Toujours hier, le député de la Gironde Gilles Savary, qui a été rapporteur de la loi sur la réforme ferroviaire, signe un article intitulé « Chemins de fer : on va dans le mur ? Alors, on continue ! ». Ce n'est pas moi qui le dis ! Je termine avec un article des Échos qui nous informe que « L'industrie ferroviaire redoute 10 000 suppressions d'emplois ». D'après le journal, « les sites industriels du leader français, Alstom, encaisseraient l'essentiel de cette dégringolade, notamment à Belfort (plus d'activité à la fin du programme TGV en cours), à Aytré (agglomération de La Rochelle) et à Reischoffen, en Alsace. Le site de Bombardier de Crespin (Nord) ne serait pas non plus épargné, avec une charge en chute libre dès fin 2015?». Je rappelle que l'industrie ferroviaire française est la troisième industrie ferroviaire du monde, nous devons la défendre ! On s'évertue à créer de nouvelles filières, il faut aussi tout faire pour sauver celles qui ont bien fonctionné jusqu'à aujourd'hui !
Le Gouvernement a fait adopter cet été une réforme ferroviaire qui change en particulier la gouvernance du système. Mais la réforme ne répond pas à une question fondamentale, qui est celle de la dette. Celle du gestionnaire du réseau atteint aujourd'hui près de 37 milliards d'euros, et croît de 3 milliards par an ! Même si SNCF Réseau réalise des efforts de productivité, l'accroissement de sa dette pourra, dans le meilleur des cas, être réduit à 1 milliard d'euros par an à partir de 2020, mais on n'inverse pas encore la tendance !
Or, nous devons encore assumer des investissements importants pour l'entretien et la régénération du réseau. L'audit de l'école polytechnique de Lausanne nous a ouvert les yeux en 2005 et 2012. Nous avons commencé à rattraper notre retard dans ce domaine, mais nous n'avons pas encore réussi à arrêter le vieillissement du réseau ! Les besoins sont tout aussi importants pour le fret ferroviaire, qui, lui, est carrément menacé de disparition, alors qu'il reçoit la subvention la plus haute possible de la part des pouvoirs publics.
J'avais tenté d'apporter une première solution, en proposant, l'ouverture à la concurrence du rail, qui a déjà été mise en place dans d'autres pays européens. Les présidents de région étaient d'accord, mais je n'ai pas été suivi. Il faut que la maison SNCF évolue pour se préparer à cette ouverture à la concurrence, qui finira bien par arriver. En attendant, des promesses de gains de productivité ont été faites. Dont acte. À nous de suivre précisément leur réalisation. Mais pourrons-nous fermer les yeux longtemps sur le problème du surcoût de notre système national, qui peut aller jusqu'à 30% par rapport aux autres pays ? Nous verrons ce qui ressortira des négociations en cours sur le cadre social harmonisé applicable à l'ensemble du secteur, nouveaux entrants compris, mais je dois vous avouer que je suis inquiet.
Une autre piste de travail réside dans la lutte contre la fraude. Elle coûte chaque année 300 millions d'euros, rien que pour la SNCF. S'y ajoutent 100 millions pour la RATP, et certainement, pour les transports collectifs de province, une somme de l'ordre de 100 millions également. Nous arrivons ainsi à une perte de 500 millions d'euros environ - un demi-milliard -, soit plus que le montant du troisième appel à projets pour les transports collectifs en site propre !
La SNCF commence à réagir. Elle a par exemple réduit la durée de validité des billets sans réservation à 7 jours pour éviter l'utilisation multiple d'un billet non composté. Elle compte aussi réactualiser ses forfaits de régularisation, pour préserver leur caractère dissuasif. Mais c'est en fait l'ensemble du cadre juridique prévu pour lutter contre la fraude qui doit être revu. Savez-vous que pour être passible d'un délit de « fraude d'habitude », il faut avoir eu plus de dix contraventions en une année ? Je vous proposerai un amendement pour modifier ce système que j'estime en fait incitatif à la fraude.
Au-delà de ces éléments je voudrais mettre l'accent sur trois autres sujets qui constituent une vive préoccupation pour le secteur ferroviaire.
Premièrement, notre filière ferroviaire, la troisième du monde, est en grand danger. Après avoir été pendant longtemps l'un des atouts de la France, son plan de charge va nettement diminuer à partir de 2017, faute de commandes suffisantes, en France bien sûr, mais aussi à l'étranger, où la filière souffre d'une forte concurrence de la Chine, mais aussi de l'Europe de l'Est. Il y a une réelle inquiétude du secteur, menacé de devoir débaucher progressivement son personnel, avec pour conséquence, une perte de compétence évidente. Il faut absolument mettre un frein à cela. Il s'agit d'une industrie lourde, qui ne peut pas être relancée aisément, une fois que les compétences sont perdues. Une fois qu'un site industriel est fermé, il est quasiment impossible de le rouvrir.
L'organisme Fer de France, qui représente la filière et dont le président est Pierre Mongin, a réfléchi à plusieurs pistes de travail, que nous devons à mon sens encourager. Par exemple, il faudrait revoir notre modèle : à force de rechercher la sophistication, nous perdons en souplesse et notre offre, souvent plus chère, s'adapte ainsi moins bien à la demande étrangère, qui recherche davantage la sobriété.
De même, s'il faut évidemment prévoir le train à très grande vitesse du futur, la demande mondiale s'oriente plutôt vers la grande vitesse (200 - 250 km/h), à laquelle nous répondons mal. Comme j'avais réussi à l'introduire dans le projet de loi de réforme ferroviaire, j'insiste sur la nécessité pour notre pays d'imaginer des matériels exportables dès l'origine et pas uniquement franco-français.
Aujourd'hui, en France, un appel d'offres pour la sortie d'un nouveau matériel comporte près de 4 000 spécifications ! Et nous arrivons à créer un produit extrêmement performant, mais que nous sommes ensuite incapables de vendre à l'étranger. Nous devons réfléchir, au sein de notre commission, à l'avenir de cette filière. C'est pour ça que j'étais favorable à l'affirmation de l'État stratège. Je ne vois que l'État pour imposer à des groupes de pression, qui peuvent être très forts, une vision d'intérêt général.
Il faudrait aussi autoriser, sur le marché français, des expérimentations visant à regrouper la commande publique entre plusieurs donneurs d'ordre, afin d'éviter la démultiplication des coûts de développement des produits. L'État stratège, dont nous avons consacré l'existence dans la loi cet été, doit aider à mieux équilibrer les relations entre les donneurs d'ordre et l'industrie ferroviaire.
L'État stratège doit aussi être attentif à l'évolution de l'offre des trains d'équilibre du territoire, qui est un autre sujet de vive préoccupation. Il s'agit des trains Intercités qui assurent une diversité de services, avec un matériel souvent obsolète.
Ces trains étaient gérés et financés par la SNCF, avant que l'État en devienne l'autorité organisatrice en 2011, en signant une convention avec la SNCF. Mais cette convention, qui devait arriver à échéance fin 2013, a d'emblée été considérée comme provisoire, puisqu'elle ne faisait que geler la situation héritée du passée. Le Gouvernement a décidé l'année dernière de la prolonger d'un an, jusqu'à la fin 2014. Cette année, qu'apprend-on ? Qu'une convention similaire, une sorte de « convention-relais », va être signée pour laisser encore un an à l'État pour définir sa stratégie dans ce domaine. Où est donc cet État stratège que le Gouvernement revendique tant ?
Or, les problèmes à régler sont nombreux. Tout d'abord, l'architecture retenue pour assurer le financement des TET, via un compte d'affectation spéciale majoritairement abondé par la SNCF elle-même, a été qualifiée par la Cour des comptes d'« habillage juridique de la situation antérieure ». De fait, ce mécanisme n'est pas de nature à responsabiliser les deux parties concernées. La SNCF est censée recevoir des bonus si elle améliore la qualité de son service, mais ces mêmes bonus sont en fait financés par une augmentation de sa propre contribution au compte d'affectation spéciale ! Pour sa part, l'État n'assume pas le surcoût résultant de ses décisions, puisque c'est la SNCF qui est la variable d'ajustement budgétaire.
En ce qui concerne l'offre en elle-même, elle est très hétérogène, et crée une véritable confusion entre les services TER et TET. C'est un défaut connu depuis longtemps. Il faut que l'État définisse une stratégie claire dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle il vient de créer une commission « Duron II », qui doit rendre ses conclusions d'ici six mois. Je ne peux que me réjouir de la méthode poursuivie, qui a porté ses fruits, à travers la Commission Mobilité 21, pour la hiérarchisation du schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Mais il est vraiment dommage que l'État ait perdu deux ans sur ce dossier !
Et que dire du fait qu'après avoir refusé catégoriquement, en juillet, l'ouverture à la concurrence dans le rail, le Gouvernement nous annonce tout d'un coup, en octobre, l'ouverture à la concurrence du transport en autocar ! C'est contradictoire. Où est la cohérence ?
Par conviction, je suis favorable à ce type de mesure, qui permet de faire baisser les coûts et d'améliorer la qualité du service. Mais il y a un risque sérieux de report du train vers la route, qui est de fait la véritable concurrence ! Or, si nous n'améliorons pas la qualité de service dans nos trains, la libéralisation de l'autocar ne va pas seulement attirer de nouveaux utilisateurs, qui autrement ne voyageraient pas, elle va aussi capter le trafic ferroviaire, ce qui risque de créer une spirale de détérioration du service ferroviaire. Nous devrons être extrêmement vigilants pour que ces évolutions soient maîtrisées et favorables aux usagers.
Je vous remercie de votre attention et vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long - mais les enjeux sont nombreux et de taille !
Comme vous l'aurez compris, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.