Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 26 novembre 2014 : 4ème réunion
Loi de finances pour 2015 — Programme « administration pénitentiaire » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur pour avis :

Le programme n° 107 « Administration pénitentiaire » représente 43 % des crédits de la mission justice.

Le projet de budget pour 2015 s'établit à 3,39 milliards d'euros en crédits de paiement et 4,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Avec une croissance des crédits de paiement de 5 %, il marque une certaine progression des moyens alloués à l'administration pénitentiaire dans un contexte d'augmentation continue du nombre de personnes placées sous main de justice. L'augmentation significative des autorisations d'engagement s'explique principalement par la renégociation prévue pour 2015 de quatre marchés de gestion déléguée qui arrivent à échéance et par le renouvellement de marchés, notamment de restauration, dans des établissements en gestion publique.

Le plafond d'autorisation des emplois augmente de 528 ETP. Je salue l'effort consenti par le Gouvernement avec la création de 300 emplois destinés aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), de 128 emplois pour l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires et de 100 emplois au titre du comblement des postes vacants de surveillants en établissement. Néanmoins, cette satisfaction est relativement mesurée. À la maison d'arrêt de Fresnes, j'ai récemment pu constater qu'il y avait encore 65 postes de surveillants vacants. Si la promesse de M. Ayrault de 1 000 postes dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation est tenue, on considère qu'il y aura effectivement entre 600 et 700 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

J'ai examiné dans mon rapport deux sujets particulièrement importants : d'une part l'encellulement individuel et d'autre part la question de l'islam radical en prison.

Concernant les indicateurs, j'avais suggéré, avec notre collègue député Sébastien Huygue, la création d'un indicateur portant sur le délai de convocation des personnes devant les SPIP. Reprenant partiellement cette proposition, un nouveau sous-indicateur permet de mesurer la part de personnes placées sous main de justice effectivement prises en charge par le SPIP dans les délais de convocation suivant leur libération.

Je signale également la disparition de deux indicateurs, à savoir le taux de formation à la prévention du suicide et le taux d'occupation des unités hospitalières. Ces derniers ne reflétaient pas véritablement une performance.

Je note néanmoins la persistance de lacunes dans l'évaluation de la performance de l'administration pénitentiaire, notamment l'absence d'indicateur sur les violences commises en détention entre les personnes détenues alors même que l'administration pénitentiaire établit un tableau de bord national du nombre d'agressions entre codétenus. Je souligne également la création d'un nouveau sous-indicateur relatif au taux d'agressions physiques et verbales contre le personnel, qui complète le sous-indicateur du taux d'agressions contre un personnel ayant entrainé une interruption temporaire de travail.

En outre, j'exprime mon inquiétude concernant le manque d'ambition des prévisions retenues pour les indicateurs. Ainsi, le pourcentage de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée, qui s'établissait à 37,7 % en 2012, est prévu à 29,5 % pour 2015. Le taux d'occupation des places en maison d'arrêt, après une réalisation de 124 % en 2011, est prévu à 135 % pour 2015.

Quant à l'augmentation générale des moyens de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, elle masque d'importantes disparités.

Je regrette ainsi la diminution des crédits de fonctionnement consacrés à la santé des personnes détenues ainsi qu'à l'école nationale d'administration pénitentiaire alors même que d'importants recrutements s'opèrent.

Parallèlement, les dépenses de fonctionnement liées au travail des détenus ainsi qu'aux aménagements de peines des personnes placées sous main de justice diminuent. De même, si votre rapporteur salue la légère augmentation des dépenses de formation des nouveaux arrivants dans les SPIP, il ne peut que s'étonner de la très faible hausse des crédits destinés au placement à l'extérieur (+0,1 million d'euros) et aux subventions aux associations pour des politiques d'insertion en faveur des personnes placées sous main de justice. Au regard de ces montants, votre rapporteur s'interroge sur la réelle détermination de l'administration à mettre en oeuvre sa réforme.

En investissement, la croissance des autorisations d'engagement s'explique presque exclusivement par le lancement de nouvelles opérations immobilières, principalement en outre-mer. Ainsi, seront lancées les constructions du centre pénitentiaire de Lutterbach en Alsace mais aussi le centre de semi-liberté de Martinique, d'établissement à Koné en Nouvelle-Calédonie ainsi que la rénovation de la maison d`arrêt de Basse-Terre et du centre pénitentiaire de Faa'a en Polynésie française. Cette priorité s'impose au regard de la situation très dégradée de l'immobilier pénitentiaire ultra marin.

Les crédits de paiement prévus pour les dépenses d'investissements en 2015 sont tout aussi nécessaires. 64 % d'entre elles seront consacrées aux opérations de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) qui achèvera le programme de construction « 13 200 » avec notamment la reconstruction du centre pénitentiaire de Draguignan et la construction de la maison centrale de Vendin-le-Vieil. L'agence poursuivra également le programme de construction du triennal 2013-2015, qui comprend surtout les opérations de réhabilitation de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et la construction du centre pénitentiaire de Beaumettes 2, ainsi que la construction du centre pénitentiaire de Papéari en Polynésie française et l'extension du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.

L'augmentation des crédits de personnel demeure modeste. Les 1000 postes « SPIP » sous trois ans ne concerneront pas les seuls conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Outre 650 postes de conseillers, devraient être créés 70 postes d'encadrement, 100 de personnels administratifs, 70 de psychologues et 110 d'assistants de services sociaux. Aujourd'hui, le nombre de dossiers suivis par conseiller est en moyenne de 100, avec des pointes à 150. Nous n'avons pas d'indicateur sur ce point alors que cela serait pertinent.

Nous sommes également confrontés au problème aigu de manque de logements de fonction des personnels notamment en région lyonnaise et parisienne où il est relativement fréquent que les personnels de surveillance dorment dans les véhicules.

Je note aussi une inadéquation durable entre la population carcérale et les capacités du parc immobilier. Au 1er octobre 2014, le nombre de personnes écrouées détenues est de 66 494, soit une diminution de 1,2 % par rapport au 1er octobre 2013. Au sein de cet effectif, on compte 17 090 prévenus, 2 487 femmes et 712 mineurs.

Mais cette légère diminution intervient dans un contexte d'accroissement constant de la population carcérale. La durée moyenne en détention a augmenté entre 2007 et 2013 de 33 %, alors que la durée moyenne en détention provisoire est restée stable. On constate aujourd'hui une stabilisation du nombre de peines d'emprisonnement ferme prononcées par les juridictions ainsi qu'un recours de plus en plus important aux aménagements de peines.

La dégradation des conditions de détention est particulièrement liée à la promiscuité née de la surpopulation carcérale. En 2013, on dénombre 4 192 agressions physiques et 15 880 agressions verbales contre le personnel, soit un niveau légèrement en baisse par rapport à l'année précédente. De même, les violences entre codétenus sont en légère baisse passant de 8 861 en 2012 à 8 560 en 2013.

Je signale une trop légère baisse des suicides (97 en 2013 contre 106 en 2012), mais aussi une baisse plus nette des actes suicidaires (en comptant les tentatives de suicide) : on dénombre 2 048 actes suicidaires en 2011, 1 777 en 2012 et 1 488 en 2013.

On note des taux élevés d'occupation des établissements pénitentiaires mais qui recouvrent de fortes disparités. Au 1er octobre 2014, les établissements disposaient de 58 054 places opérationnelles. Le taux d'occupation s'élevait à 114,5 personnes détenues pour 100 places. À titre de comparaison, il s'élevait à 118,2 au 1er août 2013.

Ce phénomène n'existe que dans les maisons d'arrêt puisque les établissements pour peine sont soumis à une règle non écrite numerus clausus. Au 1er octobre 2014, le taux d'occupation moyen dans les maisons d'arrêt était de 131,5 personnes pour 100 places. Je cite Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation des libertés : « Les maisons d'arrêt, à la différence des établissements pour peine, mais aussi des maisons de retraite ou des hôpitaux, soient les seuls lieux où il y a encore de le place même quand il n'y en a plus. » Aussi, dans ce contexte, a-t-elle proposé l'interdiction immédiate des matelas au sol par voie réglementaire ou législative.

Je note que la surpopulation dans les maisons d'arrêt s'aggrave par le maintien de personnes condamnées au-delà du délai maximal de deux ans. Au 1er juillet 2014, environ 22 % des 29 279 personnes condamnées détenues en maison d'arrêt (soit 6 335 personnes) purgeaient une peine supérieure à 2 ans d'emprisonnement.

Les taux d'occupation marquent d'importantes disparités géographiques. Ainsi, le centre de détention de Lannemezan a un taux d'occupation de 40 %, celui de Béziers 100 %. De même, le quartier maison centrale d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a un taux de 41,7 % alors que celle d'Ensisheim atteint 96,5 %. On relève de tels écarts entre les maisons d'arrêts d'Aurillac (54,2 %), et celle de la Roche-sur-Yon (230,8 %).

La surpopulation carcérale touche particulièrement l'Outre-mer avec une sur occupation parfois proche de 300 % dans certains établissements.

Au-delà de l'indicateur du taux d'occupation qui présente de nombreuses limites, M. Pierre-Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, mesure le nombre de « détenus en surnombre » : selon ses calculs, ils étaient 12 164 au 1er octobre 2014. Il tient compte dans ses calculs des places non occupées dans les établissements pour peine.

Selon l'administration pénitentiaire, au 28 octobre 2014, 26 341 détenus sur 67 806 étaient seuls en cellule, soit 38,85 % de la population carcérale. Ainsi, plus de 40 000 détenus sont en mesure aujourd'hui de demander à bénéficier de l'encellulement individuel auquel ils ont droit depuis la fin du moratoire, voici quelques jours. Le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) faisait observer que « la moitié des problèmes dans les maisons d'arrêts sont dus à l'encellulement collectif».

Je ne suis pas pour autant favorable au numerus clausus. J'estime qu'il porte atteinte au principe d'égalité et au principe d'individualisation de la peine. La réflexion sur l'encellulement individuel s'insère dans une réflexion globale sur l'organisation de la détention.

Je signale un développement très irrégulier des aménagements de peine avec une sous-utilisation considérable des quartiers de semi-liberté, une stagnation des placements à l'extérieur et une augmentation assez vertigineuse du placement sous surveillance électronique fixe.

Concernant l'étude de l'islam radical, je souhaite souligner plusieurs éléments. M. Moulay el Hassan el Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons, me faisait observer que le problème du radicalisme était lié à l'ignorance. Plus il y aura d'enseignements sur la pratique religieuse, plus on pourra lutter valablement contre ce phénomène. Il observait aussi qu'il y avait peu d'aumôniers musulmans : ils sont aujourd'hui 169 pour 673 aumôniers catholiques, 326 aumôniers protestants, 70 aumôniers israélites. Ce faible nombre s'explique aussi par le faible niveau des aides financières. À la différence des aumôniers militaires ou des établissements hospitaliers, les aumôniers de prison ne sont pas des agents publics. Il constatait néanmoins une baisse des tensions religieuses dans les établissements lorsqu'un aumônier compétent, désigné par l'aumônier national après accord du directeur interrégional des services pénitentiaires, venait remplacer un imam autoproclamé.

Dans la mesure où il y a une augmentation du budget et que les promesses sur les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sont tenues, j'émets un avis favorable.

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