La réunion

Source

Au cours d'une troisième réunion tenue dans l'après-midi, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Jean-René Lecerf sur le projet de loi de finances pour 2015 (Programme « Administration pénitentiaire »).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Le programme n° 107 « Administration pénitentiaire » représente 43 % des crédits de la mission justice.

Le projet de budget pour 2015 s'établit à 3,39 milliards d'euros en crédits de paiement et 4,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Avec une croissance des crédits de paiement de 5 %, il marque une certaine progression des moyens alloués à l'administration pénitentiaire dans un contexte d'augmentation continue du nombre de personnes placées sous main de justice. L'augmentation significative des autorisations d'engagement s'explique principalement par la renégociation prévue pour 2015 de quatre marchés de gestion déléguée qui arrivent à échéance et par le renouvellement de marchés, notamment de restauration, dans des établissements en gestion publique.

Le plafond d'autorisation des emplois augmente de 528 ETP. Je salue l'effort consenti par le Gouvernement avec la création de 300 emplois destinés aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), de 128 emplois pour l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires et de 100 emplois au titre du comblement des postes vacants de surveillants en établissement. Néanmoins, cette satisfaction est relativement mesurée. À la maison d'arrêt de Fresnes, j'ai récemment pu constater qu'il y avait encore 65 postes de surveillants vacants. Si la promesse de M. Ayrault de 1 000 postes dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation est tenue, on considère qu'il y aura effectivement entre 600 et 700 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

J'ai examiné dans mon rapport deux sujets particulièrement importants : d'une part l'encellulement individuel et d'autre part la question de l'islam radical en prison.

Concernant les indicateurs, j'avais suggéré, avec notre collègue député Sébastien Huygue, la création d'un indicateur portant sur le délai de convocation des personnes devant les SPIP. Reprenant partiellement cette proposition, un nouveau sous-indicateur permet de mesurer la part de personnes placées sous main de justice effectivement prises en charge par le SPIP dans les délais de convocation suivant leur libération.

Je signale également la disparition de deux indicateurs, à savoir le taux de formation à la prévention du suicide et le taux d'occupation des unités hospitalières. Ces derniers ne reflétaient pas véritablement une performance.

Je note néanmoins la persistance de lacunes dans l'évaluation de la performance de l'administration pénitentiaire, notamment l'absence d'indicateur sur les violences commises en détention entre les personnes détenues alors même que l'administration pénitentiaire établit un tableau de bord national du nombre d'agressions entre codétenus. Je souligne également la création d'un nouveau sous-indicateur relatif au taux d'agressions physiques et verbales contre le personnel, qui complète le sous-indicateur du taux d'agressions contre un personnel ayant entrainé une interruption temporaire de travail.

En outre, j'exprime mon inquiétude concernant le manque d'ambition des prévisions retenues pour les indicateurs. Ainsi, le pourcentage de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée, qui s'établissait à 37,7 % en 2012, est prévu à 29,5 % pour 2015. Le taux d'occupation des places en maison d'arrêt, après une réalisation de 124 % en 2011, est prévu à 135 % pour 2015.

Quant à l'augmentation générale des moyens de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, elle masque d'importantes disparités.

Je regrette ainsi la diminution des crédits de fonctionnement consacrés à la santé des personnes détenues ainsi qu'à l'école nationale d'administration pénitentiaire alors même que d'importants recrutements s'opèrent.

Parallèlement, les dépenses de fonctionnement liées au travail des détenus ainsi qu'aux aménagements de peines des personnes placées sous main de justice diminuent. De même, si votre rapporteur salue la légère augmentation des dépenses de formation des nouveaux arrivants dans les SPIP, il ne peut que s'étonner de la très faible hausse des crédits destinés au placement à l'extérieur (+0,1 million d'euros) et aux subventions aux associations pour des politiques d'insertion en faveur des personnes placées sous main de justice. Au regard de ces montants, votre rapporteur s'interroge sur la réelle détermination de l'administration à mettre en oeuvre sa réforme.

En investissement, la croissance des autorisations d'engagement s'explique presque exclusivement par le lancement de nouvelles opérations immobilières, principalement en outre-mer. Ainsi, seront lancées les constructions du centre pénitentiaire de Lutterbach en Alsace mais aussi le centre de semi-liberté de Martinique, d'établissement à Koné en Nouvelle-Calédonie ainsi que la rénovation de la maison d`arrêt de Basse-Terre et du centre pénitentiaire de Faa'a en Polynésie française. Cette priorité s'impose au regard de la situation très dégradée de l'immobilier pénitentiaire ultra marin.

Les crédits de paiement prévus pour les dépenses d'investissements en 2015 sont tout aussi nécessaires. 64 % d'entre elles seront consacrées aux opérations de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) qui achèvera le programme de construction « 13 200 » avec notamment la reconstruction du centre pénitentiaire de Draguignan et la construction de la maison centrale de Vendin-le-Vieil. L'agence poursuivra également le programme de construction du triennal 2013-2015, qui comprend surtout les opérations de réhabilitation de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et la construction du centre pénitentiaire de Beaumettes 2, ainsi que la construction du centre pénitentiaire de Papéari en Polynésie française et l'extension du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.

L'augmentation des crédits de personnel demeure modeste. Les 1000 postes « SPIP » sous trois ans ne concerneront pas les seuls conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Outre 650 postes de conseillers, devraient être créés 70 postes d'encadrement, 100 de personnels administratifs, 70 de psychologues et 110 d'assistants de services sociaux. Aujourd'hui, le nombre de dossiers suivis par conseiller est en moyenne de 100, avec des pointes à 150. Nous n'avons pas d'indicateur sur ce point alors que cela serait pertinent.

Nous sommes également confrontés au problème aigu de manque de logements de fonction des personnels notamment en région lyonnaise et parisienne où il est relativement fréquent que les personnels de surveillance dorment dans les véhicules.

Je note aussi une inadéquation durable entre la population carcérale et les capacités du parc immobilier. Au 1er octobre 2014, le nombre de personnes écrouées détenues est de 66 494, soit une diminution de 1,2 % par rapport au 1er octobre 2013. Au sein de cet effectif, on compte 17 090 prévenus, 2 487 femmes et 712 mineurs.

Mais cette légère diminution intervient dans un contexte d'accroissement constant de la population carcérale. La durée moyenne en détention a augmenté entre 2007 et 2013 de 33 %, alors que la durée moyenne en détention provisoire est restée stable. On constate aujourd'hui une stabilisation du nombre de peines d'emprisonnement ferme prononcées par les juridictions ainsi qu'un recours de plus en plus important aux aménagements de peines.

La dégradation des conditions de détention est particulièrement liée à la promiscuité née de la surpopulation carcérale. En 2013, on dénombre 4 192 agressions physiques et 15 880 agressions verbales contre le personnel, soit un niveau légèrement en baisse par rapport à l'année précédente. De même, les violences entre codétenus sont en légère baisse passant de 8 861 en 2012 à 8 560 en 2013.

Je signale une trop légère baisse des suicides (97 en 2013 contre 106 en 2012), mais aussi une baisse plus nette des actes suicidaires (en comptant les tentatives de suicide) : on dénombre 2 048 actes suicidaires en 2011, 1 777 en 2012 et 1 488 en 2013.

On note des taux élevés d'occupation des établissements pénitentiaires mais qui recouvrent de fortes disparités. Au 1er octobre 2014, les établissements disposaient de 58 054 places opérationnelles. Le taux d'occupation s'élevait à 114,5 personnes détenues pour 100 places. À titre de comparaison, il s'élevait à 118,2 au 1er août 2013.

Ce phénomène n'existe que dans les maisons d'arrêt puisque les établissements pour peine sont soumis à une règle non écrite numerus clausus. Au 1er octobre 2014, le taux d'occupation moyen dans les maisons d'arrêt était de 131,5 personnes pour 100 places. Je cite Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation des libertés : « Les maisons d'arrêt, à la différence des établissements pour peine, mais aussi des maisons de retraite ou des hôpitaux, soient les seuls lieux où il y a encore de le place même quand il n'y en a plus. » Aussi, dans ce contexte, a-t-elle proposé l'interdiction immédiate des matelas au sol par voie réglementaire ou législative.

Je note que la surpopulation dans les maisons d'arrêt s'aggrave par le maintien de personnes condamnées au-delà du délai maximal de deux ans. Au 1er juillet 2014, environ 22 % des 29 279 personnes condamnées détenues en maison d'arrêt (soit 6 335 personnes) purgeaient une peine supérieure à 2 ans d'emprisonnement.

Les taux d'occupation marquent d'importantes disparités géographiques. Ainsi, le centre de détention de Lannemezan a un taux d'occupation de 40 %, celui de Béziers 100 %. De même, le quartier maison centrale d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a un taux de 41,7 % alors que celle d'Ensisheim atteint 96,5 %. On relève de tels écarts entre les maisons d'arrêts d'Aurillac (54,2 %), et celle de la Roche-sur-Yon (230,8 %).

La surpopulation carcérale touche particulièrement l'Outre-mer avec une sur occupation parfois proche de 300 % dans certains établissements.

Au-delà de l'indicateur du taux d'occupation qui présente de nombreuses limites, M. Pierre-Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, mesure le nombre de « détenus en surnombre » : selon ses calculs, ils étaient 12 164 au 1er octobre 2014. Il tient compte dans ses calculs des places non occupées dans les établissements pour peine.

Selon l'administration pénitentiaire, au 28 octobre 2014, 26 341 détenus sur 67 806 étaient seuls en cellule, soit 38,85 % de la population carcérale. Ainsi, plus de 40 000 détenus sont en mesure aujourd'hui de demander à bénéficier de l'encellulement individuel auquel ils ont droit depuis la fin du moratoire, voici quelques jours. Le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) faisait observer que « la moitié des problèmes dans les maisons d'arrêts sont dus à l'encellulement collectif».

Je ne suis pas pour autant favorable au numerus clausus. J'estime qu'il porte atteinte au principe d'égalité et au principe d'individualisation de la peine. La réflexion sur l'encellulement individuel s'insère dans une réflexion globale sur l'organisation de la détention.

Je signale un développement très irrégulier des aménagements de peine avec une sous-utilisation considérable des quartiers de semi-liberté, une stagnation des placements à l'extérieur et une augmentation assez vertigineuse du placement sous surveillance électronique fixe.

Concernant l'étude de l'islam radical, je souhaite souligner plusieurs éléments. M. Moulay el Hassan el Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons, me faisait observer que le problème du radicalisme était lié à l'ignorance. Plus il y aura d'enseignements sur la pratique religieuse, plus on pourra lutter valablement contre ce phénomène. Il observait aussi qu'il y avait peu d'aumôniers musulmans : ils sont aujourd'hui 169 pour 673 aumôniers catholiques, 326 aumôniers protestants, 70 aumôniers israélites. Ce faible nombre s'explique aussi par le faible niveau des aides financières. À la différence des aumôniers militaires ou des établissements hospitaliers, les aumôniers de prison ne sont pas des agents publics. Il constatait néanmoins une baisse des tensions religieuses dans les établissements lorsqu'un aumônier compétent, désigné par l'aumônier national après accord du directeur interrégional des services pénitentiaires, venait remplacer un imam autoproclamé.

Dans la mesure où il y a une augmentation du budget et que les promesses sur les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sont tenues, j'émets un avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « administration pénitentiaire ».

La commission a ensuite examiné le rapport pour avis de M. Yves Détraigne sur le projet de loi de finances pour 2015 (Programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice »).

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Je voudrais tout d'abord saluer le travail accompli par notre précédent rapporteur pour avis, Catherine Tasca.

Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, on pourrait croire que le budget de la justice est relativement préservé, puisqu'il progresse de 1,7 %. Toutefois, cette croissance profite exclusivement aux crédits dédiés à l'administration pénitentiaire.

Ceux dévolus aux juridictions régressent de 1 %, pour la première fois depuis les années 2000. Il en va de même pour les crédits relatifs à l'accès au droit.

Cette baisse est d'autant plus inquiétante que la programmation triennale prévoit une contraction du budget de 0,36 %. C'est la fin de l'état de grâce dont a profité, jusqu'à présent, la justice judiciaire. Celle-ci est soumise, comme les autres programmes, à la rigueur budgétaire. L'effet s'en fera inévitablement sentir sur le fonctionnement des juridictions.

C'est le premier point que je voudrais signaler : des auditions que j'ai conduites comme du déplacement que j'ai effectué à la cour d'appel de Lyon, je retiens le constat d'une tension dans les juridictions.

Cette tension est avant une tension sur les effectifs.

Le présent projet de budget est construit sur un paradoxe : le schéma d'emploi augmente d'un emploi, mais la dotation budgétaire diminue de 26 millions d'euros. L'explication ne peut en être trouvée dans une modification de la structure des emplois, puisque, au contraire, des emplois de catégorie C, moins rémunérés, sont remplacés par des emplois de catégorie A ou B.

En fait, le ministère de la justice entend mettre un terme au surdimensionnement du schéma d'emploi par rapport aux emplois réellement pourvus. En cinq ans, nous sommes passés d'une consommation du plafond d'emploi de 100 % à une consommation de 97,5 %.

Ceci a amené ces dernières années le ministère de la justice à transformer les ETPT non pourvus en emplois de vacataires ou de contractuels. Ainsi en 2012, 244 des 562 ETPT non consommés ont été utilisés à cette fin, ce qui représente plus de 10 millions d'euros.

Finalement, en diminuant la dotation budgétaire de 26 millions d'euros, le Gouvernement se privera de la possibilité de recourir aux vacataires. Or, les juridictions en ont réellement besoin.

En effet, elles connaissent un très important taux de vacances : en moyenne 5 % des postes de magistrats ne sont pas pourvus, et 7,6 % pour des postes de fonctionnaires.

Certes, le Gouvernement a fait d'importants efforts de recrutement. Mais ceux-ci ne seront pas à la hauteur des besoins : outre que tous les postes ouverts au concours n'ont pas été pourvus, nous arriverons, en 2015, 2016, 2017 et 2018 au plus haut niveau des départs à la retraite. Ainsi, plus de 300 magistrats partiront à la retraite en 2017 et 700 fonctionnaires, ce qui absorbera la totalité des sorties d'écoles.

Cette tension, perceptible dans les effectifs, l'est aussi entre eux. J'ai pu constater, lorsque j'ai travaillé avec Nicole Borvo-Cohen Seat sur la réforme de la carte judiciaire, combien la solidarité traditionnelle qui unit les magistrats et les greffiers avait compté pour garantir le bon fonctionnement des juridictions. Or, cette année, pour la première fois, j'ai observé de grandes tensions entre les greffiers et les magistrats. Pourtant, et c'est là un point positif, la garde des sceaux a tenu l'engagement qu'elle avait pris d'une revalorisation statutaire des personnels de greffe. Mais ceci n'a pas suffi : les discussions qui ont eu lieu à l'occasion de la réflexion sur la justice du XXIème siècle ont laissé des traces. Les greffiers ont parfois mal ressenti les propos tenus par certains magistrats qui leur ont contesté la compétence suffisante pour les remplacer dans certaines tâches. La ministre de la justice devra apaiser ce conflit, car il est délétère pour le bon fonctionnement des juridictions.

Enfin, dernier point de tension dans les juridictions : les frais de justice. Il y a eu de notables progrès les deux années passées. Mais la situation risque à nouveau de se dégrader et les magistrats que j'ai interrogés m'ont confirmé qu'ils étaient obligés de différer à partir de juillet le paiement de nombreuses factures. J'ai le sentiment sur cette question d'un retour en arrière comme aux premières heures de la LOLF.

Au 31 juillet de cette année, la dotation « frais de justice » était consommé aux trois quarts, ce qui représente un rythme de consommation supérieur de 5 % à ce qu'il était l'année dernière. Les besoins réels, selon les services de la chancellerie seraient de 570 millions d'euros : le budget pour 2014 n'en a prévu que 455 millions, et l'enveloppe devrait être encore réduite l'an prochain : la sous-dotation potentielle est de 110 millions d'euros !

Le Gouvernement espère de substantielles économies grâce à une maîtrise des frais de justice. Il compte notamment économiser 30 millions grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires. Cette somme correspond aux frais de location du matériel d'interception : l'État se fournit aujourd'hui auprès d'opérateurs particuliers. Demain, les juridictions feront appel à la plateforme nationale. Toutefois, j'observe que le déploiement de cette plateforme a pris du retard.

D'une manière générale, l'expérience enseigne que la dépense des frais de justice est dynamique et que les économies sont toujours inférieures à ce qu'on en attend. L'enveloppe des frais de justice devra donc faire l'objet d'une attention vigilante l'an prochain.

La principale nouveauté en ce qui concerne le programme relatif à l'accès au droit est la mise en oeuvre de nouveaux financements de l'aide juridictionnelle, pour un rendement de 43 millions d'euros. Afin de respecter la consigne de ne pas créer de taxe nouvelle, le ministère de la justice propose d'augmenter trois taxes déjà existantes :

- celle sur les actes d'huissiers ;

- celle relative au droit fixe de procédure pénale, payée par les condamnés à un procès pénal ;

- celle sur les contrats de protection juridique.

L'essentiel de la ressource proviendrait de cette dernière taxe, puisque son rendement serait de 25 millions d'euros. La fédération française des sociétés d'assurances, comme le groupement des entreprises mutualistes, y sont farouchement opposées.

Pour une part, ces nouveaux financements compenseront les nouvelles dépenses créées par des lois récentes : assistance de l'avocat lors de l'audience libre ou lors des déferrements devant le parquet.

Le rapporteur général de la commission des finances a proposé de les supprimer et de rétablir la contribution pour l'aide juridique. Mais le Sénat ne l'a pas suivi.

Enfin, avant de conclure, je voudrais formuler trois observations.

La première a trait à la réforme de la justice engagée par la garde des sceaux, et désignée sous l'appellation « Justice du 21e siècle ». Les premières concrétisations de cette réforme devraient advenir en 2015, avec le dépôt d'un projet de loi organique et d'un projet de loi ordinaire, la mise en place d'une première version d'un portail du justiciable et l'expérimentation de services universels d'accueil de greffe. Le Gouvernement a visiblement renoncé à l'idée d'un bouleversement immédiat de l'organisation judiciaire et s'est rangé à l'analyse que nous avions développée avec Virginie Klès d'une réforme pragmatique, étape par étape, qui privilégie le guichet universel de greffe et qui garantisse immédiatement un meilleur accès à la justice. Il y a tout lieu de s'en féliciter.

Ma deuxième observation concerne la façon dont les réformes sont conçues. J'ai été réservé sur la réforme relative à la contrainte pénale, parce que je craignais que les moyens ne suivent pas ou qu'ils soient retirés à d'autres secteurs pour combler les nouveaux besoins créés. Le présent budget en est une bonne illustration : l'administration pénitentiaire absorbe les marges de manoeuvres disponibles, au détriment du budget des services judiciaires. À privilégier certains maillons de la chaîne pénale par rapport à d'autres on court le risque d'en fragiliser l'ensemble. L'idéal serait de cesser de faire des réformes sans moyen. Mais, une fois votées, il incombe au Gouvernement de mobiliser les moyens nécessaires ou de les adapter : est-il raisonnable, comme le propose le présent texte, de reporter une nouvelle fois la collégialité de l'instruction et la suppression des juridictions de proximité ?

Enfin, ma dernière observation porte sur le lien entre la réforme territoriale et la réforme judiciaire. La loi MAPAM nous en fournit un exemple avec la création de la métropole de Lyon. Actuellement, le département du Rhône est divisé en deux ressorts judiciaires : le nord dépend du TGI de Villefranche-sur-Saône, le sud du TGI de Lyon. La création de la métropole, le 1er janvier prochain, va bouleverser la donne, puisqu'elle se substituera au département et aux communes sur l'ensemble de son territoire. Les juridictions s'interrogent sur les évolutions possibles, mais la Chancellerie ne semble pas avoir encore tranché.

En conclusion, vous l'aurez compris, dans un contexte budgétaire très difficile, les crédits dévolus aux juridictions restent relativement préservés. Toutefois certains suscitent de légitimes inquiétudes, dont la ministre me semble consciente. Je vous propose de donner un avis favorable, mais vigilant, à l'adoption des crédits de ce budget.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit au sein de la mission « justice ».

La commission a enfin examiné le rapport pour avis de Mme Cécile Cukierman sur le projet de loi de finances pour 2015 (Programme « Protection judiciaire de la jeunesse »).

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Il me revient, pour la première fois, de vous présenter l'avis budgétaire sur les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », succédant ainsi à notre collègue Nicolas Alfonsi qui a mené cet exercice pendant une décennie au nom de notre commission. C'est donc pour nous l'occasion de rendre hommage à cette constance et à la qualité de son engagement dans ce domaine.

Les crédits de la Protection judiciaire de la jeunesse ont connu au cours des dernières années des évolutions contrastées.

Ils ont en effet connu une forte diminution entre 2008 et 2011, de près de 6 %, passant de 804,4 millions d'euros à 757,6 millions d'euros en crédits de paiement. Cette diminution des crédits s'est accompagnée d'une diminution des effectifs de - 632 ETPT sur la période 2008-2012, dans un contexte de réforme et de réorganisation territoriale d'ampleur de cette administration.

En revanche, les années 2012 et 2013 avaient vu augmenter les crédits de la PJJ, essentiellement au bénéfice des solutions de placement à destination des auteurs de faits les plus graves, en particulier des centres éducatifs fermés. Cette tendance avaient d'ailleurs fait l'objet de prises de position de notre commission, soulignant la nécessité de ne pas sacrifier la diversité des prises en charge des mineurs délinquants à la mise en place de ces centres éducatifs fermés, certainement utiles dans la panoplie dont dispose la PJJ mais aussi très coûteux et dont l'efficacité à long terme reste à évaluer.

Après cette augmentation des crédits en 2012-1013, la PJJ n'avait pu se soustraire à la rigueur budgétaire commune en 2014, avec une diminution de 0,6 % des crédits de paiement par rapport à la LFI 2013.

Le projet de budget du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » pour 2015 se caractérise pour sa part par la stabilité même si on note une légère dégradation. Les crédits de paiement s'élèvent à 778 millions d'euros environ (-0,7 %), résultant de la hausse des dépenses de personnel et d'une baisse des autres dépenses (fonctionnement, investissement et interventions) de plus de 3,2 %. Les autorisations d'engagements connaissent quant à elles une légère augmentation.

En revanche, il convient de saluer la création d'une soixantaine d'ETPT en 2015. Lorsque nous l'avons entendue, la directrice de la PJJ nous a fait part de sa satisfaction à cet égard mais n'a pas fait mystère de sa conviction qu'après la baisse des années 2008-2012, cette hausse n'offrait pas pour autant un quelconque confort de fonctionnement à la PJJ, qui aurait selon elle juste - tout juste -les moyens d'assurer ses missions. Cette administration fonctionne à flux tendus. En outre, les syndicats ont souligné que les créations d'emplois annoncés dans la loi de finances initiale étaient souvent assez longues à se traduire concrètement, comme la directrice de la PJJ l'a reconnu elle-même à propos des créations des deux années précédentes.

Par ailleurs, il existe un jeu de vases communicants entre les moyens du secteur publics de la PJJ et ceux du secteur associatif habilité, dont il faut rappeler qu'il met en oeuvre, à travers les prestations de ses établissements et de ses services, une partie non négligeable des mesures décidées à l'encontre des mineurs par les juges des enfants, les juges d'instruction et les magistrats du parquet. Or, entre 2008 et 2014, les crédits du secteur associatif habilité ont diminué d'environ 80 million d'euros, soit plus de 25 %. En outre, le nombre d'associations habilitées est lui-même en forte baisse.

Or, les créations de postes dans le secteur public de la PJJ prévues pour 2015 vont nécessairement aller de pair avec une mobilisation accrue de crédits de fonctionnement du titre III, dont le volume n'augmente pas. Or, le titre III comprend l'ensemble des crédits du secteur associatif habilité, y compris les dépenses de personnel. Ainsi, mécaniquement, les crédits du SAH vont encore diminuer en 2015, passant de 232 à 225 millions d'euros.

Certes, le secteur associatif habilité n'a pas de droit acquis au maintien de son activité. Néanmoins, il faut reconnaître que cette diminution constante suscite une inquiétude compréhensible chez les associations. Certaines d'entre elles, en effet, sont de petites structures, par exemple celles qui mettent en oeuvre les mesures de réparation pénale, mesures dont l'utilité est unanimement reconnue. La diminution des budgets conduit rapidement à la nécessité, pour ces petites associations spécialisées, de diminuer leurs effectifs.

En effet, la PJJ ne peut se passer des associations, qui sont souvent les premières à mettre en place les solutions innovantes que le secteur public reprend ensuite à son compte : ainsi le secteur associatif a-t-il été le premier à mettre en oeuvre des mesures de réparation pénale dans les années 90 ; il a également été le plus investi dans le dispositif des centres éducatifs fermés.

Il semble donc nécessaire de refonder les relations entre la PJJ et le secteur associatif de manière à ce que les associations aient davantage de visibilité à moyen terme sur les intentions du ministère de la justice à leur égard. D'un point de vue financier, l'extension du système de la dotation globale de financement, qui n'est mis en oeuvre actuellement que pour les centres éducatifs fermés associatifs, est sans doute souhaitable.

Par ailleurs, la garde des sceaux a annoncé une prochaine réforme de la justice pénale des mineurs.

En effet, s'il ne semble pas choquant qu'un texte aussi important que l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante soit modifiée de temps à autres pour tenir compte des évolutions du droit pénal général , de nos engagements internationaux ou encore des évolutions de notre société, toutefois, en 10 ans plus d'un dizaine de lois sont venues modifier, de manière souvent importante, ce texte fondateur. Pas toujours cohérentes entre elles, ces modifications stratifiées ont rendu l'ordonnance du 2 février 1945 difficilement lisible pour les juges eux-mêmes.

Cette complexité a un risque : celui que les juges ne prononcent que quelques mesures qu'ils connaissent bien, parfois davantage en fonction des disponibilités des services du secteur public de la PJJ ou du secteur habilité que des besoins réels de chaque mineur.

Dès lors, une réforme d'ensemble s'impose. Cette réforme devra d'abord respecter les principes dégagés par le Conseil constitutionnel en la matière, c'est-à-dire « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » (Décision sur la loi Perben I du 9 septembre 2002).

Cette réforme devra aussi respecter les engagements internationaux de la France en matière de droits des enfants. En effet, les règles minimales des Nations-Unies, la convention internationale des droits de l'enfant et la convention européenne des droits de l'homme imposent toutes une forme de spécificité de la justice des mineurs par rapport à celle des majeurs.

Sur le fond, il me semble d'abord que cette spécificité plaide fortement pour la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, que notre commission avait déjà souhaité abroger lors de l'examen du projet de loi sur la récidive en juillet dernier. A cette occasion, la garde des sceaux nous avait demandé d'attendre la future réforme de l'ordonnance du 2 février 1945.

Par ailleurs, le fait d'instaurer la césure du procès au centre de la procédure ordinaire de jugement des mineurs permettrait de sortir du débat sur les mesures de comparution rapide sans instruction qui ont été insérées progressivement au sein de l'ordonnance du 2 février 1945. En effet, les faits commis par les mineurs sont rarement des faits d'une grande complexité nécessitant une longue instruction. Il semble donc possible, le plus souvent, de statuer rapidement sur la culpabilité. En revanche, il est raisonnable de prévoir un temps plus long pour mieux connaître la personnalité et la situation précises dues mineurs afin de prononcer, dans un second temps, la sanction la plus adaptée.

Enfin, une simplification de l'organisation des mesures et sanctions éducatives et des mesures de suivi éducatif en milieu ouvert serait souhaitable afin de redonner de la lisibilité au bénéfice du juge comme des citoyens.

Je souhaiterais enfin évoquer le placement de mineurs délinquants dans des familles d'accueil.

En 2013, 762 jeunes ont été confiés à des familles d'accueil relevant du secteur public et des associations.

Le rôle de ces familles dans la prise en charge des mineurs délinquants est généralement salué, tant il offre un cadre propice à leur progression.

Les familles d'accueil elles-mêmes sont, en général, satisfaites de leur suivi par la PJJ. En effet, le placement familial est en réalité une mesure où la responsabilité de l'évolution du mineur est assumée à la fois par la famille et par les éducateurs de la PJJ, ceux-ci assurant un suivi très intense en étant notamment joignables 24 heures sur 24 en cas de besoin. Les éducateurs participent ainsi à toutes les décisions relatives à ce que le mineur peut ou ne peut pas faire, de sorte qu'ils assument une part prépondérante de la dimension éducative du placement.

En 2012, un rapport de l'inspection générale des services judiciaires a fait le point sur cette mesure.

Ce rapport constate le bon fonctionnement général du dispositif mais relève un flou juridique concernant le statut des familles. Celles-ci sont en effet considérées par la PJJ comme des bénévoles indemnisés mais il n'est fait mention de leur existence dans aucun texte législatif, seul un décret faisant référence à leur existence, sans autre précision. Or, il existe à contrario un statut des familles de placement dans le secteur de l'enfance en danger, compétence des conseils généraux, ces familles étant salariées et non pas indemnisées, et bénéficiant des avantages sociaux liés à ce statut contrairement aux familles d'accueil des mineurs délinquants. Dès lors, l'IGSJ estime qu'il existe un certain risque juridique de requalification de la mission des familles d'accueil de la PJJ en contrat de travail.

Or, toute évolution en la matière serait assez coûteuse pour la PJJ, qu'il s'agisse d'une professionnalisation de ces familles d'accueil sur le modèle des mineurs en danger ou d'une délégation au secteur associatif habilité. En outre, il faut reconnaître que le placement en famille d'accueil tel qu'il existe actuellement permet une certaine souplesse, qui risquerait d'être perdue en cas de changement de statut. Dès lors, il semble que la PJJ ait décidé de ne pas trancher. Encore faudrait-il améliorer la reconnaissance de ces familles dont les deux tiers estiment que leur indemnisation est insatisfaisante au regard des frais engendrés par l'hébergement d'adolescents, bien que cette indemnisation ait été revalorisée en 2013.

Voici, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Pour ma part, les crédits prévus pour 2015 me paraissent quelque peu insuffisants pour assurer au quotidien l'individualisation et la continuité du parcours des jeunes.

Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable, mais vigilant, aux crédits de la PJJ pour 2015.

Votre commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « protection judiciaire de la jeunesse » du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est levée à 17 h 05