L’augmentation incroyable du coût du crédit d’impôt recherche ces dernières années montre que ce dispositif est une réussite en termes de dépenses. J’espère qu’il est aussi une réussite en matière de recherche.
En amont de ce débat, il faut quand même se poser la question de l’efficacité du CIR. C’est devenu une ritournelle, française et surtout européenne, de dire qu’il n’est pas possible, dans une société en pleine mutation, de redynamiser l’économie sans effectuer d’importants investissements en matière de recherche et d’innovation. Je note que, auparavant, on parlait de « recherche et développement » ou de « recherche et technologie », le terme « innovation », concocté à Bruxelles, fait désormais florès dans tous nos textes…
Quels que soient les efforts que nous ferons sur le coût du travail, nous ne pourrons jamais rivaliser avec les pays en voie de développement. C’est donc bien grâce à la recherche et à l’innovation que nous parviendrons à améliorer la compétitivité de notre industrie. Reste que s’il s’agit d’une condition nécessaire, cette politique, que je qualifierai d’« horizontale », doit impérativement s’accompagner d’une politique verticale. À quoi sert-il d’avoir des chercheurs de pointe dans les domaines des nouvelles technologies, des biotechnologies ou de la transition énergétique si nous ne sommes pas capables de créer les filières industrielles qui embaucheront de nombreux salariés ?
J’ajoute qu’il y a un peu moins de deux ans, au moment où l’Irlande assurait la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, la commission des affaires européennes du Sénat a accueilli l’ambassadeur d’Irlande et son équipe. Naturellement, j’ai un peu attaqué l’ambassadeur sur le dumping fiscal pratiqué dans son pays. Il m’a écouté bien sagement et m’a répondu que les règles fiscales y étaient effectivement très avantageuses et incitaient des entreprises d’un peu partout en Europe à installer leur siège chez eux. En revanche, ajouta-t-il, à cause du CIR, tous nos chercheurs sont en train de plier bagage pour la France !
Quand on cherche à défendre la France et qu’on plaide pour l’harmonisation fiscale, c’est tout de même difficile de s’entendre dire que nous avons parfois nous-mêmes tendance à faire du dumping fiscal, tout à fait légalement du reste. L’Union européenne encourage en effet les dispositifs du type crédit d’impôt recherche, comme me l’a précisé le précédent commissaire européen chargé de la concurrence, M. Joaquín Almunia, lors d’une audition. Une large part du programme Horizon 2020 est précisément consacrée à la recherche. En revanche, dès qu’il s’agit de crédits d’impôt sectoriels, la même Union européenne est beaucoup plus restrictive. D’ailleurs, si j’ai bien compris, l’une des raisons de la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, c’est justement qu’il n’était pas conditionné, pas sectorisé.
Quoi qu’il en soit, la politique qui consiste à financer de la recherche pour de la recherche sans se donner les moyens de la faire fructifier soulève un véritable problème. Plutôt que de s’imaginer que, avec beaucoup de chercheurs et beaucoup de moyens, les choses vont repartir toutes seules, repensons ce système et posons un peu plus de conditions.
Les politiques horizontales sont certes utiles, comme je l’ai dit, mais, sans politique verticale, c’est-à-dire sans développement des filières industrielles, ce sera le tonneau des Danaïdes. Une fois formés, et bien formés, nos chercheurs iront à l’étranger dans des filières technologiques ou industrielles, qui, grâce à des coûts du travail plus bas ou à un certain nombre d’avantages du type crédit d’impôt sectoriel, pourront se permettre de les payer bien mieux que chez nous. C’est d’ailleurs déjà le cas dans de nombreux domaines. Je pense au secteur du jeu vidéo, au sujet duquel j’ai rédigé un rapport l’an passé avec mon collègue Bruno Retailleau. On constate aujourd’hui que les entreprises françaises du secteur finissent par partir pour le Canada, les États-Unis ou l’Asie. Pis, depuis quelque temps, ce sont toutes nos sociétés de post-production numérique, je pense notamment à Technicolor, anciennement Thomson, qui vont s’installer au Canada.
Oui, aidons la recherche, ne soyons pas restrictifs, mais, dans le même temps, tâchons d’avoir une cohérence d’ensemble dans le renouvellement de notre industrie !