La commission examine les rapports pour avis de M. Jacques Grosperrin sur les crédits « Enseignement supérieur » et de Mme Dominique Gillot sur les crédits « Recherche » de la mission interministérielle « Recherche et Enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.
Le budget placé sous la responsabilité directe du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et de ses opérateurs est en augmentation de 45 millions d'euros, ramenés à 36 millions d'euros si l'on tient compte de mesures de périmètre en faveur du ministère de l'agriculture. Les crédits dédiés à l'enseignement supérieur devaient initialement rester stables à 12,79 milliards d'euros. Mais la seconde délibération demandée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale nous a réservé un coup de théâtre très grave, qui a choqué l'ensemble du secteur : le vote d'un amendement du Gouvernement tendant à minorer de 136 millions d'euros le budget de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES). Ce sont 70 millions qui seront retirés à nos universités. L'aveu de faiblesse de Mme Najat Vallaud-Belkacem estimant que « les diminutions ciblées de budget des établissements d'enseignement supérieur sont inévitables » est préoccupant, alors qu'elle est responsable d'un ministère dit sanctuarisé.
Quels établissements vont payer le plus lourd tribut ? Va-t-on faire porter la plus grande partie de l'effort sur nos quelques universités intensives de recherche, les seules à pouvoir s'insérer dans les classements internationaux ? Va-t-on punir les universités les plus vertueuses dans leur gestion, elles qui sont parvenues à maintenir leur équilibre budgétaire au prix de lourds sacrifices ? Va-t-on puiser dans des fonds de roulement qui contiennent souvent les provisions obligatoires pour investissement dans le cadre de contrats de recherche ? La désillusion est si grande à la suite de cet épisode désastreux que notre commission des finances, revenant sur son avis initial, a rejeté les crédits de la MIRES.
Ne nous leurrons pas, les augmentations de crédits annoncées au départ par le Gouvernement sur les programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante » résultaient en grande partie de mesures déjà actées de longue date par l'État, qu'il s'agisse de la création annuelle de 1 000 postes dans l'enseignement supérieur et la recherche jusqu'à la fin du quinquennat ou de la poursuite de la réforme du système des bourses. Dès lors, la marge nouvelle pour les universités était déjà quasi nulle compte tenu de l'augmentation des effectifs étudiants - au rythme d'environ 1,4 % par an - et des contraintes budgétaires.
Le budget global des opérateurs des deux programmes précités a connu une stagnation en 2014 et une baisse l'année précédente. Les universités sont contraintes à des efforts d'investissement conséquents et des règles strictes de responsabilité budgétaire. Le budget de l'enseignement supérieur se trouve dans une impasse. La masse salariale des établissements reste supérieure aux crédits que l'État débloque. Le budget des deux programmes 150 et 231 est fondé sur le postulat qu'il faudra en fin d'année dégeler des crédits mis en réserve. Cette pratique est contraire aux recommandations de la Cour des comptes. Fin octobre 2014, la Conférence des présidents d'université (CPU) s'est émue de ce que le dernier versement de l'État aux universités au titre de leur subvention pour charges de service public ne corresponde qu'à 80 % du montant initialement notifié, avec le risque que les établissements ne puissent honorer la paie de décembre. Le ministère a finalement obtenu de Bercy le déblocage des 20 % restants mais le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit 202 millions d'euros d'annulations de crédits sur le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. S'y ajoute la ponction décidée en seconde délibération à l'Assemblée nationale de 70 millions sur les crédits du programme 150 déjà évoquée.
Le Gouvernement ne respecte pas le principe de décideur-payeur vis-à-vis des universités. Il échoue à compenser à l'euro près les conséquences de décisions prises au niveau national, comme l'exonération du paiement des droits d'inscription pour les étudiants boursiers. La secrétaire d'État s'est engagée à financer le rééquilibrage à hauteur de 25 % par an sur quatre ans, soit un montant de 13 millions d'euros. Les universités n'ont pas obtenu compensation pour l'augmentation du nombre de boursiers en 2013 et n'ont perçu que 3,2 millions d'euros en 2014, prélevés sur le financement prévu pour couvrir le solde positif du glissement vieillesse-technicité (GVT). L'augmentation de la première mensualité de bourse versée à l'étudiant, incluant le montant des droits d'inscription, garantirait un traitement neutre de la compensation, équitable pour tous les établissements, et responsabiliserait les étudiants. Le gouvernement s'y refuse au motif fallacieux d'une complexification de la procédure de gestion des bourses.
Le montant de la contribution de l'État au financement du GVT solde des universités n'est pas précisé dans le projet annuel de performances. Je l'évalue à environ 45 millions d'euros, en faisant la différence entre l'augmentation des crédits de masse salariale enregistrée sur le programme 150 et la somme des montants provisionnés pour les titularisations de la loi Sauvadet et les mesures catégorielles en faveur des catégories de personnel B et C, mesures qui doivent être couvertes par une enveloppe de 20,5 millions d'euros alors que leur coût est estimé par la CPU à 30 millions. Encore une occasion pour l'État d'accumuler une dette auprès des universités !
Enfin, la CPU évaluait au départ à 100 millions d'euros la participation des établissements publics d'enseignement supérieur au redressement des comptes publics. Ce chiffre devra être majoré compte tenu des 70 millions retirés lors de l'examen par l'Assemblée nationale...
Pour beaucoup de dépenses imposées par l'État aux universités, le compte n'y est pas. L'État doit s'engager à assurer une compensation intégrale, comme il le fait pour les collectivités territoriales, au moins dans le cadre d'un plan quinquennal. Aucun des gouvernements récents, de gauche et de droite, n'a su respecter le principe décideur-payeur réclamé de longue date par les universités. L'article 40 de la Constitution nous empêche d'imposer à l'État cette compensation intégrale. Le seul moyen à notre disposition est de l'y inciter en demandant la remise au Parlement avant la fin du premier semestre 2015 d'un rapport détaillant un échéancier quinquennal. C'est le sens de l'amendement que je vous proposerai d'adopter.
La réforme du modèle de financement des universités est trop timide. Les pistes envisagées par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) pour la refonte du système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (SYMPA), telles que l'intégration d'une partie de la masse salariale dans le modèle et de nouveaux indicateurs d'activité et de performance, étaient intéressantes. Il est dommage que le Gouvernement ait reculé face aux critiques de la CPU, pour n'appliquer le modèle qu'aux écoles d'ingénieurs.
La perspective d'une diminution des engagements de l'État dans le cadre des discussions sur le renouvellement des contrats de projet État-régions (CPER) pour la période 2015-2020 inquiète le milieu universitaire, qui déplore la baisse significative des enveloppes dédiées à l'enseignement supérieur, à la recherche et à l'innovation. Les présidents d'université des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire ont dénoncé les risques majeurs de la baisse drastique des crédits de l'État et des reports d'arbitrage, et la région Nord-Pas-de-Calais a jugé « très humiliante » la proposition de l'État.
Le programme 231 « Vie étudiante » bénéficie de la seule petite éclaircie : un peu moins de 2 milliards d'euros reviendront aux bourses sur critères sociaux, au profit de près de 655 000 étudiants.
L'application de la circulaire de juillet 2014 visant à supprimer à partir de la rentrée 2014 l'aide au mérite au bénéfice des étudiants boursiers sur critères sociaux ayant obtenu leur baccalauréat avec une mention « très bien » ou s'étant distingués par leurs résultats en licence a été suspendue par le Conseil d'État dans le cadre d'un référé à la mi-octobre. Mais le Gouvernement s'obstine à vouloir supprimer cette aide. Cela est regrettable car il s'agit d'un signal négatif et décourageant envoyé à des milliers d'élèves qui se battent pour réussir. L'image et la valeur du baccalauréat ne s'en trouvent pas rehaussées. Le Gouvernement regretterait-il que le nombre de mentions « très bien » ait autant augmenté ? Considère-t-il qu'il n'est plus souhaitable de rétribuer les plus méritants ? Les économies tirées de la suppression de l'aide au mérite, au mieux 0,6 % des crédits du programme, seraient ridicules. En quoi cette suppression serait-elle juste, puisque l'aide au mérite n'est attribuée qu'aux étudiants considérés comme boursiers sur critères sociaux ?
Si l'expérimentation réussie du dispositif de la caution locative étudiante (CLE) est source de satisfaction, les efforts annoncés pour la mise en oeuvre du plan de 40 000 nouveaux logements créés à la fin du quinquennat sont longs à se concrétiser. Des prévisions actualisées font état de moins de 2 500 logements étudiants construits par an en 2014 et 2015, très loin des prévisions du Gouvernement.
Compte tenu de l'ensemble de ces réserves, de l'insincérité du budget consenti aux universités, et du revirement du Gouvernement en seconde délibération à l'Assemblée nationale, je propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur.
Le budget consacré à la recherche au sein de la MIRES s'établit à 7,76 milliards d'euros pour 2015. Les organismes de recherche devront réaliser une économie sur leurs moyens de fonctionnement de l'ordre de 4,2 millions d'euros. Toutefois, à la suite de l'adoption par l'Assemblée nationale en seconde délibération d'amendements d'équilibrage du budget de l'État à hauteur de 800 millions d'euros, une réduction des crédits de la recherche de l'ordre de 65 millions d'euros va contraindre les organismes de recherche à redoubler d'efforts.
A l'instar des universités, les organismes de recherche bénéficiaient jusqu'à présent de taux de mise en réserve dérogatoires, généralement réduits de moitié par rapport aux taux applicables aux autres opérateurs de l'État. En 2014, les organismes de recherche n'ont bénéficié que de taux dits « semi-réduits ». Dans l'attente d'un arbitrage du Premier ministre, les montants des subventions pour charges de service public ne devraient être notifiés aux organismes de recherche, nets de la mise en réserve, qu'en début d'année prochaine. La préparation de leurs budgets prévisionnels 2015 se fait donc sur la base des taux de droit commun. Cela pourrait représenter des minorations notables de leurs subventions par rapport à l'année précédente : 48 millions d'euros pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et 17 pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Compte tenu des efforts de stabilisation de la masse salariale, l'application des taux normés de mise en réserve réduirait considérablement les crédits disponibles pour le fonctionnement des unités de recherche. Je plaide pour le retour à des taux de mise en réserve réduits de moitié, afin d'assurer le renouvellement de l'emploi scientifique. Au CNRS, 30 millions d'euros sont nécessaires pour réaliser 500 embauches.
Le secteur de la recherche connaît une crise de confiance. Un nouveau mouvement, « Sciences en marche », a mis au coeur du débat l'avenir de l'emploi scientifique et les efforts demandés pour sortir nos jeunes chercheurs, ingénieurs et techniciens d'une précarité qu'ils ressentent comme insupportable et indigne. Il convient de dessiner des perspectives réalistes et opérationnelles, à partir d'un diagnostic rigoureux, en étant conscient que les scientifiques n'ont pas tous vocation à occuper un emploi statutaire dans la recherche publique.
L'effort de la nation en postes statutaires dans la recherche n'a pas fléchi. Sur la période 2009-2013, le nombre d'emplois au sein des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) a progressé de 1 % et celui au sein des établissements publics à caractère industriel et commercial, comme le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables, a augmenté de 4,4 %. À effectifs constants, la masse salariale des organismes de recherche progresse mécaniquement en raison de facteurs liés à la pyramide des âges, notamment au GVT.
Par souci de bonne gestion, la plupart des EPST maintiennent leur masse salariale à un niveau constant. À stock d'emplois fixe, le flux entrant diminue, ce qui explique la baisse du nombre de mises au concours de postes de chercheurs. Le mouvement de départs à la retraite des baby boomers semble achevé - le nombre de départs à la retraite au sein des EPST a diminué de 10 % au cours de la période 2012-2014, réduisant d'autant les marges de manoeuvre pour recruter de jeunes scientifiques : le nombre des entrants recule de 7 % sur la période. Depuis 2010, le ratio de contractuels par rapport au nombre total d'emplois au sein des EPST, soit 30 %, s'est maintenu. La proportion des financements sur projet s'est stabilisée.
Un nombre important de contrats à durée déterminée (CDD) ne sont pas renouvelés au-delà de trois ans au sein des organismes de recherche, notamment le CNRS et l'Inserm, alors que les financements sur projet ont été accordés pour des durées bien supérieures. Ces organismes mènent une politique d'encadrement du nombre de CDD trop restrictive. Ils la justifient par l'insécurité juridique consécutive à plusieurs arrêts de condamnation rendus par les tribunaux administratifs. Pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes scientifiques, il conviendrait de faciliter l'accès des docteurs aux grands corps de la fonction publique. Les conclusions de la mission conduite par Patrick Fridenson sur le sujet seront rendues prochainement. Les efforts doivent aussi concerner l'insertion professionnelle dans le secteur privé. Le doctorat pourrait être inscrit dans le répertoire national des certifications professionnelles.
Les opportunités ouvertes par la recherche partenariale et le renforcement des collaborations entre les universités, les organismes de recherche et les entreprises, notamment dans le cadre des sociétés d'accélération du transfert de technologie (SATT), doivent être saisies afin de valoriser le potentiel des jeunes chercheurs dans le secteur privé et faciliter leur embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) de droit privé. Je me réjouis de la reconduction des crédits consentis aux contrats des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), à 53 millions d'euros en 2015. Ce dispositif enregistre de belles performances : 96 % des docteurs Cifre trouvent, en un an, un emploi au plus près de leur sujet de thèse, dans le secteur privé.
Les sociétés destinées à prendre en charge la rémunération de scientifiques affectés à des missions temporaires auprès d'entreprises, sur le modèle d'Innovarion, peuvent aussi jouer un rôle d'interface utile entre le monde de la recherche publique et le secteur privé. La formation doctorale doit mieux préparer les doctorants aux enjeux de la recherche en entreprise et du monde de la « recherche et développement » (R&D) privée. Je salue le partenariat de l'Université de Lyon avec le Medef pour la mise en place d'un dispositif Doctor'Entreprise, destiné à rapprocher les futurs doctorants, les laboratoires de recherche et les entreprises ainsi que l'accord-cadre signé entre la secrétaire d'État et Schneider Electric. Les Rencontres annuelles universités-entreprises (RUE) facilitent la compréhension réciproque entre les milieux professionnels et académiques.
La réduction sensible du taux de sélection pratiqué par l'Agence nationale de la recherche (ANR) remet en cause un certain nombre de projets prometteurs d'un haut niveau d'excellence scientifique. Dans ces conditions, les organismes de recherche réexaminent leur politique de levée de ressources propres et entendent privilégier les contrats européens et les contrats conclus avec les entreprises. Réjouissons-nous de l'annonce par la ministre de l'augmentation du préciput de l'ANR de 15 % à 18 %, dans un premier temps, puis à 21 %, afin de se rapprocher du taux de 25 % mis en oeuvre dans le cadre du programme européen.
Au sein du budget général, le partage de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) bénéficie d'un soutien public d'environ 200 millions d'euros, dont 108 millions d'euros pour Universcience. Ce montant n'intègre pas les ressources consacrées à la CSTI par notre réseau de musées nationaux et territoriaux. Les 3,6 millions d'euros au titre du financement des centres territoriaux de CSTI sont reconduits en 2015 dans les concours financiers de l'État aux régions relevant du programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements ». La CSTI bénéficie aussi d'une enveloppe de 100 millions d'euros dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA). À la suite des inquiétudes exprimées l'an dernier sur la lenteur de la contractualisation et des décaissements, le Commissariat général à l'investissement a assuré que le champ de la CSTI ne connaissait plus de sous-consommation de son enveloppe. Fin novembre 2014, l'intégralité des 100 millions d'euros seront engagés et le montant contractualisé devrait dépasser 70 millions d'euros. Enfin nos associations doivent se saisir du volet « Science avec et pour la société » du programme européen Horizon 2020.
La réforme de la gouvernance de la CSTI a conforté le rôle de stratège de l'État et consacré les régions dans une mission de coordination et d'animation territoriales. Attribuer à Universcience la gouvernance d'un domaine qui était habituellement celui de l'État a été mal ressenti, d'autant que cet établissement disposait du pouvoir de déléguer des crédits et qu'en tant qu'acteur de la CSTI, il était éligible aux projets, ce qui le plaçait à la limite du conflit d'intérêts. Désormais l'État s'impliquera directement dans la coordination des acteurs, au travers de la stratégie nationale de la recherche.
La nouvelle gouvernance peut s'appuyer sur le forum annuel de la CSTI, temps fort de la réflexion et de la co-construction des projets sur les territoires, et sur le Conseil national de la CSTI refondé dans sa composition. Ses missions sont recentrées sur la définition d'une stratégie nationale et sur la coordination de l'ensemble des acteurs pour sa mise en oeuvre. Afin de ne pas empêcher les acteurs de terrain de mener leurs actions, la mise en place d'une labellisation des organismes intervenant dans le secteur de la CSTI n'a pas été retenue.
Le budget de la recherche résiste globalement dans une conjoncture difficile ; il est protégé des rigueurs budgétaires nécessaires. Je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche au sein de la MIRES.
Je salue le travail synthétique des rapporteurs. Les crédits comportent des aspects encourageants, tels l'attention portée à l'enseignement agronomique et le budget maintenu de la vie étudiante. Néanmoins, le vote intervenu de manière acrobatique en seconde délibération à l'Assemblée nationale et le montant colossal retiré à la recherche et à l'enseignement supérieur sont inacceptables. Si des économies sont nécessaires, elles appellent une méthode et des choix différents - pourquoi la recherche spatiale ou la recherche duale sont-elles sanctuarisées, au détriment de la recherche scientifique et technique pluridisciplinaire ? Le budget suscite l'inquiétude et le mécontentement des milieux universitaires qui s'en sont ouverts auprès de nombreux sénateurs. Une dizaine d'établissements, qui pensaient revenir à l'équilibre budgétaire, voient leurs efforts de gestion anéantis. Initialement conciliants malgré nos réserves, nous sommes à présent très critiques et nous déposerons un amendement en séance publique pour revenir sur ces économies.
La modération des rapporteurs est remarquable. Je serai plus brutal. Que signifie l'autonomie des universités dans un pays où l'État reste décisionnaire ? Le parallélisme avec la situation des collectivités territoriales est frappant. Obtenir aujourd'hui des moyens supplémentaires de l'État est impossible alors même que la recherche et l'enseignement constituent des domaines stratégiques. La loi sur l'autonomie des universités devait être suivie de l'octroi de ressources propres, de la liberté encadrée sur les droits d'inscription, de l'analyse des débouchés des filières de formation, de la gestion autonome des patrimoines, de la flexibilité dans la gestion des ressources humaines. Mais nous sommes restés au début du chemin. Pas plus qu'envers les collectivités territoriales, l'État n'a respecté ses engagements vis-à-vis des universités. Il ne leur a pas accordé les moyens nécessaires pour faire face à l'augmentation de charges -je veux parler de la revalorisation du traitement de certaines catégories de personnel qu'il a décidée ou de l'application du GVT. Dès cette année, les universités auront des difficultés à régler les deux derniers mois des salaires... Si l'autonomie des universités est consacrée, il convient d'être conséquent et de donner à leurs équipes de managers la capacité de les gérer.
Nous n'avons pas voté en son temps la loi sur l'autonomie des universités car les moyens n'étaient pas mis en face des ambitions et des délégations de pouvoir. Nous pensions qu'en l'état cette loi allait déstabiliser le système. J'ai fait un rapport d'évaluation de l'application de la loi qui soulignait la nécessité de ces moyens.
Avec un budget de 26 milliards d'euros, les objectifs affichés par le Gouvernement actuel sont plus ambitieux que ceux de l'ancienne majorité. Cette année 77 500 élèves boursiers supplémentaires percevront une aide annuelle de 1 000 euros, qui s'ajoute à l'exonération de droits d'inscription dont bénéficient aussi 56 000 étudiants ; 1 000 nouvelles bourses sont mises en place ; la caution locative est généralisée ; afin de préserver le pouvoir d'achat des étudiants, l'augmentation des droits d'inscription a été modérée. Nous poursuivons l'objectif d'une création de 1 000 emplois par an, même si le rapporteur parle d'insincérité. L'amélioration de la vie matérielle des étudiants est la condition de leur réussite, qui est notre but. Ces mesures sont à comparer avec celles du quinquennat Sarkozy : pas de création de poste de 2010 à 2012, suppression de 225 postes de titulaires et de 225 postes de non-titulaires en 2009 à l'université et de 450 postes de chercheurs, 287 au CNRS, 96 à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), 59 à l'Inserm.
Les crédits retirés aux universités, 70 millions d'euros, ne justifient pas un rejet des 26 milliards d'euros attribués à la mission. Le groupe socialiste les votera mais nous devrions demander solennellement au Gouvernement que la priorité accordée à la jeunesse, à la recherche et à l'éducation se traduise dans le projet de loi de finances rectificative de fin d'année par une réinscription des 70 millions d'euros de crédit au bénéfice des universités et des 65 millions au bénéfice de la recherche, qui ont été supprimés.
Je m'associe aux observations de Jacques Grosperrin sur l'enseignement supérieur. Il convient d'être vigilant sur le budget et le devenir des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) désormais intégrées aux universités. Supprimer les bourses au mérite constitue un mauvais choix. Ces bourses, facteur de stimulation, devront être réintroduites : elles manifestent la reconnaissance de la nation à des jeunes méritants et contribuent au fonctionnement de l'ascenseur social.
Je suis consternée par la ponction opérée par le Gouvernement. La responsabilité de la précédente majorité est également écrasante. Nous avions voté contre la loi sur l'autonomie des universités car la réforme était mal pensée. En l'absence d'attribution de moyens nouveaux, l'autonomie constituait selon nous un facteur de déstabilisation. Le temps a hélas validé nos prévisions. Or l'actuelle majorité ne remet pas en cause le choix de l'autonomie. Le désarroi des universitaires, dont témoignent tous les mails que nous avons reçus, est d'autant plus important que les intéressés ont consenti beaucoup d'efforts. Au-delà des difficultés financières, le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche souffre d'une immense précarité. L'annonce d'une nouvelle ponction budgétaire constitue un signal défavorable. Je ne suis pas certaine de voter les crédits sauf à ce qu'on me démontre que notre intervention pourra efficacement changer la donne.
La diminution des crédits survient tardivement et de façon surprenante sur la forme. Je m'abstiendrai à ce stade, et mon groupe réfléchira aux amendements à présenter en séance publique.
Nous critiquons la méthode et le montant de la coupe budgétaire. Les membres de la CPU nous ont fait part - ainsi qu'à nos collègues députés - de leur inquiétude. Ils ont voté une motion à ce sujet et ils ont été suivis en ce sens par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et par les syndicats. Les acteurs du secteur sont choqués par ce vote en catimini demandé par le Gouvernement. Jean-Léonce Dupont pose les bonnes questions. J'ai toujours été favorable à ce que les universités soient présidées par des enseignants-chercheurs. Mais peut-il y avoir autonomie sans ressources propres, avec un État qui fixe les règles d'évolution des salaires et augmente les charges sans les compenser ? L'interdiction de moduler les droits d'inscription est regrettable. Je doute que les créations d'emploi annoncées se concrétisent car les présidents d'université n'ouvrent pas un certain nombre de postes par souci d'équilibrer leur budget : ils constituent ainsi une variable d'ajustement. Nous sommes tous d'accord pour demander le rétablissement des « 70 + 65 » millions d'euros pour 2015 ; mais reste la question de ces 200 millions d'euros d'annulations de crédits en loi de finances rectificative pour 2014...
Nous sommes favorables aux ÉSPÉ car les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), créés sous l'influence du pédagogisme et de Philippe Mérieux, étaient déconnectés des réalités du terrain. On a remis les élèves au coeur du système mais oublié l'apprentissage. La suppression des bourses au mérite est un mauvais signal. Il y a les mots d'amour et les preuves d'amour. Le Président de la République a déclaré son amour de l'enseignement et de la recherche, nous en attendons les preuves.
L'équilibrage du budget en seconde délibération ne s'est pas fait « en catimini », la procédure est parfaitement normale. Le montant des crédits retirés est infime au regard de l'ensemble du budget de l'État. Je partage la surprise et la consternation exprimées ; il nous faut nous mobiliser pour défendre le secteur de la recherche, essentiel au redressement de la France ; mais ne prétendez pas que la procédure a été faite « en catimini » !
S'agissant des crédits alloués pour les créations de postes, les cellules d'observation mises en place par la DGESIP depuis deux ans ont constaté qu'un tiers des crédits servent de variable d'ajustement financière, un tiers concernent des emplois dans les fonctions support, et un tiers des créations de poste académiques. Je sais que les établissements universitaires ont fait beaucoup d'efforts pour s'approprier l'autonomie de gestion prévue par la loi, loi que la majorité n'a pas abrogée pour ne pas créer de nouveaux bouleversements. L'État a pris ses responsabilités, notamment en ce qui concerne la prise en charge d'une partie du GVT et de la contribution au compte d'affectation spéciale « pensions ».
Les chefs d'établissement sont néanmoins inquiets. Ces restrictions de 70 millions d'euros pour l'université et de 65 millions d'euros pour la recherche doivent appeler notre attention. Soyons vigilants aussi sur les ÉSPÉ, ces objets vivants qui regroupent l'académique et le professionnel. Elles vivent bien, les derniers conseils d'école le montrent : les budgets de projet pour 2015 ont tous été adoptés et la dévolution des moyens par l'université hôte ne fait plus problème. Nous devons faire preuve de conviction pour soutenir nos établissements, la force vive de la connaissance. Il serait dommage de jeter leurs efforts aux orties.
Plutôt que de me lancer dans une exégèse des expressions de l'amour, je reste concret : hier après-midi, nous avons exprimé ensemble notre solidarité avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et nous avons obtenu gain de cause. Nous pouvons nous étriper et faire de la politique politicienne - pour le plus grand profit de certains ; ou rechercher une position plus en phase avec la place du Sénat dans la République. Pourquoi ne pas nous rassembler pour demander au Gouvernement de rétablir le budget initial ? Faut-il jeter de l'huile sur le feu, prendre le risque de faire sortir les étudiants dans la rue ? Je préfère conforter le Sénat et la démocratie.
L'autonomie nous avait été vendue comme la solution à tout, une source d'économies, une augmentation des marges de manoeuvre des établissements. Or il faut toujours autant, voire davantage de crédits pour les établissements. Cette recette miracle ne fonctionne pas si bien : gardons-nous de l'étendre au premier et au second degré. Le budget actuel serait bien suffisant si l'autonomie avait porté ses fruits, or nous en sommes à nous battre pour maintenir le budget prévu !
Ne confondons pas l'autonomie et le niveau des moyens alloués. Dans une société plus complexe, plus horizontale que verticale, l'autonomie est un atout. La question des moyens est différente. Je rappelle que les deux tiers des investissements d'avenir ont été consacrés à la MIRES. Dans l'optique de construire une croissance potentielle, l'innovation et la recherche sont indispensables. Je suis, comme certains d'entre vous, aux prises avec l'État dans la négociation des contrats de plan État-région : il manquera 2 milliards pour l'enseignement supérieur et la recherche - ce n'est pas moi, c'est l'Association des régions de France qui le dit. Nos rapporteurs comptent-ils interpeller le Gouvernement à ce sujet ?
En janvier dernier, la députée Maud Olivier et moi-même avons déposé un rapport sur la culture scientifique, technique et industrielle, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) comportant 80 propositions, souvent peu chères, voire gratuites. Comme bon nombre de ses pareils, il est aujourd'hui dans un tiroir. Les rapporteurs ne voudraient-ils pas reprendre ces propositions dans leur rapport ?
Je suis consternée par le choix de l'Assemblée nationale : on ne construit pas un pays sans production de connaissances. La copie qui nous est présentée est inacceptable. L'autonomie, dont le renforcement est souhaité par Jean-Léonce Dupont, a non seulement été conçue dans de mauvaises conditions, mais elle est aujourd'hui trop vivante, avec des effets que je regrette : elle n'améliore pas la parité entre les hommes et les femmes, ni la coopération des équipes pédagogiques, encore moins la formation des animateurs d'éducation populaire. Les établissements font ce qu'ils veulent. Cela reste un vrai débat. Vous parlez des contrats de plan : nous verrons ce qu'il en sera après la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ; si l'État baisse sa participation et interdit aux régions d'intervenir, c'en est fini des universités.
La fin des universités en France n'est pas pour demain. Je ne crois pas que la loi NOTRe fasse cesser la coopération entre l'État et les régions sur les questions universitaires. La culture scientifique et technique est capitale pour l'innovation et la créativité, et un élément essentiel de la stratégie nationale de recherche. J'intégrerai donc vos propositions dans le rapport, monsieur Leleux. Je compte aussi sur l'installation du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle afin que tous les partenaires participent à la mise en oeuvre de la stratégie nationale. Sans vouloir les offenser, nous avons peut-être plus de sensibilité que nos collègues députés quant à une contraction de 135 millions d'euros sur 25 milliards de crédits ; notre mobilisation est donc essentielle.
Je remercie M. Carrère pour son oecuménisme ! La CPU l'affirme, les députés ont pris cette réfaction, qui est passée en fin de réunion, pour un ajustement technique. Ils n'ont pas vu que 135 millions d'euros étaient en jeu.
Le concept d'autonomie est inséparable des moyens. Mais les investissements d'avenir sont un effort inédit en faveur de la recherche. Nous avons raison de nous inquiéter des dispositions des contrats de projet État-région. Pour les Pays-de-la-Loire, les sommes prévues sont passées de 125 à 45 millions d'euros, en Bretagne de 140 à 50 millions d'euros et en Nord-Pas-de-Calais de 131 à 55 millions d'euros. Sept universités du grand Ouest s'en sont plaintes au Premier ministre.
La qualité de nos débats prouve notre mobilisation. Nous devrions continuer le travail qu'avait entrepris notre mission d'information sur les ÉSPÉ. Nous comptons sur sa présidente et son rapporteur pour y veiller.
Nous devrions pouvoir exprimer - pas forcément sous une forme traditionnelle - le fait que nous réclamons le rétablissement des crédits initialement prévus. Un amendement a l'inconvénient de devoir être gagé : nous retomberions dans le piège où est tombée l'Assemblée nationale. Il y a bien la vieille solution de puiser dans les crédits de l'armée... mais ce n'est sans doute pas le moment ! Nous pourrions faire semblant de ne pas connaître cette règle et tomber sous le coup de l'article 40. Je préfère que nous nous exprimions par une motion unanime. Ce serait un signal fort, susceptible de produire un résultat.
Nous pourrions en effet procéder comme le propose M. Assouline. Mais notre groupe veut exprimer sa désapprobation sur ce budget en général. Voter pour cette motion ne nous empêchera pas de voter contre les crédits.
J'appelle une telle motion de mes voeux. Le Sénat peut s'exprimer en faveur du rétablissement des crédits, sans s'exprimer sur l'équilibre général.
M. Grosperrin a raison : vous pouvez avoir une position sur le rétablissement du budget, et la majorité sénatoriale peut avoir par ailleurs une position sur l'équilibre général du budget.
La réunion est suspendue pour quelques minutes et reprend à 11 h 05.
Vos rapporteurs signent ensemble une proposition d'amendement qui devrait rassembler tous les membres de la commission : il tend à rétablir les crédits initiaux de la MIRES, sans avoir à trouver un montant équivalent d'économies, puisque c'est le projet de loi de finances dans sa version initiale qui constitue le droit de référence pour l'application de l'article 40 de la Constitution.
Cet amendement est conforme à la conclusion de nos débats : consentir un effort conjoint et unanime pour l'université et la recherche.
Cela va dans le sens que je proposais. Un amendement engage même plus qu'une motion, ce qui n'empêchera pas la majorité sénatoriale de voter différemment de nous au moment où il nous faudra nous prononcer sur les crédits. Il ne faudrait pas trop instrumentaliser ce vote unanime, qui est rare - cela nous a rarement été accordé lorsque nous disposions de la majorité : mais qu'à cela ne tienne. L'objet de l'amendement devra refléter la convergence de vues au sein de notre commission.
Je fais toute confiance à nos deux rapporteurs pour rédiger ensemble un exposé des motifs qui satisfasse tout le monde.
L'amendement de Mme Dominique Gillot et M. Jacques Grosperrin, rapporteurs pour avis, est adopté.
La commission publiera un communiqué de presse sur cet amendement adopté à l'unanimité.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle « Recherche et Enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.
Article additionnel après l'article 57 ter rattaché
Mon amendement prévoit la remise d'un rapport au Parlement et au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) à la fin de l'année 2015, pour inciter l'État à s'engager sur la compensation intégrale des charges qu'il transfère aux universités.
J'y suis défavorable : il y a déjà des rapports, et des rapports, et encore des rapports... Votre exposé des motifs cite des augmentations de charges qui ont déjà été prises en compte, tel le GVT ou l'exonération des droits de scolarité pour les étudiants boursiers.
Vous découvrez les vertus d'un rapport maintenant, alors que c'est vous qui avez créé cette situation, soit dit sans procès d'intention. Ce rapport ne doit pas vous dédouaner de l'échec de l'autonomie des universités. Trouvons pour ce rapport, qui n'est pas inutile, une formulation moins sujette à une interprétation politique. Mesurer par un rapport la validité de ce que vous avez créé, maintenant que vous n'êtes plus aux affaires, donc plus comptables de cette politique : la ficelle est un peu grosse.
Je ne suis pas un fanatique des rapports ; mais il s'agit ici de vérifier que les engagements pris par le Gouvernement sont tenus. C'est essentiel. Si nous pouvons nous assurer qu'ils le sont pour les universités, nous pourrions avoir de l'espoir pour les collectivités territoriales... La prise en compte du GVT est annuelle : avoir voté pour l'autonomie n'empêche pas de vérifier qu'il est pris en compte quelques années plus tard.
En 2013, Ambroise Dupont et Dominique Gillot avaient fait un rapport sur la mise en oeuvre de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités.
C'était dans le cadre de la commission pour le contrôle de l'application des lois que j'avais l'honneur de présider et qui a été supprimée à l'initiative du Président Larcher.
Ce Gouvernement a pris à son compte l'autonomie : la loi Fioraso ne l'a pas supprimée. Il s'agit de vérifier la compensation par l'État.
L'amendement de M. Jacques Grosperrin, rapporteur, est adopté.
Le fait d'émettre un avis défavorable aux crédits ne compromet-il pas le chemin vers la séance publique de notre amendement commun ?