Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un bref constat, d’ordre général. En effet, hormis les baisses de crédits des missions et la diminution des dotations aux collectivités territoriales, ce projet de loi de finances, au fond, ne comporte pas de grandes mesures phare. On pourrait, bien sûr, penser à la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, mais ce n’est, en réalité, qu’une nouvelle monture d’une mesure que nous avions déjà discutée en juillet dernier, avant qu’elle ne soit censurée par le Conseil constitutionnel.
S’il ne présente pas de mesures emblématiques, ce projet de loi n’en est pas moins empreint d’une ligne politique claire, cohérente – il faut reconnaître au Gouvernement ce mérite – : accroître les marges des entreprises par la diminution de leurs impôts et de leurs cotisations et tenter, dans le même temps, de réduire le déficit par la baisse des dépenses publiques.
Cette baisse des dépenses publiques, on le sait, a des conséquences inquiétantes, d'abord pour nos concitoyens, qui vont voir une partie de leurs prestations sociales, de leur retraite, de leurs allocations familiales ou de leur indemnisation du chômage remise en cause.
Les conséquences de cette baisse seront également inquiétantes pour notre économie, du fait du repli de l’investissement public, celui tant de l’État que des collectivités territoriales, soumises, pour cette année et les suivantes, à une cure d’amaigrissement drastique.
Cela est d’autant plus inquiétant que, si l’on en croit les derniers chiffres de l’INSEE, relatifs au troisième trimestre 2014, la croissance, maigre, mais bel et bien réelle, que la France a pu accumuler pendant cette période est essentiellement tirée par la commande publique. En effet, l’investissement privé, dont on aurait pourtant pu espérer, depuis la création du CICE voilà deux ans, qu’il vienne se substituer partiellement à l’investissement public est, lui aussi, en recul.
On le sait, les effets récessifs de cette politique, systématiquement sous-évalués, ne permettent pas à la France de respecter la trajectoire budgétaire à laquelle elle s’était engagée devant la Commission européenne. Pour 2014, on s’achemine même vers une augmentation de 0, 1 point du déficit, lequel s’établirait à 4, 4 % du PIB.
Le Gouvernement a choisi, pour compenser le non-respect de ses engagements, de donner à la Commission européenne des gages accrus de libéralisation du marché du travail, laquelle vient encore fragiliser un peu plus les salariés, alors que le caractère endémique du chômage leur impose déjà un rapport de forces extrêmement défavorable avec les employeurs.
Tous ces sacrifices sociaux et économiques servent à financer le pacte de responsabilité et de solidarité, nous dit-on. En effet, si l’on additionne les 41 milliards d’euros attribués aux entreprises et les 5 milliards d’euros de compensations consenties aux ménages, on n’est plus très loin des fameux 50 milliards d’euros d’économies que le Gouvernement impose à nos finances publiques.
Cette dépense a trouvé sa justification dans une supposée création d’emplois : des centaines de milliers d’emplois, d’après le Gouvernement ; des millions, selon le patronat. Alors que les mesures sont désormais en œuvre, plus personne ne se risque à avancer un chiffre. On nous a même expliqué, assez récemment, que la relation de cause à effet n’était pas aussi simple… Et pour cause !
En réalité, il est absurde de considérer que c’est l’entreprise qui crée unilatéralement des emplois. Sans même parler du fait que la puissance publique peut, elle aussi, créer de vrais emplois, une entreprise, comme l’avoue désormais M. Pierre Gattaz, embauche uniquement si elle a un carnet de commandes. Grande découverte ! L’offre et la demande sont, à l’évidence, inextricablement liées.
Ce pacte de responsabilité représente en fait un immense effet d’aubaine pour de nombreux groupes ; je pense en particulier au secteur de la grande distribution, dont les activités, par définition, ne sont pas, ou pas encore, délocalisables. J’espère d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, que la représentation nationale pourra disposer en temps voulu de la répartition précise, par secteurs d’activité, du volume de baisses de cotisations et de crédit d’impôt consentis dans le cadre du pacte de responsabilité.
Cette stratégie de compétitivité, et donc de compétition, par la baisse du prix du travail est sans issue. Jamais nous ne pourrons concurrencer sur ce plan les pays en voie de développement ! Quant à nos plus proches voisins, nous avons avec eux partie liée : l’Allemagne l’expérimente à ses dépens, et voit sa situation économique commencer à sérieusement se dégrader, malgré toutes les vertus dont elle s’est parée...
Enfin, par son uniformité et sa focalisation sur le prix du travail, cette stratégie fait une dramatique impasse sur ce qu’il est convenu d’appeler la compétitivité hors coûts, c’est-à-dire le positionnement stratégique de nos produits.
Il nous faut aujourd'hui prendre conscience de notre communauté de destin. Avec notre planète, d’abord : sa préservation conditionne la qualité de notre vie, quand il ne s’agit pas, tout simplement, de notre survie. Avec l’ensemble des peuples, ensuite : les drames humanitaires récurrents à Calais et à Lampedusa, ou, plus récemment, la propagation du virus Ebola devraient nous convaincre, sans même qu’il soit besoin d’invoquer les grands principes humanistes, de l’illusion, de l’aveuglement qu’il y a à penser que les économies dites développées pourraient se préserver indéfiniment une forme de prospérité isolée de la misère du monde.
Dans ce contexte, s’en remettre pour toute stratégie à la compétition est un contresens, spécialement dans le cadre de l’Europe politique. Nous ne sortirons pas de la crise en nous livrant à une compétition sociale avec l’Allemagne, pas plus qu’en nous adonnant à une compétition fiscale avec le Luxembourg !
À cet égard, je voudrais revenir sur la position défendue, pas plus tard qu’hier, par le premier ministre luxembourgeois M. Xavier Bettel, dont le nom n’est guère connu, mais dont les propos valent leur « pesant de cacahuètes » ! En plein scandale LuxLeaks, M. Bettel a en effet expliqué qu’il s’opposerait à toute harmonisation fiscale au sein de l’Europe. Il a même demandé aux services fiscaux des pays voisins d’arrêter la « chasse aux sorcières » contre les travailleurs frontaliers. Ces propos, à un moment où l’on veut faire avancer l’Europe, sont proprement scandaleux !
Cela justifierait, monsieur le secrétaire d’État, le lancement d’une offensive politique d’envergure de la part de la France, notamment en direction de l’Allemagne, pour que l’Europe avance enfin sur cette question de l’harmonisation des taux d’imposition s’appliquant aux bases mobiles. Si l’on veut éviter que le contrôle exercé par la Commission sur les déficits nationaux se résume à une vaine coercition, il devient urgent d’afficher des avancées substantielles en matière d’harmonisation fiscale et de coordination macroéconomique des États.
Si la coopération, plutôt que la compétition, à l’échelle européenne, est une condition nécessaire de la sortie de crise, elle ne suffira pas. II nous faut impérativement trouver la voie d’une économie politique, opérant des choix démocratiques quant aux objectifs de long terme et aux filières à soutenir.
Alors que l’on nous explique, encore aujourd’hui, que le nucléaire doit être soutenu parce qu’il produirait une électricité bon marché, sachez, monsieur le secrétaire d’État, que nous n’accepterons pas une recapitalisation d’Areva par des fonds publics sans, au minimum, une consultation du Parlement.
Cette économie politique se devrait d’être respectueuse de l’environnement. Il me faut reconnaître que le processus est amorcé. La création de la contribution climat-énergie, puis la mise en chantier de la transition énergétique, qui trouve une première traduction dans ce projet de loi de finances avec la mise en place du crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, nous poussent dans la bonne direction.
Toutefois, le retard de la France en matière de fiscalité écologique est tel que nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces premiers pas, d’autant que, dans le même temps, le budget de l’écologie recule une nouvelle fois. Il affiche, cette année, une baisse de 6 %, soit de plus de 400 millions d’euros. Depuis 2010, la réduction cumulée des crédits atteint 1, 65 milliard d’euros et plus de 1 600 emplois ont été supprimés. En matière de vertu budgétaire, s’il y a un ministère que l’on devrait féliciter, c’est bien celui de l’écologie !
En outre, la taxe poids lourds, qui représentait à son échelle un véritable changement de paradigme, est définitivement écartée, avec, de surcroît, un coût de dédit qui se chiffre en milliards d’euros.