Le budget placé sous la responsabilité directe du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de ses opérateurs est en augmentation de 45 millions d'euros, ramenés à 36 millions d'euros si l'on tient compte de mesures de périmètre en faveur du ministère de l'agriculture. Les crédits dédiés à l'enseignement supérieur devaient initialement rester stables à 12,79 milliards d'euros. Mais la seconde délibération demandée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale nous a réservé un coup de théâtre très grave, qui a choqué l'ensemble du secteur : le vote d'un amendement du Gouvernement tendant à minorer de 136 millions d'euros le budget de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES). Ce sont 70 millions qui seront retirés à nos universités. L'aveu de faiblesse de Mme Najat Vallaud-Belkacem estimant que « les diminutions ciblées de budget des établissements d'enseignement supérieur sont inévitables » est préoccupant, alors qu'elle est responsable d'un ministère dit sanctuarisé.
Quels établissements vont payer le plus lourd tribut ? Va-t-on faire porter la plus grande partie de l'effort sur nos quelques universités intensives de recherche, les seules à pouvoir s'insérer dans les classements internationaux ? Va-t-on punir les universités les plus vertueuses dans leur gestion, elles qui sont parvenues à maintenir leur équilibre budgétaire au prix de lourds sacrifices ? Va-t-on puiser dans des fonds de roulement qui contiennent souvent les provisions obligatoires pour investissement dans le cadre de contrats de recherche ? La désillusion est si grande à la suite de cet épisode désastreux que notre commission des finances, revenant sur son avis initial, a rejeté les crédits de la MIRES.
Ne nous leurrons pas, les augmentations de crédits annoncées au départ par le Gouvernement sur les programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante » résultaient en grande partie de mesures déjà actées de longue date par l'État, qu'il s'agisse de la création annuelle de 1 000 postes dans l'enseignement supérieur et la recherche jusqu'à la fin du quinquennat ou de la poursuite de la réforme du système des bourses. Dès lors, la marge nouvelle pour les universités était déjà quasi nulle compte tenu de l'augmentation des effectifs étudiants - au rythme d'environ 1,4 % par an - et des contraintes budgétaires.
Le budget global des opérateurs des deux programmes précités a connu une stagnation en 2014 et une baisse l'année précédente. Les universités sont contraintes à des efforts d'investissement conséquents et des règles strictes de responsabilité budgétaire. Le budget de l'enseignement supérieur se trouve dans une impasse. La masse salariale des établissements reste supérieure aux crédits que l'État débloque. Le budget des deux programmes 150 et 231 est fondé sur le postulat qu'il faudra en fin d'année dégeler des crédits mis en réserve. Cette pratique est contraire aux recommandations de la Cour des comptes. Fin octobre 2014, la Conférence des présidents d'université (CPU) s'est émue de ce que le dernier versement de l'État aux universités au titre de leur subvention pour charges de service public ne corresponde qu'à 80 % du montant initialement notifié, avec le risque que les établissements ne puissent honorer la paie de décembre. Le ministère a finalement obtenu de Bercy le déblocage des 20 % restants mais le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit 202 millions d'euros d'annulations de crédits sur le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. S'y ajoute la ponction décidée en seconde délibération à l'Assemblée nationale de 70 millions sur les crédits du programme 150 déjà évoquée.
Le Gouvernement ne respecte pas le principe de décideur-payeur vis-à-vis des universités. Il échoue à compenser à l'euro près les conséquences de décisions prises au niveau national, comme l'exonération du paiement des droits d'inscription pour les étudiants boursiers. La secrétaire d'État s'est engagée à financer le rééquilibrage à hauteur de 25 % par an sur quatre ans, soit un montant de 13 millions d'euros. Les universités n'ont pas obtenu compensation pour l'augmentation du nombre de boursiers en 2013 et n'ont perçu que 3,2 millions d'euros en 2014, prélevés sur le financement prévu pour couvrir le solde positif du glissement vieillesse-technicité (GVT). L'augmentation de la première mensualité de bourse versée à l'étudiant, incluant le montant des droits d'inscription, garantirait un traitement neutre de la compensation, équitable pour tous les établissements, et responsabiliserait les étudiants. Le gouvernement s'y refuse au motif fallacieux d'une complexification de la procédure de gestion des bourses.
Le montant de la contribution de l'État au financement du GVT solde des universités n'est pas précisé dans le projet annuel de performances. Je l'évalue à environ 45 millions d'euros, en faisant la différence entre l'augmentation des crédits de masse salariale enregistrée sur le programme 150 et la somme des montants provisionnés pour les titularisations de la loi Sauvadet et les mesures catégorielles en faveur des catégories de personnel B et C, mesures qui doivent être couvertes par une enveloppe de 20,5 millions d'euros alors que leur coût est estimé par la CPU à 30 millions. Encore une occasion pour l'État d'accumuler une dette auprès des universités !
Enfin, la CPU évaluait au départ à 100 millions d'euros la participation des établissements publics d'enseignement supérieur au redressement des comptes publics. Ce chiffre devra être majoré compte tenu des 70 millions retirés lors de l'examen par l'Assemblée nationale...
Pour beaucoup de dépenses imposées par l'État aux universités, le compte n'y est pas. L'État doit s'engager à assurer une compensation intégrale, comme il le fait pour les collectivités territoriales, au moins dans le cadre d'un plan quinquennal. Aucun des gouvernements récents, de gauche et de droite, n'a su respecter le principe décideur-payeur réclamé de longue date par les universités. L'article 40 de la Constitution nous empêche d'imposer à l'État cette compensation intégrale. Le seul moyen à notre disposition est de l'y inciter en demandant la remise au Parlement avant la fin du premier semestre 2015 d'un rapport détaillant un échéancier quinquennal. C'est le sens de l'amendement que je vous proposerai d'adopter.
La réforme du modèle de financement des universités est trop timide. Les pistes envisagées par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) pour la refonte du système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (SYMPA), telles que l'intégration d'une partie de la masse salariale dans le modèle et de nouveaux indicateurs d'activité et de performance, étaient intéressantes. Il est dommage que le Gouvernement ait reculé face aux critiques de la CPU, pour n'appliquer le modèle qu'aux écoles d'ingénieurs.
La perspective d'une diminution des engagements de l'État dans le cadre des discussions sur le renouvellement des contrats de projet État-régions (CPER) pour la période 2015-2020 inquiète le milieu universitaire, qui déplore la baisse significative des enveloppes dédiées à l'enseignement supérieur, à la recherche et à l'innovation. Les présidents d'université des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire ont dénoncé les risques majeurs de la baisse drastique des crédits de l'État et des reports d'arbitrage, et la région Nord-Pas-de-Calais a jugé « très humiliante » la proposition de l'État.
Le programme 231 « Vie étudiante » bénéficie de la seule petite éclaircie : un peu moins de 2 milliards d'euros reviendront aux bourses sur critères sociaux, au profit de près de 655 000 étudiants.
L'application de la circulaire de juillet 2014 visant à supprimer à partir de la rentrée 2014 l'aide au mérite au bénéfice des étudiants boursiers sur critères sociaux ayant obtenu leur baccalauréat avec une mention « très bien » ou s'étant distingués par leurs résultats en licence a été suspendue par le Conseil d'État dans le cadre d'un référé à la mi-octobre. Mais le Gouvernement s'obstine à vouloir supprimer cette aide. Cela est regrettable car il s'agit d'un signal négatif et décourageant envoyé à des milliers d'élèves qui se battent pour réussir. L'image et la valeur du baccalauréat ne s'en trouvent pas rehaussées. Le Gouvernement regretterait-il que le nombre de mentions « très bien » ait autant augmenté ? Considère-t-il qu'il n'est plus souhaitable de rétribuer les plus méritants ? Les économies tirées de la suppression de l'aide au mérite, au mieux 0,6 % des crédits du programme, seraient ridicules. En quoi cette suppression serait-elle juste, puisque l'aide au mérite n'est attribuée qu'aux étudiants considérés comme boursiers sur critères sociaux ?
Si l'expérimentation réussie du dispositif de la caution locative étudiante (CLE) est source de satisfaction, les efforts annoncés pour la mise en oeuvre du plan de 40 000 nouveaux logements créés à la fin du quinquennat sont longs à se concrétiser. Des prévisions actualisées font état de moins de 2 500 logements étudiants construits par an en 2014 et 2015, très loin des prévisions du Gouvernement.
Compte tenu de l'ensemble de ces réserves, de l'insincérité du budget consenti aux universités, et du revirement du Gouvernement en seconde délibération à l'Assemblée nationale, je propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur.