Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « anciens combattants mémoire et liens avec la nation » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis :

Vous m'avez désigné pour être cette année, pour la première fois, rapporteur pour avis sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Au cours de mes travaux, j'ai pu mesurer la diversité comme l'implication profonde du monde associatif, de l'Etat et de ses opérateurs pour garantir l'effectivité du droit à réparation dont tout ancien combattant peut se prévaloir et pour transmettre la mémoire des conflits du siècle dernier, alors que s'achève une année commémorative très nourrie.

J'ai cherché à examiner les politiques menées dans le champ de cette mission sans regard partisan mais en ayant à coeur de m'assurer qu'elles sont conformes au respect dû au monde combattant.

Il ressort des auditions et travaux préparatoires que les trois programmes de la mission permettent globalement de conduire à bien les objectifs assignés mais que certains dispositifs peuvent encore être améliorés.

D'un montant total de 2,74 milliards d'euros, les crédits de la mission sont en baisse de 7,7 % par rapport à l'an dernier. Deux facteurs sont à l'origine de cette diminution : l'évolution démographique des bénéficiaires du droit à réparation et les changements intervenus dans son périmètre.

Le programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » oeuvre au renouvellement de l'esprit de défense avec la Journée défense et citoyenneté (JDC) et constitue également le principal canal de transmission de la mémoire en finançant la politique mémorielle du ministère de la défense.

La JDC voit ses crédits inscrits au sein du programme diminuer de 80 % pour une raison purement comptable liée à la réforme de la gestion des ressources humaines du ministère de la défense. En effet, tous ses crédits de personnel sont, à compter de 2015, regroupés au sein du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». Cela représentait en 2014, pour la direction du service national (DSN), 75 millions d'euros.

La réforme de la JDC est en voie d'achèvement. Recentrée sur la sensibilisation à l'esprit de défense comme le préconisait le Livre blanc sur la défense de 2013, elle est l'occasion pour plus de 760 000 jeunes chaque année de découvrir les enjeux nationaux et internationaux liés à la défense et de suivre une initiation aux premiers secours. Pour l'Etat, elle permet également de détecter les décrocheurs potentiels et ceux qui ont des difficultés de maîtrise des fondamentaux de la langue française. Les années à venir devraient voir un accroissement du nombre de jeunes accueillis lors de la JDC, estimé à 800 000 d'ici 2018. Toutefois, il est indéniable qu'elle ne peut pas jouer le rôle qui était celui du service national en son temps. Je le regrette fortement.

Le service civique sous sa forme actuelle ne s'y substitue pas puisqu'il ne devrait concerner que 45 000 jeunes en 2015. La suppression de la conscription a fait disparaître ce creuset où les différences s'estompaient pour faire place à une forme de cohésion. Le Président de la République a fait part de sa volonté d'élargir ce dispositif voire, à terme, de le rendre « universel » et obligatoire.

Je partage cette philosophie et je suis persuadé qu'il faut réfléchir aux formes que pourrait prendre ce service universel. Sans prôner un impossible retour à la conscription sur dix mois, il faut aller plus loin que la JDC.

La politique de mémoire est le second volet de ce programme 167. Après une année 2014 marquée par le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale et le soixante-dixième anniversaire des débarquements et de la libération du territoire, 2015 doit marquer la poursuite de l'effort consenti depuis 2013.

Les commémorations du centenaire, pilotées par un groupement d'intérêt public dédié (GIP), la Mission du centenaire, ont été un succès et l'engouement des Français pour l'histoire du conflit est indéniable. Des cérémonies nationales et internationales ont rythmé cette année, du défilé du 14 juillet auquel participaient des représentants de quatre-vingts nations à l'inauguration le 11 novembre, par le Président de la République, du mémorial international de Notre-Dame de Lorette.

Le GIP, petite structure doté de 12 millions d'euros sur trois ans et de douze ETP, a réussi grâce à son fonds d'initiative à apporter son soutien à plus de 850 projets locaux, pour un total de près de 3 millions d'euros. En ayant recours au mécénat, il a pu susciter un effet de levier important : c'est un modèle à suivre. Ces événements ont également été un formidable accélérateur du tourisme de mémoire, dont on connait maintenant avec certitude les retombées économiques très importantes grâce à une fréquentation en très forte hausse.

Il reste maintenant à réussir la suite de ce cycle mémoriel qui s'étend sur les quatre prochaines années. A mes yeux, il faut pérenniser la Mission du centenaire, qui a fait ses preuves, afin de coordonner les commémorations ponctuelles qui vont jalonner ces années jusqu'en 2018 : Verdun et la Somme en 2016, puis le Chemin des Dames en 2017 et enfin, en 2018, la victoire.

Confié à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) du ministère de la défense, le soixante-dixième anniversaire des débarquements et de la Libération a été l'occasion de rendre hommage aux derniers de leurs acteurs encore parmi nous. Deux grandes cérémonies internationales ont été organisées, le 6 juin à Ouistreham, en présence notamment de président Obama, de la reine d'Angleterre et du président Poutine, et le 15 août en Provence où s'est déroulée une parade navale. Plus de cinq cents initiatives commémoratives locales ont reçu un soutien de la part de l'Etat. L'an prochain, l'accent devrait être logiquement mis sur la victoire contre le nazisme mais également sur la libération des camps et la découverte de l'horreur concentrationnaire.

Le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » constitue l'essentiel - 95 % - du budget de la mission. Avec 2,6 milliards d'euros en 2015, il assure le financement des principales mesures qui constituent l'expression du droit à réparation : la retraite du combattant, les pensions militaires d'invalidité (PMI), les droits liés à ces dernières (soins médicaux gratuits, etc.) et la majoration des rentes mutualistes. Il diminue de 5,4 % sur un an, conséquence directe du vieillissement de ses bénéficiaires, qui seront 70 000 de moins en 2015 qu'en 2014. Les anciens des opérations extérieures (Opex) sont bien plus jeunes et surtout bien moins nombreux pour compenser ce phénomène démographique. Néanmoins, cette baisse du budget ne s'accompagne d'aucun recul sur les droits acquis.

Surtout, ce PLF consacre définitivement l'égalité des droits entre toutes les générations du feu en reprenant une disposition qui figurait dans la proposition de loi Cléach que le Sénat avait malheureusement rejeté le 19 novembre 2013. Son article 50 aligne les critères d'attribution de la carte du combattant pour les anciens des Opex sur ceux retenus pour la guerre d'Algérie, c'est-à-dire quatre mois de présence sur le théâtre d'opérations. Les règles actuelles, c'est-à-dire la participation à des actions de feu ou de combat, ne sont pas adaptées aux Opex, où il est bien rare que nos soldats affrontent un ennemi clairement identifié par un uniforme dans une bataille conventionnelle. Devant entrer en vigueur au 1er octobre prochain, cette mesure aura un coût relativement limité - environ 6 millions d'euros en année pleine - car la plupart de ses bénéficiaires sont trop jeunes pour recevoir les prestations qui y sont liées. Même si les représentants de ce public auraient souhaité une prise en compte dès le 90ème jour, c'est un progrès symbolique qui permet l'obtention de la carte du combattant et donc le port de la croix du combattant, plus valorisée que la médaille de la défense nationale.

Les actions menées en faveur des harkis et des rapatriés ont été rattachées l'an dernier au programme 169. Dans le cadre du plan d'action en faveur des harkis annoncé par le Gouvernement, l'allocation de reconnaissance que touchent sous forme de rente 6 200 d'entre eux est revalorisée de 5 % par l'article 49 du PLF, passant de 3 248 à 3 415 euros par an, pour un coût d'un million d'euros. Je vous avoue que cette disposition est surtout évoquée par les intéressés comme une « mesurette », eux qui attendent surtout la reconnaissance morale de l'abandon et du massacre des harkis.

On le voit donc, le public pris en compte évolue : des anciens des conflits du vingtième siècle s'effacent, les harkis et rapatriés sont rattachés à cette politique tout comme les anciens des Opex. Dans ce contexte, l'Onac, qui est l'opérateur de la politique de solidarité en faveur du monde combattant, traverse aussi une phase de modernisation profonde. Il a reçu de nouvelles missions, parfois sans les ressources qui y étaient auparavant affectées. Un contrat d'objectifs et de performance (COP) pour la période 2014-2018 vient d'être conclu avec l'Etat et constitue la feuille de route de cette transformation afin d'améliorer la qualité du service offert à ses ressortissants et de le mettre au service de la quatrième génération du feu.

La politique d'aide sociale de l'Onac doit être orientée prioritairement vers les plus démunis, qu'ils soient anciens combattants ou conjoints survivants. A cet effet, il reçoit dans le PLF 1,5 million d'euros supplémentaires par rapport à 2014, pour un total de 23,4 millions d'euros. En 2013, près de 50 000 interventions sociales ont été réalisées par l'Office.

La fragilité juridique de certains dispositifs appelle à une réflexion. Ainsi, l'aide différentielle en faveur des conjoints survivants (ADCS), dont le précédent ministre a annoncé la revalorisation pour atteindre le seuil de pauvreté (environ 980 euros par mois), s'apparente par son caractère récurrent à un droit à réparation et non plus à une mesure d'aide sociale. Les difficultés suscitées par ce dispositif tiennent à la fois à l'absence de base juridique extérieure à l'Onac - ni décret, ni arrêté - ainsi qu'à l'exclusion des anciens combattants eux-mêmes.

C'est pourquoi une refonte de l'aide sociale de l'Onac envers les plus démunis est nécessaire. Une piste pourrait être d'instituer une fongibilité entre les crédits dédiés à l'ADCS et l'ensemble des crédits sociaux de l'Office, tout en chargeant ses conseils départementaux, qui sont présidés par le préfet et composés de représentants du monde combattant, de l'attribution de l'ensemble de ces moyens. Ainsi cette politique de solidarité serait conduite en proximité avec les besoins des ressortissants de l'Onac et gagnerait en efficacité et en justice.

Je voudrais également mentionner la situation des veuves des plus grands invalides de guerre. Les règles actuelles en matière de réversion des pensions militaires d'invalidité ne sont pas adaptées aux sacrifices qu'elles ont consentis pour prendre soin de leur mari blessé au combat, souvent pendant des années voire des décennies. Le plafonnement de la pension de réversion à 515 points fait très fortement chuter leurs revenus et peut parfois les plonger dans la précarité au décès de leur mari, malgré les éventuelles majorations.

L'article 48 du PLF vient revaloriser la majoration spéciale que touchent certaines d'entre elles. C'est insuffisant aux yeux des associations, et il me semble que le Gouvernement pourrait faire un effort supplémentaire en faveur de ces personnes. Un amendement vous sera proposé en ce sens. Il est en tout cas indispensable qu'une réflexion sérieuse soit engagée sur la réforme de la réglementation en matière de réversion des PMI. Des engagements ont été pris par le ministre, mais ils ont du mal à se concrétiser.

En 2015, la diminution du budget consacré au droit à réparation accompagne la décroissance démographique de ses bénéficiaires. Des efforts sont néanmoins faits en faveur de la politique de mémoire, de la solidarité, des harkis et des conjoints survivants des plus grands invalides. Au-delà de ces mesures ponctuelles qui ne concernent que certains des ressortissants de cette politique, je vous proposerai d'envoyer un signal fort à l'attention de l'ensemble des anciens combattants avec la reprise de l'augmentation de deux points de la retraite du combattant.

Dans ces conditions, vous l'aurez compris, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ainsi qu'aux articles 48, 49 et 50 qui y sont rattachés sous réserve de l'adoption de trois amendements.

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