Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 19 novembre 2014 à 21h45
Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer — Discussion d'une proposition de loi

Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Aïchi, mesdames, messieurs les sénateurs, trop de journalistes paient de leur vie leur engagement en faveur de la liberté de la presse. Au cours des derniers mois, Ghislaine Dupont, Claude Verlon, Camille Lepage, James Foley et Steven Sotloff ont ainsi perdu la vie.

Bien d’autres noms résonnent encore dans nos mémoires. Ainsi celui de Peter Kassig, assassiné il y a quelques jours par Daech dans les conditions les plus atroces. Il vient allonger encore un peu plus la liste des noms des travailleurs humanitaires tombés sous les coups du terrorisme aveugle et des attaques délibérées de groupes armés ou de régimes oppresseurs.

En 2013, 155 travailleurs humanitaires ont perdu la vie en accomplissant leur mission. L’année 2014 a vu et voit encore un déferlement intolérable de violence qui sème la mort.

Partout dans le monde, des femmes et des hommes œuvrent pour la paix. Partout dans le monde, des journalistes se battent, se mettent en danger et, parfois, meurent, pour informer et pour faire vivre la liberté de la presse, qui est au cœur de la démocratie.

Comme l’a rappelé le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, quand on tue un journaliste, on commet un double assassinat : contre une personne, bien sûr, mais aussi contre la liberté d’information.

Tuer un humanitaire, c’est tuer quelqu’un qui a fait du dévouement aux autres son métier et sa vocation. C’est toujours un acte d’une infinie lâcheté, qui tout à la fois supprime une vie et prive les populations civiles des secours et de la protection dont elles ont besoin pour tout simplement survivre sur les terrains de conflit.

Ces faits, qui figurent parmi les pires violations du droit, sont révoltants pour la conscience humaine. Je crois que c’est aussi cela que vous avez voulu signifier, madame Aïchi, en déposant cette proposition de loi. Si le Gouvernement comprend et partage son inspiration, et s’il souscrit à ses objectifs et à sa philosophie, il est en revanche plus réservé sur son dispositif. Permettez-moi de vous en exposer les raisons.

Je tiens tout d’abord à souligner que, en particulier grâce à l’action déterminée de la France, plusieurs initiatives ont été prises au niveau international, notamment depuis le dépôt de la proposition de loi, pour rendre hommage aux travailleurs humanitaires et aux journalistes et pour mieux protéger, concrètement et sur le terrain, leur travail et leur action. La journée que vous proposez d’instaurer, madame la sénatrice, risquerait donc de recouper d’autres journées et célébrations d’ores et déjà inscrites à l’agenda officiel, tant national qu’international, et de s’y superposer.

Ainsi, c’est sur l’initiative de la France qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes a instauré, à la fin de l’année dernière, une journée internationale pour la lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, célébrée le 2 novembre en mémoire de l’assassinat des journalistes de Radio France internationale.

Cette journée, qui vient d’être commémorée pour la première fois à New York en liaison avec l’UNESCO, s’ajoute à la journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai en France et dans le monde entier.

Il s’agit d’initiatives fortes destinées à rappeler les enjeux et à faire œuvre de mémoire et de souvenir.

Nous agissons aussi sans relâche pour promouvoir, à travers les textes adoptés par les Nations unies, la mise en place de mécanismes d’alerte précoce et de réponse rapide. De tels dispositifs permettent aux journalistes menacés de contacter les autorités afin de bénéficier des protections nécessaires.

Nous avons présenté ce mois-ci, à l’Assemblée générale des Nations unies, avec la Grèce, avec l’Autriche, une résolution qui demande aux États de prendre des mesures concrètes pour diligenter des enquêtes et poursuivre les auteurs de crimes contre les journalistes, dont 90 % restent impunis. En principe, le vote sur ce projet interviendra vendredi prochain, à New York.

Dès 2006, la France avait été à l’initiative de la résolution 1738 du Conseil de sécurité sur la protection des journalistes dans les conflits armés.

Les travailleurs humanitaires, eux aussi, sont malheureusement trop souvent victimes d’attaques ciblées, en nombre croissant partout dans le monde, au mépris des principes d’humanité, d’impartialité et de dévouement qui gouvernent leur engagement.

Ces travailleurs humanitaires bénéficient d’une protection particulière au regard des conventions de Genève qui régissent le droit international humanitaire.

En outre, les attaques délibérées contre les personnels participant à une mission d’aide humanitaire sont considérées comme des crimes de guerre au regard du statut de la Cour pénale internationale, à laquelle la France est partie.

Notre pays se mobilise dans toutes les enceintes pour renforcer leur protection, trop souvent battue en brèche, et faire respecter concrètement le droit international humanitaire.

Elle a œuvré, au Conseil de sécurité de l’ONU, pour l’adoption, le 29 août dernier, de la résolution 2175 sur la sécurité et la protection des travailleurs humanitaires, qui réaffirme les obligations de toutes les parties pour assurer le respect du droit international humanitaire et garantir la protection des travailleurs humanitaires.

En outre, notre pays commémore chaque année la journée mondiale de l’aide humanitaire, le 19 août, en souvenir de l’attentat qui avait frappé le siège des Nations unies à Bagdad.

C’est, chaque année, l’occasion pour la communauté internationale de saluer le dévouement et l’engagement des acteurs humanitaires qui portent secours aux populations dans le besoin et dans la détresse, au péril de leur vie, dans des conditions toujours plus difficiles.

J’ajoute que la France est aussi engagée quotidiennement, conformément à ses valeurs, au travers de l’ensemble de son réseau diplomatique, en faveur des droits de l’homme partout dans le monde.

La journée des droits de l’homme, le 10 décembre, ainsi que le prix des droits de l’homme de la République française, décerné chaque année, est aussi l’occasion de célébrer de grandes personnalités qui œuvrent en faveur des droits de l’homme.

La France continuera avec force à défendre la sécurité des journalistes et des travailleurs humanitaires, témoins des guerres et acteurs de la paix, des principes d’humanité et de dignité de la personne humaine. Les journées internationales pour la paix, la liberté de la presse, l’aide humanitaire, contribuent, par-delà les frontières, à rappeler qu’en exerçant leur mission, c’est la liberté même qu’ils défendent.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en partageant l’inspiration qui a présidé à l’élaboration de cette proposition de loi, le Gouvernement émet donc des réserves quant aux modalités retenues. C’est dans cet état d’esprit qu’il s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

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