Intervention de Alain Lambert

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 26 novembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Lambert président du conseil national d'évaluation des normes cnen

Photo de Alain LambertAlain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) :

Sénateur honoraire, c'est un bonheur pour moi de revenir parmi mes collègues. La profusion des normes freine l'action publique et coûte cher. C'est pourquoi la CCEN a été créée en 2007. Entre septembre 2008 et juin 2014, elle a rendu 1 400 avis : les 1 400 textes considérés ne nous ont pas tous paru indispensables... Le bilan de la CCEN a été publié, vous le connaissez. C'est à l'initiative du Sénat qu'elle a été transformée en CNEN.

Nous n'étions d'abord, à la CCEN, que quelques moines-soldats, qu'on pouvait compter sur les doigts d'une main. La participation à une bonne vingtaine de réunions par an n'y était aucunement rémunérée. Au CNEN, nous sommes plus nombreux, ce qui a changé notre manière d'examiner les textes : nos nouveaux collègues ne s'imaginaient pas placés sous un feu de mitraillette ! Les séances durent plus longtemps, le nombre d'avis défavorables est plus important ; dans le passé nous nous efforcions de trouver avec les administrations centrales des rédactions acceptables. Les nouveaux membres du CNEN, tous d'excellente qualité, ont rapidement assimilé la culture de la CCEN. Les sensibilités politiques n'apparaissent pas et je veille à ce qu'il n'y ait pas de clivage entre les différents échelons territoriaux, afin que nous parvenions à des prises de position unies face à l'administration de l'État. Notre rythme de travail est lourd : si les Premiers ministres successifs depuis M. Fillon ont tous décidé d'un moratoire sur les normes, il nous revient toutefois d'en informer l'administration, qui l'ignore tant elle est parfois déconnectée de la volonté politique.

Notre travail sur les textes réglementaires marche bien, car nous avons pour interlocuteurs les administrations qui les ont rédigés. Lorsqu'elles prétendent s'appuyer sur la volonté du législateur, nous nous en assurons au prix d'un travail de bénédictin : très souvent, cette transcription a été menée avec une telle élasticité que nous retrouvons dans le règlement des amendements que vous aviez rejetés. Or nous ne reconnaissons pas à l'administration la légitimité que confère le peuple français. Et nous le lui disons.

Pour les projets de loi, en revanche, sur lesquels nous sommes désormais compétents, le rythme de la procédure législative rend notre travail peu opératoire, parce que la production législative s'effectue à flux tendu. Saisis en 72 heures sur un projet de 250 pages, qui sera modifié au cours des débats, nous pouvons tout au plus alerter le Gouvernement sur d'éventuelles difficultés qu'il susciterait pour les collectivités territoriales.

Nous avons en effet émis un avis défavorable au projet de loi sur la transition énergétique. Nous aurions pu nous abstenir collectivement, pour laisser les représentants de l'administration émettre un avis favorable. Nous le faisons lorsque nous considérons que le collège élu ne dispose pas d'éléments suffisamment probants pour s'opposer au texte ou pour l'approuver. En la circonstance, nous avons choisi d'émettre un avis défavorable qui signifie que soit il s'agit d'une proclamation susceptible de réunir un consensus assez large, soit il s'agit d'un dispositif normatif, que nous ne pouvions approuver en l'état.

Le Conseil d'État a évalué le stock de normes à environ 400 000 textes. Les examiner au même rythme que le flux prendrait 2 000 ans. Les solutions que je défends pour les traiter n'ont pas encore recueilli un avis très favorable de la Commission. À mon avis, nous devrions déclasser un grand nombre de textes : nous ne saurions travailler au cas par cas. Ce qui a pris la forme d'un décret peut souvent être requalifié en arrêté, un arrêté en circulaire, une circulaire en guide de bonnes pratiques.

Nous devons également recourir aux nouveaux moyens technologiques. Déjà, il y a trois ou quatre ans, les textes que les administrations n'avaient pas mis en ligne dans un délai d'un an n'ont plus été opposables, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient plus. C'est une excellente méthode : parler d'abrogation suscite de trop nombreuses oppositions. Grâce à ce déclassement quasi industriel, l'administration fera le travail de tri : elle se précipitera pour mettre en ligne les textes importants, et oubliera les autres. Ainsi, le stock fondra rapidement. Les juristes du Conseil d'État ou du Conseil Constitutionnel que j'ai pu consulter sont parfaitement conscients du caractère déraisonnable de notre stock.

Nous nous sommes répartis en trois formations spécialisées pour l'examiner: une première est chargée des textes issus des ministères des transports, de l'urbanisme, de l'environnement et des travaux, une deuxième pour la sphère des affaires sociales et la troisième pour tout le reste. Toutefois, avec le rythme actuel, ces formations spécialisées n'ont guère le temps de se réunir.

Ayant consacré trente-cinq années de ma vie au droit, je suis frappé que la France cède à la tentation permanente d'écrire ce qui semble être la vertu, sans nous en croire capables. Est-ce une manière d'expier ce péché ? Le droit n'a jamais engendré la vertu ; il n'est qu'un élément de contrainte. Dans nos sociétés, mieux vaut faire appel à l'éthique et à la responsabilité individuelle que de brandir sans cesse des sanctions inapplicables car disproportionnées.

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