Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 19 novembre 2014 à 21h45
Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, rapporteur :

Je tiens à préciser que je supplée notre collègue Jeanny Lorgeoux, qui est l’auteur du rapport présenté en juin dernier devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. En outre, je me permets de vous signaler, madame Aïchi, que la proposition de loi au profit de laquelle Jean-Louis Carrère, alors président de notre commission, vous avait proposé de retirer un amendement a bien été soumise à l’examen du Sénat, puisqu’elle a été débattue en commission et qu’elle l’est ce soir en séance publique.

Notre collègue propose d’instaurer une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, au cours de laquelle seraient honorés les humanitaires et les journalistes qui ont payé du prix de leur vie leur désir de soulager la misère de leurs frères ou de servir la liberté d’expression.

À notre avis, la question qui nous est posée n’est ni juridique ni technique ; elle est, en réalité, hautement politique. La commission en a longuement débattu et, si elle n’a pas approuvé la proposition de Mme Aïchi, plusieurs sujets de convergence importants n’en sont pas moins apparus.

D’abord, la commission a souligné l’importance du travail de mémoire et de son renouvellement. Dieu sait si, de ce point de vue, l’année 2014 est tout à fait particulière.

Ensuite, nous sommes convenus que le tribut payé par les travailleurs humanitaires et par les journalistes était très lourd, en ces temps où des crises d’une violence inouïe éclatent sur tous les continents. Il est évidemment inutile de rappeler quels immenses services rendent les travailleurs humanitaires, en particulier auprès des 27 millions de personnes déplacées et des 10 millions de réfugiés. Songeons, mes chers collègues, qu’une personne sur six dans le monde souffre de la faim.

On estime que sept cents de ces travailleurs sont morts entre 1990 et 2000 – je ne dispose pas de données plus récentes. L’actualité nous a rappelé ce dont sont capables des organisations aussi barbares que Daech, qui s’en prennent aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.

Ces derniers jouent évidemment un rôle crucial au service de la liberté ; dans cet hémicycle, nous sommes tous particulièrement soucieux que les conditions d’exercice de cette liberté, toujours menacée, soient préservées. Car l’information est plus qu’une liberté : elle est le seul moyen d’alerter l’opinion publique et de mobiliser la communauté internationale, d’ouvrir la voie à la prise de conscience d’abord, et ensuite à l’action.

Malheureusement, cela fait des journalistes des cibles. Ainsi, le baromètre annuel établi par Reporters sans frontières est édifiant : 71 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions en 2013, principalement en Syrie, en Somalie et au Pakistan ; la même année, 87 autres ont été kidnappés, pour ne citer que ceux-là.

Enfin, nous avons constaté, au cours des dernières années, une inflation commémorative ; c’est sur ce point qu’a porté l’essentiel de nos discussions. Le diagnostic est très net, établi notamment par le rapport rendu en 2008 par la commission Kaspi.

La prolifération est patente pour ce qui est des journées internationales de l’ONU, puisqu’on n’en recense pas moins de cent vingt-sept, de la journée de la mémoire de la Shoah, le 27 janvier, à la journée internationale de la solidarité humaine, le 20 décembre. Je vous fais grâce d’un inventaire à la Prévert, Leila Aïchi ayant déjà signalé quelques dates.

Je rappelle simplement qu’il existe une journée mondiale de la radio, le 13 février, une journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, et une journée mondiale de l’aide humanitaire, le 19 août. Sans oublier la journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, fixée au 2 novembre, qui a été instaurée en décembre dernier, sur l’initiative de la France, à la suite de l’attentat qui a coûté la vie à deux journalistes français de RFI ; par la promotion de cette journée, notre diplomatie a voulu marquer tout le prix qu’elle accorde à la protection des journalistes.

Je n’oublie pas non plus le 21 septembre : cette date, que Mme Aïchi a choisie pour la journée qu’elle propose d’instaurer, est, depuis 1981, la journée internationale de la paix. Or cette journée est déclinée chaque année sur un thème particulier, qui, parfois, ma chère collègue, rejoint le sujet que vous avez soulevé.

À l’évidence, la multiplication nuit à la hiérarchisation. De fait, il peut sembler curieux de mettre sur le même plan la commémoration des victimes de la Shoah et, par exemple, la journée mondiale de l’habitat. Je n’ose même pas faire mention de la journée prévue pour la date d’hier : le 19 novembre, en effet, est la journée mondiale des toilettes… Elle a sûrement une signification, mais je doute qu’elle soit commémorée partout !

Quant au calendrier de commémorations propre à la France, il compte douze dates d’ordre historique, dont la moitié ont été instaurées tout récemment.

Quelle est donc la conséquence de cette inflation ? D’après la commission Kaspi, la banalisation et l’affadissement de ces journées. Nous sommes tombés d’accord avec ce constat.

Un second risque existe, même si cette remarque ne s’applique pas nécessairement à la présente proposition de loi : la communautarisation des commémorations, chaque association promouvant sa date et sa cérémonie, au point que les hommages finissent parfois par diviser au lieu de rassembler.

Nous avons également considéré que cette proposition de loi était faiblement normative, dans la mesure où elle ne prévoit ni jour férié, ni jour chômé, ni obligation de manifestations pédagogiques ; en réalité, sa portée est symbolique.

En définitive, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a tenu à affirmer l’importance du travail d’hommage et de commémoration et à rendre, en notre nom à tous, un hommage appuyé aux humanitaires et aux journalistes, tout en prenant en compte les analyses dont il ressort que l’inflation commémorative peut entraîner des effets négatifs.

Compte tenu de ces considérations, et eu égard au caractère faiblement normatif de la proposition de loi, elle n’a pas souhaité augmenter le nombre de jours légaux de commémorations et d’hommages. Toutefois, elle a souligné que la journée internationale de la paix, fixée par l’ONU le 21 septembre, pourrait constituer le cadre d’un hommage particulier rendu, même sans loi, aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.

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