industriels. Les pouvoirs publics n’ont en effet pas encore développé de recherche indépendante dans ce domaine. Il n’est cependant pas possible d’être à la fois juge et partie. L’article 2 de la proposition de loi vise à remédier à cette situation.
Une autre critique nous est parfois adressée : nous en voudrions aux classes populaires, auxquelles le diesel procurerait une solution bon marché pour se déplacer. En réalité, contrairement à ce que beaucoup pensent, les moteurs diesel sont plus chers à l’achat et à l’entretien, et ne deviennent rentables qu’après de très longues distances, dans la mesure où le carburant est subventionné. En outre, si le prix du diesel à la pompe est plus bas que celui de l’essence, c’est au prix d’un artifice, grâce à une niche fiscale qui coûte 7 milliards d’euros par an aux contribuables, donc aux ménages.
Certains nous accusent également de faire de l’écologie « punitive ». C’est une curieuse tournure d’esprit : en l’espèce, c’est manifestement l’absence d’écologie qui est punitive !
Punitive, elle l’est d'abord – ce point n’est pas suffisamment souligné – pour les professionnels surexposés, ceux qui conduisent des véhicules ou ont à intervenir dessus – garagistes, mécaniciens, commerciaux, transporteurs… –, ceux qui utilisent ces engins dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, de l’industrie et de l’agriculture, ou encore ceux qui travaillent sur la voie publique, aux péages et dans les parkings.
Punitive, elle l’est également pour les personnes âgées, dont la capacité respiratoire est diminuée, ainsi que pour les enfants. Parlez-en à Jocelyne Just, professeur de pédiatrie spécialisée en pneumo-allergologie et chef de service en allergologie au Centre de l’asthme et des allergies de l’enfant de l’hôpital Trousseau, qui m’a autorisée à citer son nom. Elle m’a chargée de vous dire qu’elle espère que nous répondrons à son alerte, qui est partagée par nombre de ses collègues.
Ce professeur constate en effet que les enfants sont particulièrement victimes de la pollution aux particules fines. De nombreuses études internationales récentes – je pourrais vous en donner la liste – montrent notamment que c’est pour les enfants de moins de trois ans que la situation est la plus critique. Ces enfants sont en effet particulièrement exposés : non seulement ils sont plus près du sol, et donc des tuyaux d’échappement, et respirent plus vite, mais, en outre, leurs alvéoles pulmonaires sont encore en développement.
Jocelyne Just observe également un développement préoccupant de maladies chroniques très graves, avec des enfants marqués à vie – elle insiste sur ce point. Son service a été débordé de façon stupéfiante lors du pic de pollution de mars 2014, mais c’est toute l’année que son équipe soigne des troubles de plus en plus nombreux et de plus en plus graves.
Mes chers collègues, est-il punitif de s’indigner du fait que le risque de faire de l’asthme soit accru de 20 % pour les enfants vivant près des axes routiers ? Est-il punitif de s’indigner du fait que ce soient souvent les plus modestes qui habitent près des grands axes de circulation, qui sont aussi les plus pollués ? Des études ont établi des corrélations ; il faut maintenant avancer.
On nous oppose également des arguments financiers et économiques. Il faut y répondre tout aussi sérieusement. Le choix du diesel – la France possède un des parcs les plus « diésélisés » du monde, puisque deux tiers de nos véhicules immatriculés fonctionnent au diesel – coûte très cher à nos finances publiques. Peut-être serez-vous sensible à cet argument, monsieur le secrétaire d'État chargé du budget.
J’ai déjà évoqué la niche fiscale de sept milliards d’euros par an. Le choix du diesel nous oblige également à importer une grande quantité de ce carburant, que nous ne pouvons pas raffiner en quantité suffisante. Lorsqu’elle était ministre de l’écologie, Delphine Batho estimait à 13 milliards d’euros par an l’impact de l’importation de gasoil sur le déficit de la balance commerciale. Enfin, les coûts induits sur la santé sont faramineux : selon un rapport du Commissariat général au développement durable de juillet 2012, les pathologies liées à la pollution de l’air coûteraient entre 20 et 30 milliards d’euros par an à la société.
Ce sont donc plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public qui sont engloutis chaque année par la filière diesel. Vous m’accorderez, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que l’on est plus proche d’une filière sous perfusion que d’une filière d’excellence !
La part du diesel baisse en France et en Europe. Tous les observateurs considèrent que cette baisse est tendancielle, puisqu’elle est principalement due au renchérissement du coût des motorisations et du carburant diesel ainsi qu’aux progrès des véhicules essence en matière de consommation. Comment imaginer que les constructeurs français, dont 60 % des véhicules à destination de l’Europe fonctionnent au diesel, pourront se tirer de cette situation, alors que cette part se situe entre 40 % et 50 % pour d’autres constructeurs européens ?
Il est donc temps, nous semble-t-il, d’investir de l’argent public pour aider les industriels à accomplir une véritable mutation en vue de la réalisation de véhicules plus sobres et moins polluants. Tout le monde y gagnerait.
Finalement, vous l’aurez compris, la question n’est plus tant de savoir si et quand nous devons agir, mais comment nous devons agir maintenant.
Je vous le dis d’emblée, ce texte n’est pas parfait, notamment parce que l’initiative parlementaire est encadrée. Ainsi, nous n’avons pas la possibilité, en tant que parlementaires, de proposer la création d’un fonds pour aider financièrement les personnes, souvent d’origine modeste, propriétaires de vieux véhicules diesel, les plus polluants, à remplacer leur véhicule par un autre, moins polluant.
Cependant, j’ai entendu récemment Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, indiquer qu’elle avait ce projet en tête. Le Gouvernement, lui, peut décider de créer un tel fonds, ce qui serait tout à fait complémentaire avec notre initiative.
Là encore, l’idée est de rassembler les énergies et les volontés, tant du côté parlementaire que du côté gouvernemental.
Notre texte a le mérite de contenir des propositions qui ne vont pas contre la filière automobile, au contraire.
Elles ne vont pas non plus contre l’action du Gouvernement ; au contraire, elles peuvent tout à fait la renforcer, la compléter.
Elles ne vont pas contre la qualité de vie des ménages ; au contraire, elles ont vocation à protéger leur santé.
L’article 1er, totalement réécrit, a pour objet de revoir les critères du malus automobile concernant les émissions de CO2, qui existent déjà pour lutter contre le dérèglement climatique, en y ajoutant une composante prenant en compte plus particulièrement les émissions de particules fines et de NOx.
Cet article présente l’avantage de prendre un dispositif qui existe déjà. Donc on ne complexifie pas la réglementation ; simplement, on l’enrichit, on l’infléchit pour répondre à ce drame sanitaire.
Par ailleurs, le dispositif du bonus-malus est moins brutal que la taxe que nous proposions dans la première version. Il s’agit d’une mesure beaucoup plus incitative pour encourager les bonnes pratiques et dissuader celles qui le sont moins.
À l’article 2, nous demandons un rapport pour avancer vers la mise en place en France d’expertises indépendantes en matière de pollution automobile.
Enfin, à l’article 3, il est proposé de créer un diagnostic d’éco-entretien.
Comme il me reste peu de temps de parole, j’en viens à la conclusion, avec quatre remarques.
Tout d’abord, je ne pense pas me tromper en disant que nous croyons tous en l’action politique, même lorsque l’on avance à petits pas. Mes chers collègues, dans un pays en pleine crise économique, sociale, mais aussi morale, dans lequel la population témoigne souvent d’une grande défiance vis-à-vis des acteurs politiques, montrons que nos paroles sont suivies d’actes concrets. Tel est le sens de cette proposition de loi.
Ensuite, je demande au Gouvernement de respecter l’initiative parlementaire. Elle est forcément contrainte et elle ne répond pas globalement au problème, mais, par cette proposition de loi, nous souhaitons enclencher une dynamique, peser dans le débat public grâce à une prise de position du Sénat, inciter à des comportements plus vertueux, contribuer à changer les mentalités et converger vers les initiatives du Gouvernement qui, lui, peut prendre des mesures beaucoup plus fortes et plus globales. C’est aussi une façon d’encourager nos concitoyens.
Par ailleurs, je voudrais remercier ceux de mes collègues qui ont déposé des amendements. Je les soutiendrai pratiquement tous, car ils participent de cette même logique d’avancer concrètement, même progressivement, par des actes. Ce qui compte, pour nous, c’est qu’un premier pas soit franchi et qu’une première initiative de santé environnementale, thématique qui a beaucoup de mal à être reconnue aujourd’hui en France, soit couronnée de succès.
J’en appelle à la responsabilité de chacun. Je pense que personne, parmi nous, ne veut vivre de nouveau des drames sanitaires, lesquels sont toujours la conséquence ultime de blocages dans la société qui interviennent lorsque l’on tente d’opposer emploi et santé. Je pense, par exemple, à l’amiante. Selon les chiffres de l’InVS, les vingt ans perdus pour interdire un produit déclaré cancérogène certain pour l’homme par l’OMS auront causé, en 2050, 100 000 morts. J’imagine que personne n’a envie de provoquer de telles catastrophes de nouveau !
Mes chers collègues, je vous en conjure, ne refaisons pas les mêmes erreurs. Il nous est possible de nous rassembler et de converger vers un objectif commun. J’espère que nous y parviendrons !