Cette question vient déjà de faire l’objet d’un long débat ; il en fut de même en commission. Tous les orateurs ont exprimé leur crainte face à la baisse de dotation proposée par le Gouvernement, une diminution de 3, 67 milliards d’euros dans l’état initial du projet de loi de finances. Le débat portait sur ce qu’il convenait alors de faire.
La position de la commission, que traduit l’amendement que je défends à l’instant en son nom, est un appel à la responsabilité de part et d’autre.
D’un côté, les collectivités doivent faire preuve de responsabilité. En effet, les concours financiers de l’État, de plus de 36 milliards d’euros, sont élevés et les collectivités ne doivent pas être exemptes de participer à l’effort. Concrètement, il ne s’agit pas de refuser toute baisse de dotation. Je me rappelle toutefois les cris entendus lorsque l’on parlait d’une diminution de 200 millions d’euros. Nous sommes loin aussi de l’une des soixante propositions reprise lors du discours de Dijon, selon laquelle il n’était pas du tout question de baisser les dotations aux collectivités. Les temps ont sans doute changé, on est revenu à plus de réalisme, et le sens de la responsabilité conduit à dire que les collectivités doivent participer à l’effort et accepter une réduction de leur dotation.
D’un autre côté, si l’on veut être pleinement responsable, l’État doit aussi assumer une part de responsabilité.
Accepter de faire preuve de responsabilité signifie, pour l’État, mesurer les conséquences des baisses de dotation. Sur ce point, la commission a eu un long débat et s’est montrée sensible à deux risques.
Le premier, qui est souligné dans le rapport, concerne la baisse de l’investissement public local. Cela a été dit et redit, l’investissement public ne représente que 2, 1 % des dépenses publiques de l’État. Donc, plus des trois quarts sont assurés par les collectivités et, si les dotations baissent, nécessairement, les investissements diminueront. Vous l’avez tous relevé, mes chers collègues, le rapport l’indique, comme d’autres travaux. Je pense notamment à ceux de la Banque Postale, selon lesquels cette baisse des dotations aura pour conséquence un repli de l’investissement public de 7, 4 %. Mais je pourrais aussi citer ceux de la Fédération nationale des travaux publics, qui chiffre le risque en termes d’emplois, estimant à plus de 37 000 le nombre d’emplois menacés par la baisse de l’investissement, ou encore le tout récent rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
J’y insiste, le premier risque est la baisse de l’investissement des collectivités, qui sera une conséquence mécanique de la diminution des dotations de l’État puisque les collectivités se trouvent soumises à des contraintes – GVT, ou glissement vieillissement technicité, et autres mesures décidées unilatéralement – qui, quels que soient les efforts de gestion accomplis, conduisent naturellement à une augmentation de leurs dépenses.
Le second risque est une hausse des taux des impôts locaux estimée à plus de 5 milliards d’euros. Les chiffres du Gouvernement le démontrent d’ailleurs. Autrement dit, même si elles ne le veulent pas, les collectivités seront contraintes d’augmenter ces taux. Apparaîtra alors un risque de transfert de l’impopularité des augmentations d’impôt vers les collectivités.
Tels sont les deux principaux arguments qui incitent la commission à la prudence avant d’envisager une baisse d’une telle ampleur : 3, 67 milliards d’euros l’année prochaine, 11 milliards sur trois ans, auxquels il convient d’ailleurs ajouter la somme de 1, 5 milliard d’euros déjà engagée.
Concrètement, la commission, guidée par ce sens des responsabilités dont je parlais, accepte que les collectivités participent à l’effort… mais à la condition que l’État fasse, lui aussi, preuve de responsabilité en n’imposant pas en permanence de nouvelles charges aux collectivités.
En la matière, nous nous sommes référés à un travail relativement incontestable : celui de la Commission consultative d’évaluation des normes. Je vous rappelle que cette instance, dont le secrétariat est assuré par la direction générale des collectivités locales, est pluraliste. Elle a établi un rapport qui n’est guère contesté dans lequel elle considère que le coût des mesures qui s’imposent aux collectivités locales – elle les a examinées avec précision – s’élevait pour celles-ci à plus de 1, 2 milliard d’euros en 2013. Sont visées la réforme des rythmes scolaires, les normes relatives à la fonction publique, les normes en matière sociale et autres, un ensemble de normes issues de plus de deux cents textes.
De ce fait, la commission propose de défalquer de la baisse de dotation retenue par le Gouvernement le coût des charges que l’État a transférées aux collectivités au titre de l’année 2013. L’examen dans quelques instants de sous-amendements permettra de compléter la réflexion.
Mes chers collègues, je vous invite à aller dans le sens de l’amendement de la commission et non à vous rallier à la proposition qui vise à étaler la diminution dans le temps, sur quatre ans au lieu de trois ans. En effet, pourquoi alors ne pas prévoir un étalement sur cinq, voire six ans ?
La position de la majorité de la commission tend, à mon avis, à responsabiliser bien davantage. Nous avons eu de nombreux débats sur le sujet ; je pense notamment au rapport Doligé ou au rapport Lambert-Boulard. Les gouvernements successifs se sont engagés à de multiples reprises à cesser de mettre de nouvelles normes à la charge des collectivités, mais ces beaux engagements n’ont pas trouvé de traduction dans les faits. Chaque jour, on continue à produire de la norme qui s’impose aux collectivités et qui concerne les certificats phytosanitaires pour les employés communaux un jour, la dangerosité du travail ou la pollution de l’air dans les classes le lendemain. Ces engagements n’ont aujourd’hui qu’une valeur de pétition de principe.
En abordant la question d’un point de vue budgétaire, c’est-à-dire en traduisant concrètement dans les chiffres le coût de ces normes – il y a pour cela la Commission consultative d’évaluation des normes, mais aussi le comité des finances locales, des associations, notamment l’Association des maires de France qui se réunira à partir de demain –, nous inciterons à plus de responsabilité et il sera peut-être, enfin, mis un coup de frein réel à la norme.
Je suis sans doute un peu long dans la présentation de cet amendement, mais je vous invite vraiment à le soutenir, mes chers collègues. Il a été adopté par la majorité de la commission. Il s’agit d’un amendement de responsabilité : responsabilité des collectivités, qui acceptent de participer à l’effort ; responsabilité de l’État, qui prend en considération l’incidence des baisses de dotation sur les taux d’imposition et sur l’investissement, et n’impose pas de nouvelles normes sans tenir compte de leur coût.
Donc, en défalquant le coût occasionné par la mise en œuvre de ces normes, nous devrions aboutir à amoindrir de 1, 2 milliard d’euros la baisse des dotations à l’égard des collectivités.
Nous aurons ce débat par la suite, mais je dirai un mot sur la péréquation, sujet d’ailleurs déjà abordé par certains. Le présent amendement est aussi un amendement de prudence à l’égard de la péréquation, car nous sommes dans une phase intermédiaire.
Tout d’abord, élément nouveau, nous allons connaître une baisse de dotation sans précédent : après 200 millions d’euros, 1, 2 milliard d’euros, nous passerons à 3, 67 milliards d’euros l’année prochaine et à 11 milliards d’euros sur trois ans. On change de dimension et il convient, bien évidemment, d’en mesurer l’incidence sur chaque collectivité.
Ensuite, François Marc l’a dit, on nous annonce différentes réformes, dont celle de la DGF, par exemple. Est-ce bien le moment, sans en avoir mesuré les conséquences pour chaque collectivité – et je pense aux propos de Michel Bouvard et de Philippe Dallier – de faire monter en puissance la péréquation tant verticale qu’horizontale ? Nous parlerons du FPIC lors de l’examen de la deuxième partie du présent projet de loi, mais la commission appelle à la prudence dans le domaine de la péréquation verticale.
Il s’agit non pas de revenir sur la péréquation, mais de veiller à garder le rythme, à ne pas l’augmenter. À mon sens, il serait extrêmement imprudent en cette période de grande incertitude, alors que nous n’avons pas encore pleinement mesuré les conséquences des choix qui seront faits en matière de baisse de dotation, de faire monter en puissance la péréquation au-delà de ce qui serait raisonnable.
C’est la raison pour laquelle la commission propose un mécanisme qui réduit l’effort supplémentaire de moitié.
Tel est le sens de son amendement, qui est marqué au sceau de la responsabilité. Il devrait avoir une vertu pédagogique à l’égard des différents ministères qui sont, tous les jours, producteurs de normes.